16 septembre 2024

Temps de lecture : 4 min

De nombreux facteurs peuvent impacter la couverture médiatique d’un conflit

Qu’apprend le traitement médiatique d’une guerre aux observateurs, à la fois médias et civils ? À l’heure tragique de nouveaux conflits israélo-palestiniens et en Ukraine, le sujet nous est soufflé ; nous avons posé la question à Camille Pettineo, qui travaille sur l’objectivation de l’information à l’aide de métriques inédites produites par l’INA. Ses conclusions publiées sur La revue des médias* sont le fruit de l’analyse sémantique et volumétrique des données partagées par l’INA. Un article extrait du livre blanc "Médiascopie d'un pays" en collaboration avec le SIG.

Qu’est-ce que votre analyse de la couverture médiatique de ces deux conflits vous a appris ?

Le premier enseignement réside dans la cristallisation par la couverture médiatique des conflits lors d’épisodes violents ou de points de bascule. Pour le conflit en Ukraine, par exemple, les pics d’attention médiatique des deux dernières années correspondent au séquençage de la guerre avec : l’invasion russe, les bombardements intensifs, les déplacements des troupes stratégiques, puis la résistance ukrainienne ou des points de bascule comme la marche des hommes de Prigojin vers Moscou.

Conflit en Ukraine : 79 292 UBM

À l’inverse, ces conflits sont beaucoup moins traités d’un point de vue diplomatique ou politique. Entre 1995 et 2023, seulement 6% des descriptions des sujets de JT se rapportant au conflit israélo-palestinien mentionnent le terme «diplomatique » et/ou « négociation » entre les deux pays2. Lorsque nous l’avons interviewé, Xavier Guignard, du centre de recherche indépendant Noria Research et spécialiste de la Palestine, expliquait cela en partie par l’absence d’avancée politique et diplomatique. C’est souvent l’action militaire qui guide l’attention. Ce que nous ont confirmé Arnaud Mercier, au Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias (CARISM), ou des chercheurs spécialistes des questions russes ou ukrainiennes comme Anna Colin Lebedev, politologue spécialiste de la société post-soviétique, ou Alexandra Goujon, politiste et l’une des rares spécialistes de l’Ukraine en France.

Y a-t-il une différence d’intensité dans la couverture médiatique des différents conflits ?

Nous nous sommes penchés sur cette question après que le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé le 4 novembre 2023 que «la guerre au Proche-Orient détourne l ’attention » de celle qui sévit toujours dans son pays1. Et pendant les premières semaines de résurrection du conflit israélo-palestinien, effectivement, les Européens ont détourné le regard, suivant la forte prégnance du conflit en Ukraine dans les médias.

Trente jours durant, après l’assaut du Hamas, la guerre en Ukraine n’est plus mentionnée que 688 fois par jour en moyenne sur les chaînes d’information en continu, soit trois fois moins que lors du mois précédent(1992 mentions quotidiennes en moyenne). Cela s’explique notamment par le fait que les attaques du 7 octobre ont surpris le monde médiatique au moins autant que la société civile, ce que nous a confirmé Bastien Morassi, directeur de la rédaction de LCI, évoquant un « effet de souffle ».

Plus globalement, nous avons pu mesurer que la couverture de la guerre en Ukraine a été divisée quasiment par quatre dans les JT de 20 heures (3,6) par rapport à la première année, par 2,5 dans les matinales radio et quasiment de moitié (1,7) sur les chaînes info. Un chiffre qu’il faut relativiser pour les chaînes info à cause du choix de LCI de couvrir plus que ses concurrents la guerre en Ukraine.

On peut y voir plusieurs explications. Dont le fait que les rédactions ne peuvent pas envoyer des journalistes sur tous les fronts. C’est valable au sujet des conflits, ça l’est aussi pour la couverture des catastrophes naturelles. De nombreux facteurs peuvent impacter la couverture médiatique d’un sujet : sa proximité géographique, la capacité des médias à aller sur le terrain… Aujourd’hui, il est très compliqué d’aller tourner en Russie. De la même façon que la bande de Gaza est un terrain auquel l’armée israélienne empêche les journalistes étrangers d’accéder, mais aussi parce que c’est l’un des terrains les plus meurtriers pour les journalistes depuis le 7 octobre 2023, comme le rappelait Reporter sans frontières en janvier 2024**.

