30 août 2021

Temps de lecture : 6 min

Désir de marques, désir de soi

Sauf à sortir du système capitaliste et consumériste, notre société a fort « besoin » des marques. Au point que l’on se demande si les humains pourraient s’en passer. Pourquoi ? Parce que les relations entre les hommes sont régies par les lois des amitiés et des inimitiés, et que les marques ont ce pouvoir de tenir un langage, de conforter des représentations, de rassurer, d’être l’expression d’une communauté. L’humain a indéniablement besoin de croire, d’avoir confiance au quotidien en quelque chose. Et sans être le graal, un repère, un peu de stabilité dans un monde qui change, on prend.

Beaucoup sont déçus. La nouvelle génération, les Gen Z sont parfaits dans leur vision du « monde d’après ». Ils vivent le climat comme une cause générationnelle, veulent équilibrer vie professionnelle et vie personnelle, pensent inclusion et, ce qui ne gâche rien, ils utilisent avec talent les réseaux sociaux pour le faire savoir. Mais ils attendent beaucoup des marques et ils ne sont pas du tout prêts à se passer de ces repères commerciaux. Des marques écoresponsables, certes, mais des marques ! Le désir de marques est bien là dans cette génération attentive au sens du monde. S’ils consomment en seconde main, c’est bien souvent pour pouvoir se payer encore plus de beaux produits de ces grandes marques.

Depuis trente ans, j’observe les évolutions sociétales vis-à-vis de mon métier, le branding : l’intérêt pour les marques de la population française reste stable, entre 55% et 65% selon la façon de poser la question et l’incidence de l’émotion éventuelle du moment.

 

Marques repères

Cela se comprend aisément quand on accepte de cesser de faire l’amalgame entre marque et capitalisme dit « sauvage ». La marque « est un repère mental » sur une offre, un marché. Il y a marque quand il y a choix et par conséquent difficulté à trouver le produit ou service correspondant le mieux à son besoin, son attente, son identité. Une marque de monopole ne sera jamais une vraie marque. EDF est désormais une marque, La Poste ou la RATP pas vraiment, en dépit des efforts des directions de la communication.

La marque commence à cerner le besoin dit primaire du consommateur. C’est ce qu’on nomme le repère transactionnel. Dès l’antiquité, les potiers marquaient leur production d’une lettre de l’alphabet. Les consommateurs d’alors savaient que pour l’eau, l’amphore « brandée Alpha » allait bien et que pour le vin, c’était une autre lettre qu’il fallait choisir. Depuis l’avènement du self-service, comment s’y retrouverait-on, dans les rayons du magasin, si chaque produit ne portait pas un nom de marque ? Le sel est Cerebos, la farine est Francine… A priori, nul désir au sens érotique du terme, sauf si vous considérez la cuisine comme une partie essentielle de votre identité. Sinon, vous choisirez une MDD, une non-marque, ou peut-être tout de même Francine, car il restera toujours une petite crainte au fond de vous-même que « votre produit fini » ne soit pas parfait. Un repère, fût-il de simple notoriété, reste un repère.

 

L’esprit humain a besoin d’un minimum de confort pour ne pas sombrer dans la schizophrénie. Les marques des catégories de produits qui nous importent nous offrent un confort psychique inégalé. Grâce à elles, on « trouve » dans chaque secteur une échelle de repérage. Celle-ci est fondée sur trois dimensions : la fonction transactionnelle (en ai-je pour mon argent ou pour le temps que je lui consacre ?), la fonction aspirationnelle (cette marque correspond-elle à mes valeurs, mes idées ou en tout cas ne les contredit-elle pas ?), la fonction identitaire (les gens qui achètent aussi cette marque pourraient-ils être mes « amis » ?).

Une marque doit d’abord être « utile » pour continuer d’exister. Mais utile à quoi, utile à qui, pourquoi et comment ? Si on désire le produit d’une marque, au point de l’acheter et de le payer plus cher qu’un produit « sans marque », c’est qu’on en ressent le besoin. Techniquement, économiquement ou psychologiquement. Pour s’en servir et se servir de sa symbolique. Et pour servir notre propre personal storytelling1.

 

On s’est longtemps interrogé sur la supériorité d’Apple, dont les fans sont persuadés à la fois de la supériorité technique, du rôle de la marque dans le progrès de l’humanité et du fait d’être des gens exceptionnels parce qu’ils ont compris cet apport par rapport aux possesseurs de simples smartphones. Il y a bien sûr de la croyance dans l’univers des marques, comme dans la plupart des actes de notre vie fragile. Or il n’y a ni désir sans croyance, ni croyance sans désir. Certaines marques sont transactionnelles et représentent « le meilleur rapport qualité/prix » ou « le meilleur rapport effort/résultat ». Elles sont à l’origine du branding. De Bic à Google en passant par Pampers ou Amazon, la plupart des méga brands mondiales se recrutent dans cette catégorie. Ceux qui désirent des « faits », des chiffres et des preuves recherchent ce type de marques. Ils sauront défendre leur choix avec des arguments rationnels. D’autres marques insistent sur leur apport « sociétal ». Désormais, les consommateurs exigent de plus en plus de mettre leurs actes en conformité avec leurs idées. On peut alors parler d’une fonction « aspirationnelle » des marques qui vantent d’abord leur « raison d’être » dictant leur activité.

