Le changement de nom de marque est une situation extrême, car il annule la notoriété qui remonte parfois à plusieurs dizaines d’années. Avant de s’y résoudre, il faut être conscient de ce handicap qui se traduit presque immanquablement par une perte de valeur financière, à moins de réaliser des investissements importants en matière de communication. Ainsi, sur un plan purement linguistique et sémantique, comparée à H&M, Mango ou GAP, La Redoute est un obstacle « subjectif » pour vendre de la mode aux femmes et aux jeunes, positionnement que la marque cherche à conforter depuis une dizaine d’années sans réellement convaincre.
Sur le papier Zara parle spontanément plus aux femmes grâce à l’imaginaire de chaleur, de culture méditerranéenne, de féminité et de modernité dont le nom est porteur. Mais La Redoute a un taux de notoriété spontanée de 98% dans le secteur de la vente à distance ! Y renoncer serait une folie à cause du coût de reconstitution de cette notoriété. On sait par exemple que M&M’S, dix ans après avoir remplacé Treets en France afin de constituer une marque unique au plan mondial, n’avait pas retrouvé le volume des ventes de la « lovemarque » sur le marché français.
Deux situations se présentent donc pour une entreprise dont le nom de marque est devenu inadapté : soit compenser la perte d’image par un travail sur l’offre et sur la communication pour faire oublier la perception spontanée, soit en changer pour marquer publiquement le changement de stratégie.
Les causes du changement sont de plusieurs natures :
Son obsolescence : lorsqu’une marque est adossée à une technologie, on peut dire que dès sa création ses jours sont comptés. En effet, l’innovation peut rendre très vite obsolète une technologie. Club Internet, le fournisseur d’accès créé par Lagardère en 1995, au fur et à mesure que l’internet se banalisait a été progressivement réduit à son sigle CI avant de disparaître définitivement en 2009 au profit de SFR, marque la plus forte des deux.
De nombreuses PME qui ont fait le choix d’un nom descriptif pour minimiser leurs investissements en communication sont exposées au même phénomène de vieillissement. L’Intertéléphonie, société parisienne créée après la Seconde Guerre mondiale et installant à l’époque des standards téléphoniques, a été rebaptisée ITAC au milieu des années 2000 pour supprimer le décalage de perception entre le nom d’origine et le métier de l’entreprise qui a suivi les évolutions technologiques et les besoins des clients en se positionnant comme une société experte en sécurité informatique. Le nouveau nom rappelle l’île dont Ulysse était le roi et fait allusion avec habileté à Information Technology.
Une mutation stratégique du métier de l’entreprise : General Electric, le conglomérat américain fondé en 1892 autour des activités électriques, est devenu un sigle, GE, qui chapeaute aujourd’hui 6 domaines d’activité stratégique. Suite également à de nombreuses modifications dans le périmètre de ses activités, Schneider s’est repabtisé Schneider Electric en 1999 pour marquer son expertise dans le domaine de l’électricité. L’ajout du suffixe « Electric » a permis de conserver la notoriété de Schneider et de clarifier la perception des clients. Si le périmètre des activités venait à prendre une orientation très différente, l’entreprise pourrait encore changer de suffixe, une nouvelle fois sans toucher à sa marque historique.
Accor Services, leader mondial des services prépayés aux entreprises (dont le fameux « Ticket restaurant »), a fait un choix plus radical à l’occasion de sa séparation du groupe Accor à l’été 2010 en se rebaptisant Edenred. Pour appuyer son entrée en bourse et souligner son autonomie stratégique, l’entreprise a décidé de se doter d’une nouvelle marque qui contient, à la différence d’Accor, une promesse de bonheur explicite, que la signature vient encore renforcer (« For an easier life »).
Mais le point rouge de la marque-produit « Ticket restaurant » a été conservé dans le nouveau logo pour garder un lien avec l’histoire du « Ticket restaurant » qui a vu le jour en 1962 et est aujourd’hui édité 13 milliards de fois par an ! Dans d’autres cas, le choix est partagé. Ainsi PPR, qui ne détient plus ni Pinault ni Printemps et qui cherche à vendre La Redoute, doit-il changer de nom ? Même si pareille décision entérinait le virage du groupe vers le luxe et les marques de sportswear à valeur ajoutée (acquisition de Gucci et de Puma), changer de marque n’est pas une nécessité, car le sigle PPR est aujourd’hui désémantisé et constitue un support suffisamment neutre pour piloter des investissements stratégiques variés.
Le scandale : en 2003, Vivendi Environnement est devenue Veolia Environnement suite au scandale soulevé par le retentissant échec stratégique de son ancien PDG, Jean-Marie Messier. L’entreprise a conservé dans son nouveau nom « environnement », concept porteur d’avenir, et les initiales « VE », suite au constat que les marchés financiers et les investisseurs institutionnels préféraient raccourcir Vivendi Environnement en VE. C’est la preuve que le changement de nom, même dans les pires situations, représente aussi un coût d’image et pas seulement un moyen d’effacer le passé.
De son côté, Parmalat, société italienne spécialisée dans le domaine des produits laitiers, a conservé son nom malgré le scandale financier qui l’a touché en 2003 et a contribué à son rachat progressif par Lactalis. Cet exemple permet de bien comprendre la différence qu’il ne faut jamais oublier : l’entreprise n’est pas la marque, même si l’une peut contaminer l’autre. Ce n’est pas la marque Vivendi Environnement qui a été traînée devant les tribunaux, mais les anciens dirigeants de l’entreprise.
Dans tous les cas, un changement de nom doit se préparer minutieusement et on ne doit jamais oublier que le client en dernier recours exprimera sous une forme ou une autre son adhésion ou son rejet. En 2000, Royal Mail avait voulu accompagner sa modernisation d’un nouveau nom, Consignia. Deux ans plus tard, l’entreprise reprit son nom de marque d’origine, suite aux remous occasionnés par la dérèglementation décidée par le gouvernement et la perte de confiance du public qui s’en suivit. Finalement, il fut décidé avec sagesse que la référence royale restait un atout pour conduire le changement et que cette valeur faisait partie de la marque…
Conclusion pour DSK : on ne change pas de patronyme comme on change de chemise. Je ne vois qu’une seule solution pour l’ex-candidat de gauche préféré des Français : bâtir une stratégie de communication pour redevenir « Dominique Strauss-Kahn », ou « Strauss-Kahn » et marquer ainsi le retour au statut de simple citoyen. L’époque du fantasme où l’homme se prenait et était pris pour une marque est finie.
Pour le Carlton de Lille, la récente affaire de moeurs a, paradoxalement, augmenté sa notoriété. C’est ce qui était arrivé à la marque Festina dont l’équipe cycliste avait été contrôlée positive il y a quelques années. Sa notoriété avait aussitôt bondi, chacun se demandant ce qui était vendu sous ce nom. Dans ces conditions, il serait dommage de changer le nom de cet hôtel. Idem pour le Sofitel de New York.
Pierre-Louis DESPREZ, Président du Bec-Institute, Centre européen de la Marque, enseignant à Paris V Sorbonne