20 novembre 2013

Temps de lecture : 4 min

La Culture vue par le rappeur Oxmo Puccino

Oxmo aime tellement la culture qu’il ne veut en galvauder ni le sens, ni l’utilisation. « La culture aujourd’hui peut être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social », assène-t-il . « Et qui peut caractériser une société mieux que les artistes?... Le lien entre le hip-hop et les marques, c’est une évidence». Le sujet méritait bien un entretien avec l'artiste français…

Article paru dans la revue N°7 d’INfluencia sur La Culture

INfluencia Avez-vous l’impression que les frontières entre culture, business et public ont volé en éclat ?

Oxmo Puccino : Totalement. Andy Warhol nous a fait réaliser que la beauté se trouvait devant nos yeux. Aujourd’hui avec la technologie, tout le monde peut se mettre en scène car nous avons tous sur nous un appareil photo ou au moins un enregistreur. La frontière entre l’artiste et la personne qui fantasme sur lui est très ténue. Je veux dire, la personne qui fantasme sur lui avec talent peut lui aussi faire rêver. C’est du Warhol à l’échelle humaine.

INfluencia : Mais qui sont alors les gens qui amènent de l’affect ? Parce que cela peut être vu comme du mécénat non ?

OP : C’est très aléatoire ! Le plus important, c’est que l’artiste puisse provoquer cet affect. D’ailleurs c’est là sa seule valeur. Ceux qui peuvent en tirer parti – parce qu’aujourd’hui tout est récupéré, ce sont ceux qui ont quelque chose à vendre, ceux qui doivent convaincre de leur bienséance dans la générosité. Tout ce qui pourrait leur permettre d’être élu, comme premier achat, comme guide, comme représentant, tout ça est bon à récupérer. Je vois ça de cette manière, oui. On va construire un monstre pour en tirer un profit, c’est ce qui se passe avec les artistes qui ont de l’influence. S’ils ne font pas attention, ils se retrouvent dans une cause, dans quelque chose qui les éloigne de leur fonction première.

INfluencia : Comment expliquez-vous finalement que votre famille musicale soit à la pointe de l’association avec les marques ? On a l’impression même quelque part que c’est cette communauté culturelle qui invente, innove et va toujours plus loin ?

OP : Socialement, sociologiquement et historiquement l’origine des rappeurs, connue de tous, fait que les marques ont été évoquées plus que dans n’importe quel autre courant. En premier lieu dans l’œuvre, parce que dans une société de consommation à son summum c’est un signe extérieur de richesse. Les rappeurs évoquent la marque, assument la consommation et représentent la société sans aucun complexe, ce qu’on leur a d’ailleurs reproché.

Mais aujourd’hui tout le monde veut des marques, tout le monde veut briller, tout le monde veut être beau, tout le monde veut chanter, tout le monde veut être reconnu. C’est la raison pour laquelle la différence actuelle entre les artistes fantasmés et les artistes avec un grand A est ténue, parce qu’on fait de moins en moins la différence. C’est quelque chose qui demande du temps, un temps qu’on n’a plus. Le lien entre le hip-hop et les marques, c’est une évidence. Le rap a toujours drainé cette notion de business, même maladroitement. Le hip hop a cela de formidable qu’il a décodifié des choses bien arrêtées, artistiquement et culturellement. Il a aussi bouleversé des convictions de manière brutale.

INfluencia : Quand vous intégrez la poésie dans votre univers créatif, vous ne l’accompagnez d’aucun placement de produit. Pourquoi refuser cette monétisation ?

OP : Parce que ça ne rentre pas dans le cadre artistique et que nous n’avons pas trouvé la manière de l’intégrer. Pour un clip, aucun artiste ne va refuser un peu plus de budget pour acheter de la lumière ou pour ajouter un figurant. Mais pour que ça reste quelque chose d’artistique et que ça ne soit pas obscène, si le placement de produit ne trouve pas sa place alors on ne le met pas. Parce que la priorité pour moi, c’est l’œuvre.

INfluencia : Mais le rapport de l’artiste à l’argent et la réussite a changé non ?

OP : Il faut savoir que dans le rap il y a toujours eu l’affichage et la fierté de sa réussite, entre guillemets. Il y a toujours eu un complexe vis-à-vis de l’argent en lui-même. Je parlerais même de souci parce que pendant longtemps, on a reproché aux rappeurs de réussir. L’évolution de ses représentants est devenue ambivalente parce que d’un côté on a maintenant des rappeurs qui assument leur richesse et qui l’affichent. De l’autre côté cette ostentation dégage ce côté vulgaire qu’on leur reproche tout le temps. Les deux s’opposent désormais. Moi à l’époque où j’ai commencé, un rappeur qui marchait à la radio devenait tout de suite un rappeur commercial, et ça c’était une insulte.

INfluencia : Quand vous avez été contacté par Nike pour leur publicité sur l’équipe de France de football, le fait d’utiliser un texte de Cyrano de Bergerac a-t-il changé votre relation avec la marque ?

OP : Artistiquement je trouvais ça brillant et j’ai toujours trouvé que Nike était à la pointe dans ce domaine. Nike a toujours eu dix longueurs d’avance en termes de crédibilité et de recherche artistique. Pour moi, il n’y a pas d’incohérence entre Nike et les artistes et je dirais que le texte a éteint beaucoup de doutes. Lorsque je voyais les arguments des personnes qui pouvaient me reprocher de le faire, c’était à se demander si elles savaient de quoi elles parlaient. Si vous regardez qui est votre vrai patron, si vous avez une réelle idée d’où va votre argent, de la manière dont vous le dépensez, vous aurez une autre vision du travail avec une marque. Qui n’a pas de Nike chez lui ? On transfere d’autres problèmes. Que tu le veuilles ou non, un artiste est aujourd’hui un vecteur. Si une star est habillée en blanc des pieds à la tête, il va lancer une mode et va faire la fortune d’un vendeur de slips blancs. C’est comme ça.

INfluencia : Le storytelling est aujourd’hui partout. Si on vous dit que vous êtes un storyteller, vous réagissez comment ? la matière reste t-elle belle ou a-t-elle été violée par trop d’abus ?

OP : Le storytelling c’est comme les promesses, il ne dépend que de ceux qui les reçoivent. C’est le public qui va faire du storytelling, c’est devenu du divertissement. Aujourd’hui tout le monde raconte son histoire sur les réseaux sociaux, à travers son smartphone. Cela se répand à des milliers de kilomètres sans trop réfléchir, il y a des histoires qui en découlent, des réactions, des conséquences, des discussions, des débats… Quel que soit le degré d’intérêt du sujet, ce qui est fascinant c’est que le storytelling d’aujourd’hui ressemble à un chat qui s’est coincé dans une gouttière.

Dark Planneur / @darkplanneur

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