 

Sauver la planète, la biodiversité, la diversité humaine est un enjeu planétaire que toutes les marques adoptent plus ou moins. Certaines se mettent en véritable symbiose avec leurs consommatrices et consommateurs pour « le bien, le good de tous ». L’ex-patron de Danone y perd son job, mais du lait végétal Oatly aux vêtements Balzac Paris en passant par des mouvements plus anciens comme celui de Dove, les marques montrent souvent l’exemple. Les consommateurs, toujours en quête de repères, voient qu’elles le font (ou essayent de le faire) avec sincérité pour la plupart. Elles ont trop à perdre, côté réputation, pour tricher ! Ceux qui désirent la magie de l’émotion venue tout droit du combat des idées chercheront ces marques « engagées ». Ils sauront parler de « leur » marque avec la passion de l’avocat défendant la plus noble des causes.

 

Marques miroirs

Et puis il y a des marques qui nous rassemblent. L’être humain a un besoin impérieux, un désir de vivre en communauté, en communion avec ses semblables. Mais avec qui précisément ? Les marques deviennent alors le miroir de cette humanité en quête d’elle-même. On sera H&M, Zara, Gemo, Hermès comme on roule (encore) en Porsche, BMW, Mercedes, Toyota, Volkswagen, Audi… même si on comprend que la plupart des composants des véhicules sont communs. « À quoi ressemble cet autre conducteur de la Land Rover Defender ou de cette Prius que je viens de m’acheter ? » La fonction identitaire est la plus importante des fonctions des marques. Dis-moi tes marques, je tracerai une carte de tes désirs ! Les étiquettes ne sont jamais neutres. Ceux qui cherchent « à se raconter et à se la raconter » aiment cette quête identitaire que leur procurent certaines marques. À commencer par Apple, bien sûr2, et son toujours actuel « Think different ». Nike et son « Just do it » ou L’Oréal, « Parce que je le vaux bien ». Les marques ont compris que pour nous rassembler autour d’elles, elles devaient nous ressembler.

 

Ce besoin d’affirmer sa différence, celle de l’individu souverain, émetteur impérial sur les réseaux sociaux, est inhérent au concept même de marque, celui de la story. Un produit ne se raconte pas. Une marque parle d’elle-même et exprime les désirs de ses afficionados. Avez-vous assisté à un « focus group consommateurs » ? Elles et ils sont intarissables sur leur « expérience » avec telle ou telle autre marque qu’ils opposent à « la leur » comme des gladiateurs de l’antiquité lors de discussions souvent passionnées, véhémentes parfois. Comme si la légitimité de leurs désirs était contestée par un autre consommateur qui préférerait la marque adverse. Êtes-vous Apple ou Samsung, muscat ou pineau, Nike ou Lacoste, Tik-Tok ou Facebook ?

 

Toute marque est récit. Il fait partie de notre récit intime. Tant que les humains auront de la tendresse pour eux, un désir d’être, ils auront besoin de se raconter pour exister. Ils auront alors ce désir de marques surtout si les éleveurs de marques savent les amener à devenir des marques mythiques, des représentations concrètes et symboliques, quasi universelles qui s’imposent dans le paysage de nos imaginations par leur récit, leur narratif souvent publicitaire. Développer une marque mythique, iconique revient à traiter dans une même marque les trois fonctions. La marque mythique semble irremplaçable, car son consommateur (et souvent la société) la pense utile, bienfaitrice de la société sur un point ou un autre et représentant une partie de l’humanité. Air France, malgré ses déboires financiers, ne peut pas disparaître, clament en cœur politiques et citoyens. Pendant le confinement, on faisait la queue en voiture pour aller chez McDo comme si on ne pouvait se passer ni de sa nourriture ni de son symbole. On a voulu tuer André, mais la marque centenaire résiste et les bonnes fées du désir continuent de se pencher sur son berceau.

 

Désir de marques ? Désir de soi, tout simplement. Tant que les humains auront le désir de vivre, les marques auront le droit de vivre. Car elles représentent ce qui est le plus spécifiquement « sapiens », l’espoir d’améliorer sa perception de la vie. Les marques bien gérées, avec honnêteté et ambition, n’ont aucun souci à se faire. Les êtres humains ont besoin de ces « petites mythologies contemporaines » comme ils ont besoin de l’air, de l’eau et de leur identité narrative pour survivre. Le verbe des marques fait partie de la conjugaison de la vie. Il manque définitivement à la pyramide de Maslow la fonction narrative dans les besoins fondamentaux à satisfaire avant toute autre considération ! Au début était le verbe.

 

 

 

 

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