On connait le « roman » de Diderot, étrange texte sur un voyage, plutôt une « conversation » où Jacques, valet bavard et philosophe raconte à son maître ses aventures et sa vision de la vie. En regardant nos dirigeants, on peut retrouver ce sentiment de « fatalisme ». Obama, impuissant face au congrès, Hollande face à ses ministres, Merkel face à la crise européenne et même Berlusconi pleurant face à son destin… En marketing, on commence aussi à observer cette même tendance au fatalisme.
Voici le début du texte de Diderot « Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. »
Le mythe de l’impuissance, ou le « diesel » du pouvoir
Toute activité humaine est fondée sur un « moteur à quatre temps » : la naissance, le développement, la durée, la mort. Toute vie est énergie pour éviter ou retarder la mort. Sur le plan physique, moral, économique, managérial… Quand un moteur tourne plus lentement, il « dure » plus longtemps. C’est le principe du moteur diesel qui a la réputation d’une meilleure longévité. On a le sentiment que nos élites, une fois le pouvoir conquis se mettent en mode Diesel, en impuissance programmée. Certes, ils continuent de bien raisonner et leurs discours sur le plan théorique et moral sont impeccables. Mais on peut aussi avoir l’impression qu’ils « ne font plus rien » ou du moins, se mettent en mode ralenti. Est-ce le « bon truc » pour être réélu ? Peut-être. En tous cas, cela n’a pas si mal « marché » pour Obama et Merkel. Notre président se ménage-t-il pour nous aménager un second mandat ? Sans doute, l’exercice du pouvoir est-il difficile en démocratie. Un certain fatalisme de l’inaction semble y primer. « Est-ce que l’on sait où l’on va », nous disait le valet bavard et philosophe.
La fracture générationnelle
Ce grand écart entre fulgurance de la pensée (nos dirigeants politiques sont de « belles mécaniques intellectuelles » pour la plupart) et la lenteur de l’action, l’étroitesse des réformes peut nous choquer, et en particulier, les nouvelles générations qui sont des générations de l’action*, de la « praxis ». Nous avons notre avenir au bout des doigts et ceux-ci restent rarement longtemps engourdis. Nous avons le sentiment de piloter notre avenir alors même que le débat sociétal semble se noyer dans la palabre et l’inaction. Or les gens, vous et moi, nous avons voté pour que nos leaders nous conduisent quelque part. Mais décider de la voie et de s’y tenir est bien difficile. Le professeur Bruno Latour développe une belle métaphore « Tout randonneur le sait bien : c’est une chose de parcourir avec courage un sentier de grande randonnée, mais c’en est une autre de décider, en face de poteaux indicateurs dont on comprend mal les indications, dans quel sentier on doit s’engager** » . Les twitts de nos élites politiques allaient dans le bons sens, ils engageaient un nouveau comportement, mais désormais censurés, ils se font bien rares.
A-t-on pris le parti du fatalisme et la partie pour le tout ? Diderot, désespéré raillait le fatalisme ambiant en 1783, six ans avant la révolution française.
Georges Lewi
Mythologue, spécialiste des marques / mythologicorp.com
* Voir G. Lewi. « Les Nouveaux Bovary : génération Facebook, l’illusion de vivre autrement » (Pearson 2012) et le roman « bovary21 » (Bourin-Editeur 2013)
** B. Latour. En quête sur les modes d’existence. La découverte. 2012