Quand on parle de doter un fleuve ou une forêt de droits, on s’imagine vite une bande de hippies débraillés, fascinés par l’hypothèse Gaïa. Et bien détrompez-vous, car l’Assemblée générale des Nations unies en personne encourage depuis la fin des années 2000 à reconnaitre des droits à la nature. Elle dispose d’une Assemblée des Nations Unies pour l’environnement qui, aux côtés d’autres institutions, reconnaît et conforte les droits de la nature octroyés par les différents pays du globe. Une stratégie juridique qui permet d’affirmer le droit des vivants à exister, mais aussi de défendre les rôles écosystémiques de la nature, au premier chef desquels la photosynthèse, c’est-à-dire l’air qu’on respire et la nourriture que nous mangeons.
L’Équateur, un cas d’école historique
La première initiative est née en Équateur, petit pays d’Amérique Latine qui bénéfice d’une jungle amazonienne aussi luxuriante que ses gisements de minerais et d’hydrocarbure. Cette tension structurelle entre patrimoines naturels et intérêts économiques a longtemps opposé l’État, influencé par les pétroliers, aux fondations indigènes. Malgré un rapport de force défavorable, le nécessaire respect des droits de la nature a été inscrit dans la Constitution équatorienne en 2008. Un jeu de jurisprudence et d’interprétation a commencé, la question étant de savoir si les juges allaient se saisir sérieusement de ce nouvel arsenal juridique. En 2011, les juges de la Cour constitutionnelle ont considéré que les inondations causées par des travaux routiers à proximité d’un fleuve violaient les droits de la nature. Un précédent qui fit définitivement pencher la balance en faveur des protecteurs du vivant. D’après la juriste en droit international Valérie Cabanes, sur les trente procès de ce type intentés en Équateur, vingt-cinq ont été gagnés au nom des droits de la nature. Un cas d’école emblématique de la puissance du droit et de la jurisprudence de la Terre, notamment dans sa capacité à juguler notre avidité pour la manne financière que représente les hydrocarbures.
Nouvelle-Zélande, Colombie, Bangladesh et récemment le Canada
D’autres pays ont suivi, mais en adoptant une autre technique : l’attribution d’une personnalité juridique à une entité donnée. En mars 2017, le parlement néo-zélandais a accordé à un fleuve Maori – le peuple autochtone de Nouvelle-Zélande – le statut d’entité vivante et de personne morale. Ce fleuve ancestral, plus long cours d’eau du pays, est considéré comme sacré par les Maoris. Grâce à sa personnalité juridique, il est depuis protégé par un avocat de la tribu locale et un avocat du gouvernement, et peut obtenir réparation en cas de dommages. Quelques mois plus tard, c’est au tour de la Cour Constitutionnelle colombienne de doter le Rio Atrato d’une personnalité juridique. Une décision rendue nécessaire par le caractère central du cours d’eau : biodiversité exceptionnelle, voix de déplacement principale, unique lieu de pêche, déforestation etc. Des gardiens du fleuve sont nommés pour diagnostiquer le Rio Atrato et en assurer la protection. En 2019, la Cour Suprême du Bangladesh est allée encore plus loin en dotant l’ensemble des fleuves et des rivières du pays d’une personnalité juridique. Avec ces centaines de cours d’eau, la justice bangladaise tente de protéger une bonne partie du plus grand delta du monde – le delta du Gange, une myriade de fleuves qui se jettent dans la mer. Début 2021, c’est le Canada qui à son tour a reconnu une personnalité juridique à la rivière Magpie. Une succession de décisions qui marquent la consécration des droits à la nature à travers le monde.
Où en est l’Europe ?
De son côté, l’Europe reste pour le moment timide. Les Pays-Bas y réfléchissent concernant la mer des Wadden, idem pour l’Espagne concernant la Mar Menor, une lagune au sud du pays. En France, le débat reste pour le moment cantonné à la sphère écologiste. Pourtant, notre arsenal juridique ne reconnaît explicitement aucun droit spécifique à la nature ou à un écosystème. En revanche, les parcs nationaux de l’hexagone sont protégés, tout comme les espèces menacées. Il y a également le préjudice écologique pur, consacré dans le Code civil depuis 2016, qui oblige une personne responsable d’un préjudice environnemental à le réparer. Mais ce principe nécessite qu’une catastrophe ait déjà eu lieu. C’est peut-être du côté de la charte de l’environnement, intégrée à la Constitution française en 2005, que le levier serait le plus pertinent. Il prévoit en son article 2 que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Un texte qui pourrait être appuyé par le Conseil Constitutionnel en cas de transposition dans la loi. Il ne manque donc plus qu’une volonté politique suffisamment forte pour faire de la France un pays pionnier en matière de protection du vivant.