L’accident nucléaire de Fukushima ayant fait suite au tremblement de terre puis au Tsunami dévastateur n’en finit pas de trainer. Les déclarations contradictoires du gouvernement japonais et les rebondissements multiples sur la situation à la centrale font suite à la phobie du nuage toxique planant au-dessus de nos têtes. Un véritable storytelling du pire qui rappelle étrangement des exercices de « désastrologie », cette « science » permettant aux hommes de lire l’avenir dans les catastrophes.
On se souvient de « la Science des Rêves » de Michel Gondry qui mettait en scène un dessinateur de bande dessinée réalisant un « Calendrier de Désastrologie ». Un exercice incarné également par le « Musée des Accidents » de Paul Virilio, qui avait fait grand bruit en 2003 et qui rassemblait des photographies de grandes catastrophes et cataclysmes à la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain.
Virilio y révélait en quoi des événements comme le tremblement de terre de Kobé au Japon ou Tchernobyl (dejà) avaient changé le monde : la peur, l’émotion et surtout les conséquences étant devenues globales grâce à une prise de conscience planétaire. L’exposition et l’œuvre de Virilio avait également une fonction très esthétisante, et montrait en quoi ces images étaient devenues étrangement familières. Normal après tout, car l’accident est «ce qui arrive». Rien n’est plus banal. Une banalité qui se serait installée au-dessus de nos têtes, comme le nuage de Fukushima, avec qui nous allons vivre pendant longtemps. Les spécialistes estiment que la «menace» nucléaire à Fukushima pourrait durer plusieurs mois, voire plusieurs années.
Une véritable épée de Damoclès, au sens propre comme au sens figuré en ce que le nuage est « au-dessus » en position de menace. L’histoire de Damoclès illustre d’ailleurs assez bien l’époque : Denys l’Ancien, prince de Syracuse, flatté toute la journée par un certain Damoclès, lui proposa un jour de prendre sa place momentanément afin d’attester que sa place n’était pas si enviable que cela. Damoclès s’aperçut rapidement qu’une épée était tout le temps suspendue au-dessus de la tête du roi et n’était retenue que par un mince crin de cheval. Denys démontra ainsi que sa position possédait deux aspects : une position de puissance mais à la fois de grande vulnérabilité, la mort pouvant le toucher à tout moment, symbolisée par cette épée.
Cet archétype, ce besoin de se figurer notre propre mortalité pour mieux l’affronter, symbolisée par l’épée de Denys l’Ancien se retrouve dans la production culturelle, comme si celle-ci avait très bien digéré les cataclysmes. Il est frappant de se rendre compte que notre monde a de plus en plus de facilité à s’approprier les catastrophes.
On peut en prendre pour preuve que des films sur le 11 septembre sont sortis à peine 5 ans après les attentats de 2001 alors vingt ans ont été nécessaires pour oser parler de la guerre du Vietnam à Hollywood. L’apocalypse s’est bel et bien installée dans notre paysage culturel et il y a donc fort à parier que des représentations artistiques et culturelles vont très bientôt émerger sur la catastrophe japonaise.
C’est notre statut d’homme qui nous pousse à mettre en avant cette esthétique de la peur. Comme si l’on ressentait le besoin de se représenter le danger pour en prendre conscience et l’éviter. Un débat qui rappelle la position du philosophe Hans Jonas sur le « principe de précaution » : « C’est en exhibant la menace que l’homme fait planer au-dessus de l’humanité qu’il est possible d’éviter celle-ci, de concevoir sa responsabilité »*. Catastrophes, apocalypses, tremblements de terre, vivre avec le danger c’est avant tout y faire face et le transformer en esthétique.
Thomas Jamet – NEWCAST – Directeur Général / Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)www.twitter.com/tomnever
* Lire sur Jonas : « Pour une éthique du futur »