28 juin 2020

Temps de lecture : 7 min

Denis Gancel: « Le consommateur devient plus que jamais consocitoyen »

Les Français veulent une France plus équitable, citoyenne, verte et efficace, où ils seraient des acteurs-clés. Et dans cette France idéale les marques ont un vrai rôle à jouer. Tels sont les principaux enseignements de la 1ère édition du baromètre Contributing® lancée par l’Agence W avec l’Institut CSA. Entretien avec Denis Gancel, Président de W.

Les Français veulent une France plus équitable, citoyenne, verte et efficace, où ils seraient des acteurs-clés. Et dans cette France idéale les marques ont un vrai rôle à jouer. Tels sont les principaux enseignements de la 1ère édition du baromètre Contributing® lancée par l’Agence W avec l’Institut CSA. Entretien avec Denis Gancel, Président de W.

Comprendre les nouvelles attentes des consommateurs vis-à-vis des marques. Clarifier les facteurs de confiance, identifier les secteurs et les marques les plus attendues sur le sujet et celles jugées aujourd’hui comme les plus contributives : tel est le but de la première édition* du baromètre Contributing® initié par l’Agence W avec l’Institut CSA.

– Premier constat: le consommateur acteur-clé du changement de la société.

« Nos compatriotes sont des citoyens de plus en plus intransigeants et plus que jamais en action, 35% veulent une France citoyenne avec des Français et des entreprises qui contribuent davantage à améliorer notre société », souligne Yves Del Frate, président de CSA. Le message est clair à l’intention de nos gouvernants et de nos entreprises : un Français sur deux réclame une France plus juste (49%). Mais ils pensent que cette France plus juste sera avant tout construite par leurs pairs. 56 % estiment en effet que « les consommateurs sont des acteur-clés du changement de la société » (56%), suivi du Gouvernement (50%) et des entreprises, notamment les PME pour un Français sur quatre

– Deuxième enseignement : être une marque leader ne suffit plus.

« La proximité et transparence sont de puissants leviers de confiance », commente Yves Del Frate, une remaque qu’INfluencia avait misa en évidence dans sa revue 32 « L’Odyssée des territoires ». Parmi les facteurs de confiance, 55 % des interviewés citent le « Made in France », 53%, la transparence des informations communiquées et 51%, le lieu de production des produits. Mais mesdames les marques attention : seuls 10% mentionnent le fait qu’une marque soit leader sur son marché !

– Troisième constat : le local, la marque employeur, et l’aspiration à donner du sens sont des attentes fortes.

Le Made in France émerge en tête des enjeux prioritaires pour les marques (44%) selon les Français. Un résultat, souligne Denis Gancel, Président de W et fondateur de Contributing(r) Advisory, qui confirme bien ceux du 5ème baromètre W&Cie sur la Marque France d’avril 2018. « Au global, la création d’une marque France était plébiscitée par 92% des Français. Celle-ci est vue comme porteuse de valeurs d’ordre économique et commercial mais aussi politique et social ». En deuxième position, on trouve le suivi de la protection de l’environnement (37%) et en trois la santé des consommateurs (36%).

La recherche de sens pour les marques et entreprises et leur contribution positive sur les enjeux de la société est en effet essentielle pour les consommateurs. (NDLR,  IProspect le relevait en 2019 dans Influencia, la quotidienne) 57% des interviewés considèrent qu’elle doit être prioritaire (seuls 6% estiment que le business est prioritaire). D’ailleurs, entre deux emplois semblables, si 32% opteraient pour celui qui est le plus près de chez eux, 21% choisiraient celui « qui contribue le plus à améliorer la société ».

– quatrième enseignement : 56% des Français sont incapables de citer une marque contribuant à améliorer la société.

