L’usage des « écritures féminisantes » continue de susciter le débat sur les bancs universitaires francophones. Que l’on parle de langage inclusif, d’écriture inclusive, de langage épicène ou non sexiste, le résultat est le même. Autant d’expressions différentes, pratiquées par un nombre croissant d’individus, d’entreprises et d’institutions pour éliminer toutes références grammaticales aux genres. Une remise à plat langagière afin de « permettre l’inclusion du féminin, mais également des personnes non binaires, queer, agenres, en questionnement sur leur identité de genre ou autres », selon le guide d’écriture inclusive publiée par FéminÉtudes, magazine étudiant, féministe et multidisciplinaire. C’est en se réclamant de cette même revue que le 23 février dernier, Sessions sociologiques, une revue de l’Université du Québec à Montréal, décidait d’imposer purement et simplement l’usage de l’écriture inclusive. Un choix immédiatement contesté par ses détracteurs, qui la jugent dommageable envers la langue française. On ne vous parlera même pas des déclarations acerbes de l’Académie Française à son encontre, qui la voit comme le « péril mortel » de notre langue. Peut-être faudrait-il rappeler à ses membres que la règle stipulant que « le masculin l’emporte sur le féminin » avait été décrété par leurs pairs il y a plus de 400 ans.
Éric Zemmour avait déclaré : « Notre chère langue française est un chef-d’œuvre en péril.
Une langue n’est pas simplement le reflet de la société qui la parle, elle contient cette société. Les us et coutumes, les mœurs d’un groupe social existent d’abord par la langue. En bref, il faut laisser le langage accompagner son époque au risque de créer un décalage irrémédiable chez ses nouveaux adeptes. Pourtant, dans notre beau pays, la question de la généralisation – même optionnelle – de son emploi continue de provoquer de nombreuses levées de boucliers. Le 6 mai 2021, Jean Michel Blanquer décidait par exemple de l’interdire formellement en milieu scolaire, faisant suite à l’interdiction promulguée par Edouard Philippe en 2017 d’interdire son usage administratif, sous motif qu’elle « constitue un obstacle à la lecture et à la compréhension de l’écrit ». Avant d’affirmer au JDD que « la langue française ne doit pas être triturée ou abîmée ». Tant pis pour la lutte civilisationnelle menée contre les inégalités fondées sur le genre répond, en sommes, le ministre de l’Éducation Nationale.
Un désaveu politique… et clientéliste
Quant aux candidats déclarés pour l’élection présidentielle à venir, il s’agit avant tout de se mouiller le moins possible… sauf pour la contester. Dans une tribune publiée dans les colonnes du Figaro en septembre 2018, Éric Zemmour avait déclaré : « Notre chère langue française est un chef-d’œuvre en péril. Les nouvelles générations – produits de l’éducation moderniste – ignorent, voire méprisent, l’orthographe ; et torturent cruellement une syntaxe qui ne leur a rien fait. La langue française n’évolue pas, elle se désagrège ». Une déclaration que n’aurait pas renié Valérie Pécresse, qui s’était félicitée d’avoir « supprimé l’écriture inclusive dans les textes administratifs », contrairement à son prédécesseur, via une circulaire adoptée il y a quatre ans. La candidate des Républicains avait expliqué que son emploi « excluait » plus qu’il ne rassemblait.
Jean Luc « La République » Mélenchon s’était même engagé à « défendre la langue française » devant la commission des Affaires étrangères
Ne vous attendez pas à ce que les candidats de la gauche et du centre se montre plus inclusifs. Emmanuel Macron utilise régulièrement ce que l’on appelle l’oralité inclusive, comme il l’avait démontré le soir de son élection avec un solennel : « Merci de votre engagement à toutes et tous ». Pourtant, il s’est maintes fois montré réticent quant à son usage écrit, appuyant par exemple la directive d’Edouard Philippe que nous avons mentionné. Côté France Insoumise, même si le parti y a souvent recours dans ses publications officielles, son grand manitou, Jésu… pardon, Jean Luc « La République » Mélenchon, ne s’est jamais ouvertement déclaré en sa faveur. Au contraire, il s’était même engagé à « défendre la langue française » devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale. Vous le sentez souffler le vent de la modernité ? Nous pas trop. Ne reste que Yannick Jadot pour s’affirmer ouvertement comme son plus grand défenseur, comme en témoigne son emploi dans son programme officiel pour 2022.
Les Françai.se.s veulent savoir
Mais qu’en est-il de l’avis du peuple ? Pour comprendre si l’écriture inclusive gagne des adeptes depuis quelques années ou reste vouée à disparaitre comme un vulgaire effet de mode, l’agence Mots-Clés et Google se sont associés pour se doter d’un observatoire relatif à l’écriture inclusive. Il vise à « faire le point sur l’état de l’opinion publique en France et ses interrogations relatives à son usage ». Après avoir interrogé un échantillon représentatif de 2 500 personnes, ils publient à présent une étude qui nous révèle « un net accroissement de l’intérêt de l’opinion publique française pour l’écriture inclusive, sans doute soutenu par la vigueur du débat », comme le prouvent les pics d’intérêt de recherche sur Google survenus lorsque que l’écriture inclusive était la plus commenté dans les médias. Les requêtes ont ainsi doublé de 2018 à 2021, particulièrement dans les pays francophones et hispanophones, jusqu’à générer 2 millions de recherches en 2021. 4 personnes sur 10 déclarent aujourd’hui avoir déjà entendu parler de l’écriture inclusive.
Mais l’étude nous révèle également que les internautes plébiscitent l’emploi des noms de métiers féminins et la recherche de mots englobants ou non genrés, même s’ils précisent que l’usage global et systématique de l’écriture inclusive reste controversé. 65 % sont favorables à l’emploi des noms de métiers féminins et 56 % à la recherche d’alternatives épicènes ou englobantes pour éviter le masculin générique. Les néologismes – lecteurices ou iels – sont quant à eux décriés par 79% des sondés. Mais 58% des sondés se déclarent plutôt, voir très, défavorables quant à l’usage généralisé de l’écriture inclusive.
éviter les formes abrégées par un point milieu et les néologismes ; la poursuite du travail d’éducation et d’outillage relatif à l’écriture inclusive
En conclusion, les auteurs de l’étude listent 3 recommandations pour alimenter – sainement – ce débat : l’adoption dans le cadre institutionnel, d’une écriture inclusive raisonnée, qui intègre les noms de métiers au féminin pour désigner les femmes, privilégie les formulations englobantes ou non genrés pour désigner les groupes mixtes, évite les formes abrégées par un point milieu et les néologismes ; la poursuite du travail d’éducation et d’outillage relatif à l’écriture inclusive ; et une plus grande exploration du champ des effets collectifs institutionnels que provoquerait sa généralisation. Il conviendrait de privilégier la mesure des effets liés à l’adoption de l’écriture inclusive dans les organisations – impact sur l’égalité et la gouvernance ? – et aux impacts de l’écriture inclusive sur les publics de l’entreprise – féminisation et rajeunissement des audiences ? – ou sur la performance publicitaire – souvenir publicitaire ou la favorabilité de marque –. A l’oral comme à l’écrit, on a bien heureusement pas fini d’en entendre parler.