INfluencia : que retirez-vous du Colloque « Démocratie, Information & Publicité » auquel ont participé de nombreuses personnalités triées sur le volet ?
Dorothée Caulier : j’ai trouvé que les débats étaient très riches et qu’ils apportaient des points de vue différents les uns des autres. J’ai notamment particulièrement apprécié l’intervention de Pierre Louette, le PDG du Groupe Les Echos – Le Parisien lorsqu’il a reconnu que les médias s’étaient tirés une belle dans le pied. Depuis la publication en janvier dernier du rapport de l’Arcom sur le marché de la publicité dans les médias à horizon 2025-2030, toute la profession s’affole.
IN : ce rapport, qui montre que les acteurs numériques devraient contrôler 65% du marché publicitaire dès 2030 contre 52% aujourd’hui, ne prédit pas un avenir radieux pour les médias traditionnels…
D. C. : je milite autour de ces sujets depuis quatre ou cinq ans. Notre approche est un peu particulière puisqu’elle ressemble un peu à celle d’Astérix et Obélix qui cherchent à défendre leur petite Gaule. Ce sujet n’a pas été abordé lors du colloque mais il est important de ne pas oublier à quel point la France investit insuffisamment dans l’innovation. Google et les Chinois dépenses énormément d’argent dans ce domaine et notre pays doit, tout au plus, y consacrer un budget annuel de 300 millions d’euros. Si nous ne bougeons pas rapidement, nous allons nous retrouver pris en tenaille entre les États-Unis et la Chine.
IN : on ne peut pas dire aux annonceurs où diffuser leurs publicités. C’est leurs investissements après tout et ils ont des KPIs à respecter…
D. C. : certes et il ne fait aucun doute que les réseaux sociaux ne manquent pas de qualités mais il est aussi extrêmement dangereux de ne pas imposer à nos clients un meilleur rééquilibrage de leurs dépenses publicitaires. Tout le monde a peur d’affoler les annonceurs mais ils doivent assumer leur devoir de citoyen en étant présents sur les sites d’information et les médias que certains appellent « historiques ». Je me refuse, de mon côté, à utiliser ce terme car il fait vieux c…
IN : comment peut-on forcer la main aux annonceurs pour qu’ils rééquilibrent leurs dépenses publicitaires ?
D. C. : tout le monde parle de RSE mais quel est le bilan carbone d’une campagne dont 90% du budget est dépensé sur TikTok. Les rapports RSE des annonceurs devraient inclure les bilans de leurs investissements publicitaires.
IN : peut-on profondément changer les habitudes prises d’ici 2030 ?
D. C. : 2030 c’est demain. C’est aussi une des dates butoirs sur le climat. Si on ne change pas de modèle tout de suite, nous allons vivre dans un monde comparable à celui de Mad Max. À force de nourrir la bête, nous n’allons plus pouvoir la contrôler. Il est aujourd’hui primordial que les éditeurs se concertent davantage. Ce n’est toujours pas le cas. Ils ont encore trop tendance à tirer la couverture vers eux. Durant le colloque, j’ai été surprise de voir l’absence des annonceurs. Tant qu’ils ne seront pas convaincus de la nécessité de rééquilibrer leurs investissements publicitaires, il ne se passera rien. Il faut mieux éduquer les media planneurs et les jeunes annonceurs. Après la crise, tout le monde parlait de relocalisation industrielle mais n’oublions pas non plus la relocalisation des médias. Le gouvernement doit également cesser d’utiliser sans cesse les réseaux sociaux pour communiquer. Ils peuvent aussi faire leurs campagnes sur les autres médias.
IN : Restez-vous, malgré tout, optimiste ?
D. C. : je veux rester optimiste même si je suis alarmée de voir le temps qui passe. Nous avons, en face de nous, un énorme chantier. Beaucoup d’acteurs ne sont pas encore prêts à bouger. La prise de conscience collective est incomplète. Aujourd’hui, tout le monde panique mais chacun continue de plaider pour sa paroisse. Le temps de la concertation est venu…