Aider son prochain est un concept aussi ancien que l’humanité. Pourtant ce qui motive et déclenche le don est question d’époque, « le don est toujours le même, ce qui diffère, c’est la façon dont il est fait » affirmait déjà Sénèque. A l’heure d’un monde perturbé par des changements majeurs, les nouvelles dynamiques du don nous apprennent beaucoup sur nos contemporains.
En France, les seniors, CSP+ sont aujourd’hui les plus engagés en matière de philanthropie. Toutes les études nous montrent en effet, qu’ils sont très actifs avec 63% des plus de 50 ans à avoir fait un don dans les 12 derniers mois, tandis que 92% des dons sont faits par des donateurs fidèles. Ils ont tendance à se fonder sur la notoriété d’une cause et donnent principalement aux grosses associations. Ces seniors sont essentiellement sensibles à la défense des plus faibles. Et c’est ainsi, que leur soutien va prioritairement, dans cet ordre à l’aide et la protection de l’enfance, à la lutte contre l’exclusion et la pauvreté, à l’aide aux personnes âgées et à la recherche médicale). Lorsque l’on examine de plus près, les comportements de ces derniers, le profil type qui émerge est celui du donneur à la fois « sauveur » et « intéressé ». Sous entendu : le donateur le fait autant pour se donner bonne conscience que pour optimiser sa fiscalité. En clair, Il veut bien « donner un coup de main » si cela lui permet de « se donner un coup de main » avant tout. Il suffit pour le constater d’observer le montant des dons faits aux grandes associations, qui entre novembre 2017 et 2018 a chuté selon les organisations, de 3 à 28%. Baisse liée directement à la suppression de l’ISF, à la hausse de la CSG et au prélèvement à la source.
Inutile de dire que si les associations comptent encore sur eux pour générer des subventions, elles vont devoir renouveler leur approche afin de fidéliser une clientèle chahutée par ces mesures.
Les 18-35, naturellement concernés
Avec la nouvelle génération, les 18-35 ans, qui arrive sur le « marché du don », nous assistons à un phénomène jamais vu. 2/3 des 18-35 ans ont déjà fait un don et 24% des 18-35 ans donnent plusieurs fois par an. Ils sont donc déjà actifs. Normal, les crises proches ou lointaines amplifiées par le porte-voix Internet produit une jeunesse concernée par l’action des associations. Plus qu’une valeur morale, le don, pour cette génération, est une évidence, une fonction qui va de soi. Néanmoins, les capter est difficile. D’une part ils connaissent mal le monde associatif, ce qui les rend méfiants. D’autre part, l’optimisation fiscale et la conscience morale n’entrent pas dans leur logiciel de pensée. Les 18-35 ans veulent comprendre et percevoir concrètement l’impact que leurs actions auront sur le monde qui les entoure.
Les solliciter demande donc de mettre en place des connexions qui n’ont rien à voir avec celles développées auprès des seniors.
Les quatre facteurs qui déclenchent l’action
1 – La raison : Pour quelle raison est-ce que je le ferais ?
2 – Le bénéfice : Que vais-je en tirer ?
3 – La faisabilité : Est-ce que c’est facile à faire ?
4 – La pression sociale : Qui est-ce qui le fait également ?
Quand il s’agit de philanthropie, il n’y a pas de bénéfice immédiat. Le produit que vous « achetez » est le don lui-même, la « raison » de donner et le « bénéfice » sont intimement liés. Nous appellerons ce facteur « motivation ». Celui-ci est essentiel et est évidemment porté par le sujet lui-même. Si on a une personne proche de soi qui est atteinte ou est décédée du cancer, ce sujet nous touche plus qu’un autre et orientera notre don. Plus un sujet concerne de gens, plus il serait donc facile de recruter des donneurs ? Pas à tous les coups. Le contre-exemple de la Myopathie de Duchêne et son Téléthon arrivent encore à fédérer beaucoup de dons chaque année. La motivation est aussi portée par le besoin de donner. S’il est fondamentalement altruiste, le don est aussi animé par des desseins personnels, et notamment par de l’altruisme au service de sa position dans un groupe. Une forme, non portée, de consommation ostentatoire comme décrite par Thorstein Veblen.
Optimisation fiscale et bonne conscience ne parlent pas aux jeunes
La motivation est aussi complétée par la dynamique qui l’anime. Pour le cancer, il est très différent d’aller chercher des donateurs pour déployer un traitement, éradiquer une forme en particulier, préserver les malades ou créer de nouvelles solutions. La fin semble logiquement la même, mais la motivation appelée sera très différemment perçue par le potentiel contributeur. Il faut donc bien choisir en fonction du groupe de personnes que l’on cherche à convaincre (et de la propre capacité de l’association d’y répondre en fonction de sa mission). On le voit, là où un bénéfice simple (optimisation fiscale et bonne conscience) suffisaient aux seniors, la population de jeunes donneurs est beaucoup plus exigeante. Elle devra percevoir, au-delà de la bonne action, la raison profonde de l’action de l’association et son impact sur l’environnement. Nous avons récemment accompagné une association remarquable, Autour des Williams, à recueillir des dons pour aider les familles dont l’enfant est atteint du syndrome de Williams Beuren. Cette maladie rare et orpheline, entraine des conséquences lourdes pour la famille avec un retard mental et une dépendance physique chez l’enfant, mais développe également une propension incroyable et très touchante à l’empathie (en plus de l’oreille absolue). Ces enfants sont certes malades, mais sont des rayons de soleil pour leur entourage.
