Delphine Dauge (ADC): « planer au-dessus des glaciers est une expérience extraordinaire, qui offre une vue sur des panoramas incroyables »
Si vous êtes en voiture avec Delphine Dauge, surtout mettez votre ceinture avant de démarrer. La présidente de l’ADC (Association Design Conseil) et directrice générale de SGK Brandimage répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige.
INfluencia : votre coup de cœur ?
Delphine Dauge : j’en ai deux. Le premier est pour Alexander Ekman, danseur et chorégraphe suédois, qui a réglé la chorégraphie du spectacle de l’ouverture des Jeux paralympiques sur la place de la Concorde, avec 140 danseurs dont seize en situation de handicap. Et il est plus particulièrement pour « Play », un ballet qu’il a créé en 2017, que j’avais vu à l’Opéra de Paris et qu’il va redonner à Garnier (ndlr : du 7 décembre 2024 au 4 janvier 2025). C’est une œuvre ludique et transgressive avec une scénographie impressionnante et décalée : une piscine de balles vertes, des cubes géants suspendus au plafond, des parties de ballons et des courses-poursuites à en perdre haleine. Alexander Ekman est vraiment quelqu’un d’extraordinaire, c’est un danseur et un chorégraphe, mais pour lui la scénographie prime sur l’objet dansé. Il a par exemple revisité Le Lac des Cygnes il y a quelques années et a été assez fou pour mettre 5000 litres d’eau afin de recréer le lac et d’y faire jouer les danseurs… Il faut aller voir son instagram, c’est génial !
Le deuxième coup de cœur, qui est d’ailleurs en lien avec mon coup de colère, est pour un livre sorti en 2023, mais qui a toute sa place à l’heure actuelle avec l’affaire des viols de Mazan. « Triste tigre » de Neige Sinno, raconte l’inceste qu’elle a subi de la part de son beau-père. Ce qui est intéressant dans cet ouvrage est qu’elle parle de ce qui lui est arrivé en analysant les faits et, en même temps, convoque des auteurs comme Camille Kouchner, Christine Angot, Virginie Despentes mais aussi Toni Morrson, William Faulkner, Nabokov… Cela donne une amplitude littéraire magnifique à ce récit poignant avec un côté libérateur à la fin. C’est magnifique. Le livre a d’ailleurs reçu le Goncourt des lycéens.
IN. : et votre coup de colère ?
D.D. : c’est ce qui se passe à propos des viols de Mazan qui sont devenus un procès public… Il y a aujourd’hui des prises de position insensées sur les réseaux sociaux, comme celle de cette avocate qui a dérapé (ndlr : l’une des avocates de la défense s’est filmée dans sa voiture en train de se dandiner sur la musique « Wake Me Up Before You Go-Go » de Wham !, « réveille-moi avant de partir« ). Et surtout les réactions des accusés : certains disent qu’ils sont innocents, d’autres que ce n’est pas grave, d’autres encore qu’ils ne sont pas sûrs ou… qu’ils avaient l’accord du mari. J’ai lu récemment un article de la philosophe Camille Froidevaux-Metterie dans Le Monde sur la honte et l’auteure expliquait que la honte était au cœur de la mécanique patriarcale. Je trouve cela très intéressant, il faut que notre société – et pas seulement les hommes – se questionne sur cette notion de consentement, de honte et de patriarcat.
IN. : la personne qui vous a le plus marquée dans votre vie ?