De nombreux secteurs sont attendus par les Français sur le sujet de la contribution sociétale des marques. Pour 44%, l’alimentation est celui qui doit aider davantage à améliorer la société, suivi par les transports et l’énergie (42%), les banques et assurances (41%), un secteur toutefois perçu comme peu contributif. Pour autant 56 % de nos compatriotes ne citent aucune marque contribuant, selon eux, à améliorer la société. Et 12 % estiment même qu’« aucune marque ne contribue à améliorer la société ». Parmi les marques perçues comme les plus contributives ; Biocoop, Carrefour et Danone.

Production localisée en France, protection de l’environnement, protection de la santé des consommateurs, proposition de prix accessibles à tous, développement du bien-être des salariés, dons à des associations caritatives… pour chaque secteur les consommateurs ont des attentes spécifiques. À titre d’exemple, 53% attendent prioritairement du secteur alimentaire qu’il contribue positivement à la santé des consommateurs. Certes il reste encore beaucoup d’efforts à faire aux marques pour qu’elles répondent aux aspirations de nos compatriotes, mais Yves del Frate se veut optimiste : « Pendant la crise du Covid, beaucoup d’entre elles ont fait des efforts prodigieux. Je vois une grande réconciliation entre le monde de l’entreprise et les Français ». Rendez-vous dans quelques mois pour voir si cette réconciliation aura eu lieu.

* Étude CSA réalisée en ligne du 12 au 17 mai 2020 auprès d’un échantillon représentatif de 1 001 âgés de 18 ans et plus, construit selon la méthode des quotas sur les critères de sexe, d’âge, de profession du répondant, de région et de taille d’agglomération.

INfluencia : qu’est ce que le Contributing® ?

Denis Gancel : nous entrons dans une nouvelle ère. Le Contributing® doit aider le marketing, inventé après la Seconde guerre mondiale pour relancer la consommation, à se réinventer en profondeur, en proposant un nouveau contrat de marque qui, sans jamais renoncer à la créativité et au plaisir de consommer, développe une approche fondée sur le respect, la relation côte à côte, la proximité, la conversation et une plus grande liberté de choix laissée au consommateur. Mais le marketing est mort, fin 2015, sous le marteau de l’Accord de Paris.

Le Contributing® est une nouvelle approche de la discipline marchande, qui ajoute une dimension au marketing : au business, on ajoute le sens. Nous nous sommes appuyés sur les travaux de Bernard Stiegler sur l’économie de la contribution et des valeurs. Il s‘agit d’un filtre stratégique qui permet aux entreprises d’être au rendez-vous des nouvelles attentes des consommateurs et des parties prenantes. Prenant appui sur l’élargissement de la définition de l’entreprise de la loi Pacte, sur les critères ESG et les normes RSE, il relie sens et business, en défendant l’idée de croissance responsable et en faisant évoluer les business models des entreprises. C’est exactement ce qu’a fait Danone depuis 50 ans avec Alexandre Riboud et Emmanuel Faber, qui en sont des pionniers.

IN : pourquoi avez-vous lancé ce baromètre ? Et quelles bonnes nouvelles en tirez-vous ?

D.G. : Jean-Marc Jancovici, dans une interview passionnante à France Culture il y a quelques jours avertissait : « Nous nous dirigeons vers un monde où nous aurons moins de moyens pour plus de problèmes ». Or qu’avons nous fait dans notre secteur depuis les Accords de Paris? Rien. Je me suis dit que les marques étaient en immense danger et j’ai voulu vérifier ce que les consommateurs attendaient d’elles et comment ils réagissaient. Et cette étude révèle deux bonnes nouvelles :

