Le mouvement du slow se développe fortement et nous incite à ralentir la cadence. Mais faut-il nécessairement repenser notre rapport au temps alors que le numérique pousse à agir dans « l’immédiateté » ? Le débat doit-il se poser en ces termes ? Description d’un mouvement qui touche tous les pans de la société.
Slow media, slow travel, slow money ou encore slow management, le mouvement slow est partout. Né dans les années 80, c’est tout d’abord pour lutter contre le courant de la « malbouffe » et les fast-food en particulier, que le sociologue italien Carlo Petrini créé l’association à but non lucratif, Slow Food. L’idée est d’inciter chacun à prendre le temps de cuisiner et manger des produits achetés localement. Puis l’idée se propage à travers le monde sans véritable organisation ni hiérarchie précise. La force du concept se trouve justement dans le fait de pouvoir se décliner sous toutes les formes, de l’économie, aux médias en passant par le travail.
Mais le concept peut par ailleurs porter à confusion. Car il ne doit pas être vu comme une perte de temps ni un arrêt complet de l’action mais bien comme une attitude qui consiste à prendre le temps d’agir, de construire, de penser… C’est aussi questionner l’habituel, le quotidien, ce que George Perec appelle l’« infra-ordinaire ». Finalement, le slow c’est être conscient du temps de nos actions et de nos actions dans le temps.
Mouvement slow et technologies : incompatibilité ou complémentarité ?
Le mouvement slow est-il pour autant incompatible avec notre vie d’être humain occidental, technologiquement sur-équipé, sur-informé et sur-sollicité ? La question ne se pose peut-être pas dans les termes de l’incompatibilité, mais plutôt dans ceux de la complémentarité. En effet, la question serait plutôt celle de savoir dans quelles mesures les innovations technologiques nous permettent de repenser un mode de vie plus conscient et donc plus slow ?
En matière de slow food par exemple, l’entreprise Slow Control a inventé une fourchette connectée permettant de guider l’utilisateur dans sa manière de manger. Se basant sur une collaboration avec des laboratoires médicaux et des études sur les pratiques alimentaires, la technologie permet à l’utilisateur de réduire sa vitesse de consommation alimentaire pour une meilleure dégustation et digestion. Le dispositif joue ici un rôle d’assistant personnel et permet aux utilisateurs « d’entraîner leur cerveau afin qu’ils acquièrent de nouvelles habitudes d’ingestion », précise la start-up.
Le monde des médias numériques apporte aussi son lot de promesses
Le « Quatre heure » propose, par exemple, chaque mercredi à 16h « une information qui prend le temps, se déclinant sous forme de reportages grand format, multimédia, sans clic » ; ou encore Brief.me propose une solution numérique de curation de l’information. Ce slow media diffuse les informations essentielles de la journée sur le smartphone de ses lecteurs. Une manière de contrer le risque d’« infobésité ».
Plus en profondeur, le développement du mouvement slow fait resurgir un vieux débat fait d’imaginaires selon lequel le développement technologique aurait changé notre rapport au temps, nous enfermant par la même occasion dans une urgence continue. Nicole Aubert, sociologue et psychologue, auteur de « Le culte de l’urgence : la société malade du temps » avance par exemple que : « la principale explication de ce règne de l’urgence est de nature à la fois économique et technologique. ». Mais, à en croire le sociologue Hartmut Rosa : « l’accélération n’est pas la faute de la technique. On peut imaginer un monde où grâce au progrès technique on pourrait arriver à dégager un excédent de temps, si le taux de croissance n’était pas si fort. Le progrès technique élargit notre horizon et nos possibilités de vie. Il change la perception des possibilités et des obstacles et modifie aussi les attentes sociales, tant ce que nous attendons des autres que ce qu’ils attendent de nous. La technologie permet l’accélération du rythme de vie, mais ne l’impose pas ».
Le débat reste donc ouvert mais une chose est sûre, le développement du mouvement slow à travers l’ensemble de la société est le signe d’une prise de conscience individuelle et collective. Au quotidien, car c’est de cela dont il s’agit, le slow interroge l’individu et la collectivité sur leurs agissements. Il pose donc en fait une question, celle de l’attitude. « La technique nous donne les moyens de disposer librement du temps », souligne Hartmut Rosa ; libre à chacun d’en faire ce qui lui plaît. Il en va donc de la responsabilité de chacun de se demander quel rythme est bon pour eux, leurs proches ou le groupe dans lequel ils sont intégrés. Mais adopter la « slow attitude » est plus facile à dire qu’à faire, lorsque que nous sommes pris dans l’intense flux de l’action, qui plus est lorsqu’elle est collective (au travail notamment). Les technologies numériques peuvent bien nous aider à agir de manière consciente, mais elles peuvent également nous faire entrer dans le cercle vicieux de la sollicitation et l’urgence.
La notion de slow en question
Penser le slow pose en fait un véritable problème de perception de la société. Que l’on applique le mouvement aux disciplines du management, de l’alimentation ou du voyage, considérer l’existence d’un tel mouvement revient à supposer l’existence d’un autre, le fast. Penser en ces termes signifie qu’il y aurait, d’un côté, une société dictée par l’urgence d’agir et de l’autre, une société qui prône la nécessité de ralentir. De cette manière, la représentation du monde social semble bien trop schématique par rapport à la réalité des pratiques. Ce sont les imaginaires opposés du slow et du fast qui confèrent à ces concepts toute leur force.
L’idée n’est donc pas de défendre l’un ou l’autre mais d’identifier les pratiques qui s’emparent de ces imaginaires dans une logique communicationnelle. Car le mouvement slow est un prétexte qui sert de nombreuses opportunités marketing comme le montre si bien, en matière de connectivité des individus, les programmes de « digital detox ».