INFluencia : vous venez de publier un nouvel ouvrage intitulé Le Big Quali*. Qu’est ce que le Big Quali ?
Daniel Bô: le Big Quali, c’est une démarche qualitative à grande échelle et en profondeur. À l’heure du Big Data, toute marque a accès à une masse de données qualitatives (photos, vidéos, témoignages, etc.). Mais il n’est pas facile d’exploiter cette matière sans s’y noyer. La réponse réside dans le Big Quali, une méthode qui permet de faire émerger des solutions originales et pertinentes et rend les études qualitatives plus riches et attractives au travers du numérique.
IN. : d’où viennent ces données et que peut-on en faire ?
D.B. : il s’agit de données observées sur le web, les réseaux sociaux ou dans la vraie vie mais aussi de données suscitées auprès des consommateurs – questions ouvertes, forums, communautés, self-ethnographie. Elles permettent de bénéficier d’une multitude de points de vue indépendants et de généraliser des règles à partir d’une vue panoramique alliée à une analyse culturelle. Cette veille à grande échelle rend créatif de différentes façons : par l’identification de pépites qui illustrent des voies nouvelles, par le repérage de règles à suivre ou à transgresser, par la constitution de « matrice de découverte », un tableau à double entrée, qui permet de confronter deux univers étrangers afin d’en créer un troisième inédit.
IN. : le Big Quali ? Pour qui ?
D.B. : pour la communauté du marketing mais en particulier pour les planneurs. La fonction du planneur stratégique est de comprendre les potentialités d’une marque donnée, les besoins des consommateurs et les tendances qui traversent la société afin d’orienter à la fois la stratégie et les créations. Le planneur est régulièrement confronté à des masses de données quali issues d’experts, de lectures et de veille. Les planneurs stratégiques sont attendus pour ouvrir le champ des possibles et identifier des opportunités. Avec les outils du Big Quali, ils disposent d’une masse de données inspirantes et peuvent illustrer leurs conseils.
IN. : quel est le challenge du Big Quali ?
D.B. : il consiste à obtenir une masse critique de données originales et riches de sens afin de couvrir le champ des possibles. Et à réussir l’exploration créative de ces données. Passer en revue, analyser et comparer une masse importante de données qualitatives permet une compréhension concrète et fine du sujet. Cela donne un « superpouvoir » de comprendre le phénomène dans toutes ses dimensions et d’entrevoir les règles de fonctionnement, les axes d’innovation et d’amélioration et les évolutions. Il faut pouvoir donner plus de place aux signaux faibles et aux courants culturels ascendants, qui ont un faible poids quantitatif mais une grande importance pour éclairer l’avenir et accepter que certains phénomènes ne soient pas réductibles à des données quantitatives. Une solution est d’ajouter à côté de l’indicateur chiffré une synthèse qualitative du ressenti. Certains sujets non directement mesurables doivent être mieux pris en considération. À côté des différents scores d’efficacité, il faudrait promouvoir des critères comme la singularité, l’esthétique, le ravissement, la valeur d’usage, le sens, l’influence positive, le bien-être, l’ergonomie, la pérennité, la sincérité…
IN. : pourriez-vous nous donner un exemple d’analyse d’un marché selon votre méthode ?
D.B. : pour comprendre un marché, il faut collecter et classer une masse de données. Pour étudier les produits alimentaires végétaux, QualiQuanti a ainsi passé en revue plusieurs centaines de produits, des substituts de la viande aux alternatives végétales. C’est l’observation des variations qui permet d’acquérir une bonne connaissance de l’objet et d’identifier ses éléments de force. L’idéal est de s’appuyer pendant deux semaines sur une communauté de consommateurs. Ils sont invités à faire des missions en magasin, réagir aux offres, tester des produits. Ils enrichissent et éclairent le benchmark. Ce balayage permet de comprendre ces produits paradoxaux, à la fois sains et industriels. Ils sont composés d’ingrédients valorisés (céréales, légumineuses, légumes, graines et oléagineux, épices, fruits secs) mais sont transformés. Ils couvrent de nombreuses occasions de consommation mais se présentent comme des produits spécialisés. En flirtant avec spécialisation diététique et régimes spéciaux, ils restent en marge de nos habitudes. Ils ont un gros potentiel mais leurs qualités gustatives sont inégales.
IN. : et pour analyser une marque ?
D.B. : comprendre une marque et identifier ses axes de cohérence demande de réunir toutes ses modalités d’expression. Une marque, c’est un univers culturel, une composition, une construction dans le temps. Ceux qui la décryptent doivent être attentifs aux mots, couleurs, matériaux, lumières, sons. Par exemple, pour la marque de livraison à domicile Frichti, il faut passer au crible tout son univers : identité visuelle, menus, stylisme photographique, marque employeur, tenue des livreurs… Le Big Quali est le moyen pour une marque de construire un ensemble lisible, que l’on peut appréhender par l’intelligence intuitive. L’enjeu ? Trouver une consistance sémantique qui se traduise dans une capacité à communiquer du sens au consommateur.
*Dunod, janvier 2022, Le Big Quali