Provocatrice et iconoclaste, son nom est définitivement inscrit parmi ceux des figures les plus influentes du monde numérique.
Danah Boyd , interviewée dans le magazine SFR Player, examine depuis bientôt dix ans les pratiques liées à Internet et aux réseaux sociaux, en portant une attention particulière à la population jeune et aux questions d’identité, de représentation de soi et de vie privée. L’enthousiasme avec lequel elle parle de ses sujets de recherche est un bon indicateur de son lien et de son usage très personnel d’Internet. Digital native ayant appris seule à coder, passée par l’université Brown (Rhode Island), elle a étudié la sociologie et l’ethnologie au MediaLab du Massachusetts Institute of Technology (MIT) puis à l’université de Californie à Berkeley. Ses recherches l’ont ensuite conduite à travailler chez Intel, Google, Nokia et aujourd’hui, donc, pour la filiale de recherche de Microsoft.
Sa méthodologie ? S’appuyer autant sur les pratiques quantitatives traditionnelles que sur la recherche ethnographique de terrain. Elle s’est, par exemple, intégrée dans des communautés de jeunes, d’habitants de banlieues pavillonnaires, de gangs musulmans à Nashville ou de majors de grandes écoles. Danah Boyd prend position. Elle n’hésite pas à exprimer son inquiétude face à l’usage maladroit du big data pour la recherche en sciences sociales. Dans cet entretien exclusif pour SFR PLAYER, Danah Boyd partage avec nous les sujets qui la passionnent, à l’aube de l’ère de l’Internet 3.0.
Comment définir votre approche de la recherche ?
Danah Boyd : Notre société est à un carrefour dans son rapport aux nouvelles technologies. Comment comprendre cette dynamique complexe ? On peut nourrir de grands espoirs sur ce que les technologies permettent, ou des peurs terribles sur les choses affreuses qui pourraient arriver. Une grande partie de mon travail de recherche consiste à me placer à ce carrefour précis, en disant : OK, prenons un peu de recul par rapport à ces extrêmes, ces espoirs fous et ces peurs absolues. Demandons-nous ce qui est vraiment en train de se passer et essayons de donner du sens à tout ça !
Comment Microsoft, cette énorme structure, utilise-t-elle la recherche ethnologique pour améliorer ses produits ?
Danah Boyd : Microsoft Research est un endroit très spécial. Il a été créé sur le modèle des grands laboratoires de recherche industrielle, comme les laboratoires AT&T Bell ou PARC, chez Xerox. Il y a plusieurs raisons qui poussent les entreprises à créer ce genre d’unité. Je dis souvent que c’est une sorte de « police d’assurance» pour l’entreprise, une manière d’être certain qu’on travaille plus sur le long terme que simplement sur les produits. Une entreprise comme Microsoft, si elle veut innover vraiment, comme elle l’a fait dans le passé, doit s’assurer qu’elle comprend la société et la culture de son temps de manière générale. Une technologie, même si c’est la meilleure technologie possible, ne peut pas fonctionner si elle est en décalage avec la société.
Au sujet des adolescents, a-t-on raison de s’inquiéter (parfois) de leur usage d’Internet ?
Danah Boyd : Les adolescents recherchent un endroit qu’ils puissent contrôler. La plupart des jeunes vont sur Internet pour traîner avec des gens qu’ils connaissent déjà, avec qui ils vont à l’école, et leurs amis. Ils adoptent un environnement particulier, qui devient pour une période donnée leur espace, leur coin… Et puis leurs parents arrivent et il faut rééquilibrer la situation, car avoir les parents et les amis en même temps, c’est très déroutant. C’est pour cette raison qu’ils passent d’un service à un autre, en cherchant un endroit qui pourrait vraiment être à eux.
À la maison, si les ados ont le choix entre discuter avec leur mère ou avec leurs amis par chat ou SMS, la plupart préféreront leurs amis. Le résultat, c’est que les parents paniquent parce qu’ils voient leurs enfants « accros à leur portable », alors qu’en fait ce que ces jeunes veulent vraiment, c’est être avec leurs amis. Une fois qu’ils sont physiquement avec leurs copains, ils touchent rarement à leur téléphone. Cela explique d’ailleurs pourquoi les parents se plaignent que leurs enfants ne répondent pas quand ils les appellent !
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La rédaction