– le consommateur soutient qu’il va changer le comportement des marques et de la société. C’est un renversement incroyable. Pendant des années le marketing a été accusé de façonner les comportements des consommateurs, or aujourd’hui jamais ce consommateur n’a eu autant de pouvoir. Par son acte de consommation, il devient plus que jamais consocitoyen. Et si Pascal Demurger, président de la Maif, a décidé de rendre de l’argent aux assurés pendant la période du confinement, c’est une attitude remarquable mais qui est aussi dictée par une très bonne écoute du marché. C’est maintenant que cela se joue. Les marques ont un vrai rendez-vous avec l’histoire. Aux deux sens du mot rendez-vous : le premier qui fait que c’est maintenant qu’elles doivent agir, et le second, qu’il faut «  se rendre », lâcher prise. Elles ne doivent pas récupérer de façon cynique par la data, ce qu’elles ont perdu. Deuxième bonne nouvelle : la marque France est plébiscitée par les interviewés. Pendant dix ans beaucoup souriaient en nous entendant présenter les résultats de l’Observatoire de la marque France.

IN : quelle doit être la feuille de route pour les marques ?

D.G. : elle est triple. Les marques doivent s’écouter elles-mêmes et écouter le marché. Il y a un travail d’introspection et d’écriture de l’ambition interne qui peut prendre une petite année, où elles doivent réfléchir à leurs valeurs fondamentales, leur légitimé, leur raison d’être et essayer de les formuler. Une raison d’être n’est pas, si elle ne devient pas une raison d’agir.  En définissant leur raison d’être, les entreprises doivent redéfinir leur place dans la société. Pour cela, la démarche se doit d’être inclusive en impliquant et en engageant tout le corps social. Les marques doivent donc également écouter les parties prenantes, se nourrir de regards extérieurs au monde de l’entreprise et du conseil et prendre en compte leurs demandes spécifiques. Cela peut se faire par exemple en impliquant des experts académiques issus des sciences sociales. La rencontre de toutes ces démarches permet un Contributing en action, avec de vrais engagements et peut-être des inflexions du business model.

IN : quels pièges doivent-elles éviter ?

D.G. : cette démarche est nouvelle car elle va de l’intérieur vers l’extérieur des entreprises. Rien n’obligeait La Maif ou Danone à agir comme ils l’ont fait. Ce sont des attitudes responsables. Le premier piège à éviter est donc la non authenticité, ce qui a été parfois la tendance quand les normes RSE ont fleuri sans passage à l’acte. Le deuxième c’est la non humilité. Le corporate avide qui enfonce les portes ouvertes n’est plus du tout d’actualité. Ce qui est attendu, c’est une démarche de preuves et d’actes.

On ne rentre pas dans une démarche Contributing pour vendre le produits, c’est une décision individuelle pour chaque entreprise de se dire : « Je veux faire ma part ». Pendant des années on s’est donné bonne conscience en disant qu’on donnait du travail à des enfants dans des pays pauvres. L’effondrement du Rana Plaza à Dacca en 2013, qui a causé plus de 1000 morts a montré que les ateliers de confection qui étaient dans cet immeuble, travaillaient pour plusieurs grandes marques internationales. Au nom du prix, on était prêt à faire n’importe quoi. Dans toutes les écoles de marketing, on enseignait – et je crois bien que c’est toujours le cas – qu’il « faut savoir vendre et qu’il faut savoir rendre ». Ce n’est plus possible aujourd’hui. Le coeur du sujet est de changer l’optique de la vente, ce n’est pas de la compenser par de fausses bonnes raisons. Le mot important est celui de « responsabilité ».

IN : le consommateur affiche des intentions très nobles, mais dans la réalité est-il pour autant prêt à renoncer aux produits qu’il aime ?

D.G. : le consommateur décidera, en toute connaissance de cause, de ce qu’il faut comprendre des attitudes d’une marque par rapport à une autre. Et là c’est le rôle de la communication de le faire savoir. Certes, c’est un être paradoxal mais il ne faut pas en avoir une vision idéalisée. Il achète avec son coeur et on ne va pas le changer et lui demander d’acheter avec sa tête, il a encore envie – et heureusement – d’achats d’impulsion. Le contributing doit rester joyeux et collectif. La dimension affective est plus que jamais très importante. On le voit bien dans l’étude avec cette dimension de néo-proximité que réclament les Français.

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