La faisabilité au centre
Plutôt que d’organiser une quête, nous avons mis l’accent sur l’impact positif de ces enfants pour la société et la nécessité d’aider les familles à les protéger. Une approche beaucoup plus en phase avec les attentes des donneurs d’aujourd’hui. Essentielle pour la population de seniors, la faisabilité chez les jeunes donneurs mêle ergonomie et mécanique de don. La faisabilité est tout aussi essentielle dans le dispositif. Elle doit être facilitatrice car elle est soumise à des facteurs aussi opposés que l’émotionnel et le rationnel. Un formulaire en papier, trop d’étapes, une mauvaise explication des mécaniques, sont autant de raisons de ne pas donner. Il faut respecter les règles de base de l’ergonomie. Mais, au-delà de la simple expérience, il existe aussi des « nudges » pour faciliter l’acte en lui-même du don.
Des mécaniques vivantes
Sponsorisée par la fondation Gates, l’ agence Ideas42, spécialisée en science comportementale dans le milieu associatif, propose par exemple des moyens plus subtils de rendre le don « tangible ». Payer en pourcentage de son salaire plutôt qu’en devises est plus incitatif pour les individus que nous sommes. Inclure le don comme faisant partie de notre gain plutôt que de le considérer comme une « perte », plus intelligent. Et de fait, avec la mise en place de ce système, l’agence a vu une augmentation de 7% chez les donneurs réguliers, et de 18% chez les nouveaux donneurs versus les pratiques menées dans le passé. Essentielle pour la population des seniors, la faisabilité chez les jeunes donneurs mêle ergonomie et mécanique de don. S’ils sont habitués à manipuler des formulaires en ligne et des interfaces de paiement, ils seront attirés, et donc plus propices à donner, grâce à des mécaniques « vivantes » qui vont savoir intégrer don et expérience.
Transformer directement leur don en action
Ils seront par exemple beaucoup plus attirés par des modèles de dons qui transforment directement leur don en action (un arbre planté), ou inversement. Par exemple la campagne de Marcel, S.O.U.R.D, pour l’institut national des jeunes sourds de Paris, propose sur Spotify un album de 7 titres muets. À Chaque écoute correspond un versement à l’association.
Ils seront également attirés par des modèles qui s’intègrent à leurs propres mécaniques de consommation. Des marques comme Faguo (encore des arbres) ou Jimmy Fairly (qui fournit une paire de lunettes à une personne dans le besoin pour chaque paire achetée) auront leur préférence. Les arrondis à la caisse pour des associations également.
La reconnaissance d’autrui
Le dernier facteur enfin, la pression sociale, est essentiel dans un contexte lui-même sociétal. Platon le clamait déjà dans La République, les gens se comportent de manière d’autant plus éthique s’ils sont observés par les autres. Le don charitable est d’abord animé par l’envie de reconnaissance d’autrui.
Ce que démontre encore la méthode du Nudge élaborée par le Pr. Richard Thaler. Lorsque cette dernière accompagne votre don d’un don d’une valeur similaire, et s’implique donc dans votre action, les probabilités de donner augmentent de 22% et le montant donné de 19%. Si un site, indique tout simplement, le nombre de personnes qui ont donné ce jour-là, la probabilité du don augmente encore ici de 26%.
Un contrat social
Comment, alors, créer une pression sociale sur une cible (les jeunes) déjà naturellement « pressée » par la société d’agir et de changer la donne ? La réponse est moins dans la pression que dans l’aspect social, communautaire, du don. Rien ne motive plus une population de jeunes donneurs que de savoir qu’ils forment un groupe et que c’est ensemble (et non en tant qu’individus) qu’ils auront le plus d’impact. D’où l’avènement et le succès des crowdfundings, cristallisation de la théorie du don / contre-don de Marcel Mauss comme contrat social. Le don n’est plus juste une offrande à une cause, mais une participation active et communautaire à une initiative portée par une raison d’être partagée.
Cerner l’impact que les dons de chacun vont avoir sur leur propre existence.
Le monde évolue, les mécaniques du don avec lui. Face à un climat plus challengé, qui demande à chacun de se poser la question de son engagement, les associations (et marques engagées) vont devoir répondre à de nouvelles attentes des donneurs (et consommateurs). Il s’agit moins aujourd’hui de leur proposer de se valoriser moralement, que de les inviter à être co-acteurs du changement. Les motiver au-delà de la bonne action à travers l’action elle-même ; Intégrer l’action elle-même au sein du don. Connecter les gens pour élever l’action au-delà du geste individuel. Il faut permettre aux gens, à travers leurs dons, de cerner l’impact qu’ils vont avoir sur leur propre existence. Il faut leur faire comprendre qu’au-delà de juste « donner un coup de main », ils vont « se donner des ailes ».
Le pouvoir d’action de chacun
Car ce que veulent principalement les consommateurs aujourd’hui, c’est que l’on prenne en compte leur propre pouvoir d’action, que l’on respecte et fasse confiance à leur intelligence pour pouvoir, au-delà de servir uniquement de porte-monnaie, être acteurs d’un monde qu’ils veulent rendre meilleur (ou sauver). Être aveugle de ce fait, c’est se voiler la face sur le monde mais surtout, c’est risquer de passer rapidement à la trappe des marques sur lesquelles on ne comptera plus.