Conflit israélo- palestinien : 50 601 UBM

Quelle est la donnée qui vous a le plus étonnée ?

Elle est relative à la couverture du conflit israélo-palestinien. Son indexation dans les bases de données de l’INA induit des jeux d’ombre et de lumière. Sur les trente ans de données récoltées (depuis 1995), la seconde intifada (qui a duré cinq ans) représente la moitié des sujets diffusés2 ! De façon générale, les moments les plus médiatisés correspondent à des moments de violence intense, on peut encore citer l’opération «Plomb durci»(2009) et l’opération « Bordure protectrice » (2024). Là encore, Charles Enderlin, ancien chef du bureau des correspondants de France2 à Jérusalem, nous l’a confirmé : les questions diplomatiques ne font que très rarement l’objet d’une couverture médiatique. Autre source d’étonnement, entre 2014 et 2021, les tirs incessants de riposte ou d’artillerie n’ont que très rarement fait l’objet de nouveaux sujets, comme nous l’avait fait remarquer Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre de recherches internationales (Ceri), qui y voyait une forme de « banalisation » de la violence.

Qu’en est-il du poids du service public dans la couverture de ces événements ?

Cela a été une source d’enthousiasme, car le fait est particulièrement important. Si l’on prend le conflit en Ukraine, le service public se démarque par son traitement dans les matinales radio et aux JT du soir3. À elles seules, les stations France Info et France Inter représentent 62% des mentions de la guerre en Ukraine dans les matinales radio (36 % et 26 % respectivement). France 2 est le premier journal du soir à traiter du sujet. La chaîne France Info est deuxième, juste derrière LCI (52 % des mentions du conflit sur les chaînes d’info en continu). On peut y voir la réussite de la politique de la mutualisation de la chaîne avec France24, dont France Info retransmet certaines tranches. En interrogeant Muriel Pleynet, directrice de la rédaction nationale de France Télévisions, sur la couverture qu’a fait le JT de France2 du conflit russo-ukrainien, sa réponse pointait l’ADN de la chaîne et la réaction médiatique qui lui correspondait, mais on sait qu’il n’est pas si évident de laisser autant de place à l’actualité internationale. Idem pour la matinale de France Inter et de France Info. Cela témoigne d’une volonté éditoriale forte.

*https://larevuedesmedias.ina.fr **https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/ conflit-israel-hamas-il-y-a-une-veritable-eradication-du-journalisme- dans-la-bande-de-gaza-reagit-la-directrice-editoriale-de-reporter- sans-frontieres_6288792.html
1. Source : La revue des Médias / INA, étude inédite des transcriptions des chaînes d’information en continu LCI, CNews, BFMTV et France Info entre le 14 février 2022 et le 9 novembre 2023.
2. Source : La revue des Médias / INA. Analyse basée sur les données documentaires : près de 13 000 notices : reportages, brèves et plateaux diffusés sur les JT du soir des chaînes TF1, France 2, France 3, Canal+, M6 et Arte entre janvier 1995 (date du début du dépôt légal) et juin 2023.
3. Source : La revue des Médias / INA. Étude portant sur les chaînes d’information en continu (BFM TV, LCI, France Info et CNews), les JT du soir (TF1, France 2, France 3 et M6) et les matinales radio (Europe 1, France Inter, France Info, RTL et RMC) portant sur la période allant du 3 janvier 2022 au 31 décembre 2023.

En résumé

Méthodologie : Étude des données documentaires du dépôt légal (service InaThèque) et des transcriptions mises à disposition par le département recherche de l’INA grâce à un outil d’intelligence artificielle (IA) reposant sur la technologie Lium développée par le Laboratoire d’informatique de l’université du Mans.

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