Dans les années 2000, avec l’avènement d’internet, tout semble à portée des humains : communiquer partout dans le monde, avec tous, construire ensemble un monde meilleur, permettre aux universitaires (et aux autres) de wikipédier, trouver immédiatement ce qu’on cherche du moins évident au plus confidentiel. L’humanité semble ne plus rencontrer de barrières à son développement et à sa puissance. On parle alors de réalité humaine augmentée, et tout devient jeu car tout a l’air permis. La langue de la toile est universelle comme le fut le cas du temps de cette tour, dont certains archéologues disent qu’au sommet il y aurait eu un lit pour une femme qui attendait l’homme qui le premier saurait l’atteindre. En somme, une belle histoire de princesse ! Mais personne ne put jamais atteindre, selon le mythe, ce sommet tant envié !
On a failli atteindre nous aussi l’uniformité
La conséquence est visible: marques globales, centres commerciaux se ressemblant tous, semblant de pensée unique, images uniques faisant en un click le tour de la blogosphère… La tour de Babel que nous construisons est peut-être bien une parodie de l’indifférenciation, du désir mimétique poussée jusqu’à l’outrance, de la quête de l’uniformisation qui conduit l’humanité à se croire une et toute puissante. Crise de la démesure d’une humanité uniforme qui se croit au-dessus de tout !
Internet, lieu de discorde
Mais comme dans le récit mythique, cette belle uniformité prend fin sous nos yeux incrédules. On découvre que désormais la toile est aussi le relai de toutes les oppositions, de toutes les confusions de langage, de bonnes et de très mauvaises idées, de tous les clans, de tous les racismes et de toutes les idioties. Internet devient lieu de rencontre des communautarismes qui ne parlent qu’entre eux et ignorent tous les autres. Et d’internet à la rue, aux salles de spectacles, il n’y a dorénavant plus de barrières puisque la confusion des langues est actée et que chaque groupe parle la sienne, ignorant qu’il fait -encore- partie de la seule communauté possible, celle des humanoïdes, de la seule race possible, la race humaine. Après Babel, il y eut, selon le même récit mythique, le déluge, la destruction de toutes ces gens qui ne songeaient qu’à se battre entre eux. Et l’humanité recommença à se construire, à partir de rien, comme dans « Avengers ». On efface et on recommence tout.
Babel21 : Il n’y aura plus jamais une seule société. Mais il faut vivre avec
Mais cette discorde n’est-elle pas, en fin de compte, une chance pour nous tous ? Car cette diversité, symbolisée par la multiplicité de signes et de symboles , par des manifs du dimanche à l’opposé de celle du samedi nest-elle pas le fondement même de l’humanité, de la diversité humaine, depuis toujours ? C’est à partir de la diversité que tout s’enrichit, se mêle, se fertilise, se renforce. Le web encourage la parole des macros et des micros-communautés. Cette forme de facilité à s’exprimer, tranquillement, chez soi, bien à l’abri présente un risque d’éclatement d’une société uniforme, jugée trop lisse, mais également encourage le développement de pensées et de logiques alternatives. Il n’y aura, sans doute, plus jamais une seule société. Désormais se bâtissent, comme aux temps immémoriaux où les humains ne se comprenaient déjà plus, de multiples sociétés. Le web doit nous apprendre à vivre côte à côte et à communiquer entre nous. Pour éviter un nouveau déluge ! C’est son prochain défi et le nôtre…
Georges Lewi
Mythologue, spécialiste des marques.
www.mythologicorp.com
(*) étymologie du mot Babel