Dans l’écosystème TV-vidéo, la création irrigue toute la chaîne de valeur
La création était le fil rouge de la Matinée 2025 du SNPTV, devenu Alliance des Médias TV & Vidéo (ADMTV). L’occasion de débattre des enjeux de la création audiovisuelle et publicitaire, avant le traditionnel « grand débat » autour des patrons des groupes audiovisuels privés et public. Moments choisis.
En choisissant « La création au service des contenus et de la publicité » pour thème de sa Matinée 2025, le SNPTV, devenu mercredi 26 mars 2025 Alliance des Médias TV & Vidéo (ADMTV), a montré à quel point la création s’insère dans tous les interstices des métiers et de l’écosystème télé-vidéo. Au premier chef dans les contenus… Par sa capacité à toucher une large audience, la télévision permet de « faire changer la société à travers de nouveaux imaginaires », a souligné la romancière et scénariste Elsa Marpeau (Capitaine Marleau, Alexandra Ehle). Au moment où « l’air du temps est épouvantable, créer des imaginaires est une résistance au réel. Il y a de cela dans le divertissement », a noté Bertille Toledano, présidente de BETC et coprésidente de l’AACC.
La multiplication des chaînes, puis l’entrée en vigueur en 2021 du « décret Smad » qui amène les plateformes SVOD à contribuer à la création audiovisuelle, a créé un appel d’air pour la production audiovisuelle. Sur les chaînes linéaires, « la qualité des séries a dû augmenter et il a fallu réinventer les modes de production pour être à la hauteur », a témoigné la productrice Aline Panel (Authentic Prod). Pour retenir ses abonnés, le groupe Canal+ « met en avant l’intensité des contenus et mise sur l’internationalisation avec angle ambitieux de création internationale », a noté Fabrice Mollier, président de Canal+ Brand Solutions. Tous les genres de la création audiovisuelle n’en ont pas profité, a estimé Nicolas de Tavernost, président de RMC BFM, qui constate même une « crise de la créativité » dans le flux depuis le début des années 2010 : « Un format ancien comme le Bigdil a rencontré le succès sur RMC Story mais, hors fiction, le renouvellement est compliqué. Aujourd’hui, il est plus difficile d’imposer une marque. »
Si la créativité est nécessaire, elle ne fait pas tout, a rappelé Rodolphe Belmer, PDG du Groupe TF1 : « Il faut des ressources pour financer structurellement l’info et la création, qui constituent notre différenciation par rapport à des acteurs comme YouTube, et permettent d’avoir les médias dont le pays a besoin pour créer de la cohésion nationale ». C’est aussi « une affaire de cash flow », a renchéri Nicolas de Tavernost.
Nuages et tensions sur le financement de la création
La question des moyens s’est, de fait, invitée dans les différents débats de la Matinée. Grâce au système français mis en place pour financer la création, « on est à la fois dans un âge d’or et dansun marché avec de grandes tensions », a noté Thomas Anargyros, président de Mediawan Studio France, qui pointe notamment la baisse du nombre de séries produites. Il l’explique à la fois par un fléchage des investissements sur les feuilletons quotidiens pour certaines chaînes TNT et, côté plateformes, par des séries plus courtes avec des coûts élevés par épisode ou des films qui sortent en salle. Pascal Rogard, DG de la SACD, voit lui aussi « arriver plusieurs nuages » : « à force de baisser lefinancement de l’audiovisuel public, je ne vois pas comment les obligations dans la création pourront être maintenues ». Une perspective à laquelle se refuse pour l’instant Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions, car « le poumon d’un média, ce sont ses contenus, qui font le succès de france.tv et de la télé linéaire ».
Dans un monde qui se plateformise, la visibilité et le repérage des marques médias sont essentielles pour accéder à la création. « La réflexion collective autour des services d’intérêt général (SIG) est en panne et elle doit reprendre si on ne veut pas se faire manger », a estimé Nicolas de Tavernost. « Il faut réinvestir nos marques média et aller sur ce continent des réseaux sociaux, où nous avançons comme sur des sables mouvants », a fait valoir Delphine Ernotte Cunci. Le chantier est en effet loin d’être gagné, selon le constat de David Larramendy, président du directoire du Groupe M6 : « Les réseaux sociaux sont essentiels en termes de marketing – nos pastilles ont atteint 12 milliards de vues l’an dernier – mais, sur la monétisation, on n’y est pas du tout. Sur certaines plateformes, nous ne pouvons même pas monétiser nous-mêmes les contenus. »
La TV, un allié de poids pour les marques
Sur le volet publicitaire, « quand on est dans une phase de crises successives, le marché a tend à se recroqueviller sur des campagnes court terme d’activation », a noté Franck Farrugia, président de l’Udecam. Pourtant, la pub étant « un moteur à deux temps », jouer le court terme revient à délaisser l’actif de marque et, en réalité, « à sacrifier le moyen et le long terme ».
La télé linéaire ou digitale a servi de socle à de belles opérations menées par les marques, notamment au moment des Jeux de Paris 2024. « Il y a davantage de Français qui ont vu la vasque que les Jeux. EDF a travaillé l’attribution pour valoriser cette innovation, en surfant sur une forme d’agilité que permet la TV pour valoriser et amplifier ce moment », a témoigné Aurélien Pernot, responsable du pôle marques et publicité chez l’énergéticien. Pour LVMH, qui est arrivé assez tardivement dans les JO, il y avait notamment un enjeu d’émergence : « La TV a été un excellent vecteur avec une logique de spots et de billboards. Au-delà de la TV sur l’achat média, le fait d’être présent dans la cérémonie d’ouverture et lors des remises de médailles a permis une présence extrêmement puissante », a poursuivi Hélène Freyss, sa directrice la communication.
Un contrat publicitaire clairement énoncé
La stratégie vidéo d’Orange se déploie souvent à travers des formats longs « compliqués budgétairement à passer en TV », selon Quentin Delobelle, directeur de la communication commerciale de l’opérateur. Sa campagne SaferPhone de Noël, initialement sur un format de près d’une minute ne pouvait pas être cantonnée à la vidéo. « Le film a été transformé en un 2 x 30 secondes en TV et a été la campagne télécoms la plus remarquée. L’écran de télé y a beaucoup contribué », a assuré Quentin Delobelle. Chez EDF aussi, certains spots ont été raccourcis et des films de 15 secondes se sont même avérés plus performants en post-tests que ceux de 45 secondes.
L’Oréal, dont les produits sont présents « dans les salles de bains de 40 millions de Français » veut « contribuer à fédérer la société », indique Céline Brucker, DG de L’Oréal France. Pour sa marque Franck Provost, le groupe a surfé sur le succès de HPI en créant « de la connexion » grâce à des campagnes avec Audrey Fleurot. L’association avec une autre série de TF1, Cat’s Eyes, relevait d’une « vraie intégration de marque avec TF1 et la maison de production autour de l’émancipation féminine », dans laquelle les codes de la marque et de la série se sont croisés, s’est félicitée Céline Brucker.
Quelle que soit la manière de déployer une stratégie de marque à la télévision, les communications s’inscrivent dans un « contrat publicitaire, respectueux des lignes éditoriales des uns et des autres », bien loin du mélange des genres que l’on voit avec les campagnes d’influence, a aussi avancé Bertille Toledano.