Les « droits voisins » des éditeurs de presse ont été posés dans la législation européenne pour venir compenser financièrement la reproduction de leurs articles sur les moteurs de recherche et sur les réseaux sociaux, sans contrepartie. Ce sont des droits qui doivent être versés par les grandes plateformes, non seulement car elles rendent gratuites ces reproductions, mais encore parce que, ce faisant, elles ont capté toutes les ressources publicitaires, lesquelles sont indispensables à l’équilibre économique des journaux. La mécanique des « droits voisins du droit d’auteur » a été éprouvée depuis longtemps, en particulier pour les producteurs de musique ou de programmes audiovisuels, depuis une loi de 1985.
Mais la mise en place de cette redevance s’est aussitôt opposée à des résistances, la plupart des plateformes entendant se soustraire à son règlement. Google notamment a ignoré les dispositions de la loi, en tentant de passer avec chacun des éditeurs individuellement des accords aux termes desquels, peu ou prou, ils renoncent au bénéfice de la loi, s’ils veulent continuer de rester visibles sur son moteur de recherche. Cette visibilité est devenue en effet vitale pour les journaux, à l’heure du tout numérique.
Il a fallu que, par le truchement de leurs syndicats, les éditeurs de presse saisissent l’Autorité de la Concurrence pour faire entendre raison au moteur de recherche. C’est ainsi que cette dernière a rendu une première décision, le 21 juin 2022, qui a condamné Google à une amende de 500 millions d’euros, pour ne pas s‘être conformé à ses injonctions lui imposant une neutralité, une bonne foi et une transparence dans ses négociations avec les éditeurs et agences de presse. L’Autorité de la Concurrence a sanctionné Google d’une amende supplémentaire de 250 millions d’euros, le 20 mars 2024, pour ne pas avoir conduit des négociations de bonne foi, sur la base de « critères transparents » et « transmis aux éditeurs les informations nécessaires à l’évaluation de leurs rémunérations ».
La décision qui vient d’être rendue en procédure d’urgence par le tribunal de commerce de Paris, le 14 novembre dernier, interdisant à Google, sous une astreinte de 900 000 € par jour, de « rendre invisibles » les articles des médias avec lesquels il a un différend sur la mise en œuvre des droits voisins, s’inscrit dans cette lignée.
La question que pose cette affaire est double. Elle est d’une part, celle de l’application de bonne foi des négociations en cours, sans mesure de rétorsion intermédiaires par Google. Elle est plus fondamentalement celle du bras de fer que la société américaine a engagé avec les autorités européennes et la loi européenne. Il s’agit d’une question de souveraineté nationale et européenne de ne pas voir l’union et les états membres renoncer à leur devoir régalien de fixer la loi.
Or, la loi a un objectif qui n’est pas mince en l’occurrence, qui est celui de la survivance d’une presse libre et pluraliste, dont le modèle économique reste viable. Ce qui suppose qu’elle puisse continuer de vendre ses articles, en bénéficiant notamment des ressources publicitaires que leur consultation génère. Il faut, en effet, que les éditeurs puissent continuer de payer des journalistes professionnels qui sont les seuls gages du maintien de l’information à laquelle a droit le public dans une démocratie digne de ce nom. La question du respect des droits voisins revêt donc une importance particulière, au regard des enjeux de démocratie qu’elle emporte !