Idée n°1 : ressentir la vista des pionniers du direct. Plus d’un demi-siècle en arrière, l’enthousiasme des pionniers de la télévision, leur sens pratique et de l’adaptation a en soi valeur d’exemplarité. «Ici Cognacq-Jay, à vous les studios! » : l’expression date d’un temps lointain, celui de l’ORTF, mais on s’y croirait presque. A l’époque, les «speakers» partis en reportage redonnaient ainsi l’antenne aux présentateurs restés en studio, les «hommes troncs» tels qu’on les surnommait alors. Dans ce monde d’hier, on parlait de studio, de duplex, de mondovision et de liaisons satellites. La présentation télévisuelle (en distanciel d’aujourd’hui) en duplex (dans son appartement) était une épreuve pleine d’imprévus ! Les liaisons satellites (le wifi et la bande passante) n’étaient pas toujours de qualité, tant et si bien que l’image se brouillait soudain ou que la mire, ainsi qu’on appelait l’écran d’attente de la diffusion, réapparaissait parfois (l’équivalent de la salle d’attente de la visio-conférence).
Bref, tout ne se passait jamais comme prévu : des micros restés ouverts, des conditions techniques difficiles, des discours interrompus, des personnes malencontreusement dans le champ, une mauvaise liaison avec SVP 11 11 (l’équivalent du chat) et bien d’autres aléas. En quoi parler de progrès? Au-delà de la sémantique, rien ne différencie vraiment ces deux expériences médiatiques d’un siècle à l’autre, exceptée peut-être, mais est-ce un progrès, la «tenue d’intérieur» (le bas de jogging pour certains aujourd’hui)? Si, une chose. On distinguera une chose, indicible, mais elle est essentielle.
«Ici Cognacq-Jay, à vous les studios!»
Le ressent si bien au ton de ce claquant « «Ici Cognacq-Jay, à vous les studios!» Il s’agit d’un sentiment assez complexe à définir, qu’on néglige trop aujourd’hui, presque blasés par la facilité de la technique : ce sentiment, plus même, cette conscience de faire partie de l’histoire et de pouvoir l’écrire! Chaque direct était vécu comme une aventure éditoriale. Pour le reste, sur la forme et selon la formule alors consacrée, c’étaient les « joies du direct». Cela paraitra peut-être dérisoire mais dans la période actuelle où chaque jour se vit dans un présent permanent, il faut voir ces deux années 2020-2021 pour ce qu’elles sont aussi très positivement à l’échelle de l’histoire centenaire de la communication des entreprises : une formidable accélération, la perspective de nouveaux modes d’expression et de représentation. Cette conscience de l’époque a quelque chose de très vivifiant.
Notre époque permet de changer de posture.
Editorialement, graphiquement et visuellement, en visio, tout reste à imaginer. Idée n°2 : s’inspirer des philosophes Les grands orateurs et rhétoriciens de l’Antiquité inspirent aussi des pratiques futées et amusantes. L’agilité, cette vertu cardinale si souvent revendiquée depuis des années, est devenue le maître mot. Comment faire, assis devant un écran? Ceux qui avaient l’habitude d’appuyer leur discours par une gestuelle travaillée, de marcher sur une estrade ou de se tenir debout ont été privés de leurs appuis habituels. Pour l’heure, Aristote, le philosophe péripatéticien et adepte de la déambulation, ne leur sera guère d’un grand secours. Il reste possible de marcher, son téléphone au bout d’une perche, mais la réunion pourra vite se transformer en la visite d’un bien immobilier. En visio, l’attitude corporelle reste importante, mais l’élocution devient primordiale. Démosthène avait une méthode un peu particulière, qui consistait à parler avec de petits cailloux dans la bouche pour lutter contre son bégaiement naturel. Elle a fait sa réputation. Il est devenu l’orateur le plus connu et le plus talentueux de la Grèce antique!Et enfin, Platon bien sûr. Dans une réunion classique, dite en «présentiel», la capacité d’attention est de 52 minutes…! En visio, rien de tel. A l’apparition de premiers écrans noirs, il est peut être déjà trop tard. Pour faire participer son auditoire au maximum, Platon avait poussé le processus à l’extrême en se contentant de poser des questions ! Soumettre une idée à la critique, demander un avis ou même sonder l’opinion des participants sur un sujet précis est un moyen très efficace de conserver leur attention. Ce ne sont là que quelques idées parmi d’autres. Un fil solide les unit : dans les périodes compliquées, la flamme créatrice vient parfois du seul pouvoir de s’émerveiller et de se dépasser.