D.D. : C’est Christine Janin, une femme médecin pas très connue du grand public que j’ai eu la chance de rencontrer. Elle a été la première Française à escalader l’Everest (ndlr : 8848 mètres) en 1990, et la première femme au monde à avoir atteint le pôle Nord sans moyens mécaniques ni chiens de traîneaux, en 1997. Elle a aussi fait l’ascension du plus haut sommet de chaque continent (ndlr : les Seven Summits, soit Vinson, McKinley, Elbrouz, Kilimandjaro, Mont Carstenz et Aconcagua), devenant ainsi la première Européenne à gagner ce challenge. À son retour, elle rencontré plusieurs médecins qui lui ont demandé de raconter ses exploits à des enfants alités dans un hôpital. Et avec un chef de service de pédiatrie à Saint-Louis, elle a ensuite mis en place des stages en montagne. Elle a alors créé en 1994 une association « À chacun son Everest ! », qui accueille dans un chalet à Chamonix des enfants atteints de cancer ou de leucémie, et des femmes en rémission d’un cancer du sein, pour les aider à affronter la phase délicate de l’après-cancer afin qu’ils puissent retrouver confiance, joie de vivre et un nouvel élan de vie. Elle les emmène sur de petites ascensions. Elle organise aussi des expéditions polaires. C’est une femme extraordinaire qui a fait de sa vie un exemple en se disant que cela pouvait aider des gens à se reconstruire.
IN. : votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire
D.D. : c’était de danser. J’ai fait beaucoup de danse classique, j’ai même donné des cours quand j’avais 20 ans. Mais je n’avais pas le niveau. Je savais déjà hélas à 12/13 ans que je n’en ferais pas mon métier. C’est très dur d’en prendre conscience aussi jeune. Je continue un petit peu mais différemment, pour le plaisir. Je fais de la barre au sol notamment. Et je ne me rassasie pas de voir de nombreux spectacles.
IN. : votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)
D.D. : être montée à l’Aiguille du midi à 3842 mètres d’altitude, avec des crampons et descendre en parapente jusqu’à Chamonix, avec un guide, les pieds dans le vide. C’est extraordinaire, si on n’a pas le vertige bien sûr. Moi je ne l’ai pas. C’est une balade à couper le souffle, on plane au-dessus des glaciers, de la Vallée Blanche, on voit des panoramas incroyables.
IN. : votre plus grand échec ? (idem)
D.D. : j’ai planté tous mes concours d’écoles de commerce parce que j’étais amoureuse et que je me suis fait larguer (rires). Le côté positif est que je me suis libérée et que cela m’a permis de faire autre chose dans la vie, de prendre une autre direction et d’aller dans une autre école : l’INSEEC.
IN. : le son ou le bruit que vous détestez
D.D. : avec l’actualité, bien sûr celui des armes. Mais sinon le vrai bruit qui m’exaspère, c’est le bip que vous entendez quand vous ne mettez pas immédiatement la ceinture dans la voiture. Parfois, vous êtes à la campagne, tout est calme, les oiseaux chantent, il fait beau et soudain vous entendez un bip strident. Ça monte au cerveau, c’est insupportable…
IN. : la dernière fois où vous avez été fière de vous
D.D. : si j‘avais droit à une réponse professionnelle, et pouvais citer l’ADC, je vous parlerais de sororité et vous répondrais que je suis fière de promouvoir l’égalité hommes-femmes dans la vie professionnelle.
De façon plus personnelle et aussi plus gourmande, je suis allée un jour suivre un cours de cuisine à l’École Ritz Escoffier. Je n’aurais jamais imaginé pouvoir passer quatre heures en cuisine, à faire – et réussir – des plats aussi compliqués, comme un chevreuil en sauce. C’était un moment jubilatoire. J’ai appris par exemple à faire un caramel parfait, très utile dans toutes les tartes tatin. L’idée est de mettre du beurre et très vite d’ajouter du sucre, de le faire brûler et de sortir le caramel très vite. Depuis, je fais toujours mon propre caramel.
IN. : quel artiste emmèneriez-vous sur une île déserte ?
D.D. : sans hésitation Lang Lang. C’est un pianiste incroyable, et il a cette espèce d’espièglerie, de spontanéité, d’envie de jouer. Il faut l’écouter et aussi le voir. Il réinvente tout ce qu’il joue : que ce soit les variations Goldberg de Bach, ou Rachmaninoff. En plus il a collaboré avec Quincy Jones, Eminem, Bruno Mars, et Drake ! C’est un des plus grands pianistes vivants mais il ne se contente pas d’être le maestro absolu. Il a une performance scénique qui va bien au-delà de l’excellence pianistique.
*l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».
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