5 juillet 2020

Temps de lecture : 4 min

« Dans l’après, je parie sur une communication des actes, et m’en réjouis »

Mariette Darrigrand est sémiologue, directrice de Des faits et des signes, un cabinet spécialisé dans l’analyse du discours médiatique. Puisque notre société est à l’heure de la convalescence, de la réparation, il nous a semblé en abordant « l’après » par la face du marketing que son analyse serait très utile pour expliquer le phénomène du «Good marketing» qui accompagne cette période de déconfinement où l’on aura d’autant besoin de confiance et de réconfort. Écouter l’impact des mots pour dire les maux et comprendre les enjeux sociétaux. Entretien.

Mariette Darrigrand est sémiologue, directrice de Des faits et des signes, un cabinet spécialisé dans l’analyse du discours médiatique. Puisque notre société est à l’heure de la convalescence, de la réparation, il nous a semblé en abordant « l’après » par la face du marketing que son analyse serait très utile pour expliquer le phénomène du «Good marketing» qui accompagne cette période de déconfinement où l’on aura d’autant besoin de confiance et de réconfort. Écouter l’impact des mots pour dire les maux et comprendre les enjeux sociétaux. Entretien.

IN : depuis quelques années, la société de consommation revoit ses codes et ses saveurs. On veut du local et de l’authentique, du vrai, du proche. Ainsi pullulent les slogans, insights, mots clés, noms d’enseigne et discours médiatiques prônant le « good », ce « bon », ce « beau », ce « bio ». C’est quoi au juste ce good ?

Mariette Darrigrand : le « good » correspond à deux mots français différents. Il dit à la fois le bien et le bon. C’est un double sens essentiel pour comprendre le cadre général de notre société actuelle. Elle reste hédoniste, gourmande, ancrée dans le bon, mais elle veut être éthique, se situer du côté du bien par opposition au mal – qui est l’atteinte au climat, à la nature, et pour certains l’injustice sociale. Sur le plan industriel, cela donne un type de producteurs, entrepreneurs nouveaux comme les membres du Tech for Good, les makers, etc. Et aujourd’hui, de manière plus générique, toute entreprise qui veut participer aubien commun. Il faut noter que la notion de « com- mon good» date du rapport intitulé Our Common Future présenté en 1987 à l’ONU par Gro Harlem Brundtland, qui comportait pour la première fois le concept de « sustainable development ». La notion a mis longtemps à émerger, mais elle est centrale aujourd’hui, surtout dans le cadre de la crise que nous vivons.

IN : si les mots disent le monde et ses parties pre- nantes, que traduisent ces mots marketés ?

M.D. : le marketing est un recycleur-transformateur de concepts idéologiques, sociologiques. Il applique des représentations imaginaires et symboliques que la société, désormais mondiale, fait émerger en vérités, en croyances, en aspirations. Il n’invente pas mais adapte intelligemment pour créer des propositions de consommations. Comme toutes les marques ont les mêmes informations, elles finissent par produire un discours qui ressasse le «même», ce qu’en sémiologie on appelle la doxa, l’opinion convenue. À cet égard, le bon fait partie de la doxa. Il faut moins le redéfinir (pour le rem- placer par un autre concept qui deviendra à son tour doxique) qu’en donner sa propre version. Chaque marque doit inventer son glossaire du good en ouvrant quelques grands mots structurants (bien commun, responsabilité, contribution, inclusion, durable…) et les traduire dans sa langue propre, celle de son histoire, de ses rêves, de ses compétences. En tant que sémiologue, c’est un travail de co-création avec les marques que je trouve toujours passionnant.

IN : dans la construction du discours de marque, quelles sont les principales clés, les codes, les fondamentaux linguistiques à prendre en considération ?

M.D. : il faut commencer par reprendre à son compte ses propres mots au lieu de courir après les mots tendance. Si la marque parle par exemple très bien la langue de l’artisanat du bois parce que son fondateur était un ébéniste, depuis longtemps oublié, et qu’elle fait aujourd’hui des accessoires ou de la cosmétique qui n’ont rien à voir, il faut tout de même ouvrir la « malle aux trésors » des mots-maison et revisiter tout ça à partir de l’actualité des produits, des innovations. On vit actuellement un moment où il faut savoir parfaitement hybrider les lexiques ancestraux et les termes les plus nouveaux ou internationaux. C’est magique de voir les marques trouver leur propre écriture, souvent plus poétique, plus authentique et plus efficace que celle qui traîne partout sur les réseaux ou dans certaines pubs…

IN : la crise du Covid-19 ne fait que renforcer l’im- portance et la nécessité du good dans les stratégies et prises de parole des marques. Déjà d’actualité hier, que sera selon vous le good de l’après ?

M.D. : le good doit déjà reconnaître ce qui a été vécu par chacun depuis deux mois. C’est une expérience inédite qui va laisser des traces. Ensuite, il faut comprendre en profondeur ce qui est en jeu. Ce qui devra continuer (par exemple pro- duire des richesses pour de la consommation, de l’emploi, de la pérennité industrielle) et ce qui ne le pourra plus (tous les dysfonctionnements de la production, les aberrations logistiques pour des économies dérisoires aux lourdes conséquences humaines). Il est clair que certains mots ne seront plus possibles, je pense notamment à des notions-clichés comme liberté/freedom ou «choix» porteurs d’une insouciance qui n’est plus de mise… Cela a beaucoup de conséquences sur le monde de la pub et du marketing qui s’est construit sur le modèle du « jouir sans entraves » de la société de consommation. Il y aura bien sûr du plaisir, de la frivolité, du désir d’échapper à la gravité, mais les codes seront différents, plus subtils, plus composites. Ils sont à créer.

IN : au vu de la remise en marche du monde, quel regard portez-vous sur les futures prises de parole des entreprises ? Des changements radicaux doivent-ils opérer ? Un ton, un contexte, un langage particulier ?

M.D. : ce qui va se développer c’est un langage du faire en opposition à un dire discrédité : qui ressasse, sermonne, pérore… L’exemple de la fabrication des masques, dont on a subi la pénurie (un mot des années 1945 qui est soudain revenu, il faut le remarquer), est l’emblème de cette tendance. Avant de parler, de nous dire de manière plus ou moins emphatique qu’elles œuvrent pour le bien commun, les entreprises auront à prouver qu’elles « font », qu’elles « font sans attendre». Je parie sur une communication des actes. Et m’en réjouis. Cela n’effacera pas l’importance des mots, bien au contraire : moins nombreux, plus choisis, plus personnalisés, cruciaux.

Cet article est tiré de la Revue INfluencia n°33 : « Le Good : Dessine-moi un monde nouveau ». Cliquez ici pour découvrir sa version digitale. Et par là pour vous abonner.

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