Florence Touzé, professeure associée et titulaire de la chaire RSE, Audencia Business School converse avec Gildas Bonnel, Président fondateur de Sidièse et Président de la commission RSE de l’AACC sur la crise que nous vivons aujourd’hui, les nouvelles questions et prises de conscience qu’elle entraîne.
Nous nous interrogeons, tous les deux, depuis des années sur la place et la responsabilité de la communication, de son action et de celles de ces acteurs. Dans un contexte de mutation générale vers plus de soutenabilité, il y quelques semaines, nous échangions, encore, sur la capacité du secteur à s’interroger sur ses pratiques, ses usages et ses organisations. La question du greenwashing nous restait en mémoire. Il nous semblait inacceptable que certaines marques assument encore des prises de paroles irresponsables (i.e. abusives ou incitant à la surconsommation). Nous nous demandions comment l’écosystème annonceur/média/agence/GAFA pourrait trouver un équilibre positif pour chacun des protagonistes. Et comment ces organisations pourraient améliorer leurs impacts sociaux et sociétaux. La pandémie ne fait qu’amplifier nos questionnements.
Florence Touzé : en quoi ces premières semaines de crise sanitaire doivent-elles nous pousser encore davantage dans nos remises en question ?
Gildas Bonnel : la pandémie du Covid-19 touche l’ensemble des sociétés humaines et place les états, les entreprises, les individus face à leurs très grandes fragilités. Le virus joue le grain de sable dans une organisation mondialisée dont nous connaissions, depuis des années, la non durabilité. Cette crise va durer. Si la crise sanitaire peut être jugulée, elle a entraîné une crise économique et financière qui va peser sur les entreprises. Mais elle a surtout rappelé à l’ordre notre humanité toute entière, pointant que nous sommes des êtres vivants, au cœur du vivant et que notre modernité ne nous a jamais arrachés aux lois biologiques et bien terrestres de notre condition. Le mythe de l’homme augmenté et d’une société techno-centrée a perdu de sa superbe et nous nous réveillons (ou pas !) groggies face à notre immense vulnérabilité.
F.T.: dans ce moment unique pour nos sociétés contemporaines, nous pouvons émettre des hypothèses sur la place future de la communication dans les mois et années qui viennent. Au cœur de la crise, nous voyons les peurs, le désir de partage, l’envie de s’exprimer, l’impérieuse nécessité de lien social et son corollaire : définir sa place dans cette recomposition sociale. La communication des marques, des entreprises, des organisations ne doit-elle pas, dans ce contexte, se recentrer encore davantage sur une dimension d’écoute plutôt que d’émission ?
GB : quand la grande peur s’empare des citoyens, que les fake news dévorent la toile et que s’improvisent de nouveaux gourous, il est nécessaire de protéger un discours, de pouvoir contrer la rumeur. La parole est tellement dépréciée. Les décideurs politiques se retrouvent à mener une « guerre » alors que la doctrine, la stratégie, les perspectives sont systématiquement invalidées par la suspicion généralisée. Cette suspicion n’épargne aucun émetteur public ou privé. La communication, dans ce contexte, doit écouter, certes. Elle ne sera utile que si elle permet de répondre aux questionnements légitimes de la société toute entière.
F.T : au sortir du confinement la relation aura changé. Quelles hypothèses de sortie de crise peut-on imaginer ?
G.B : la communication, tant décriée par ses détracteurs qui l’accusent de toutes les manipulations destructrices de bien commun, va avoir un rôle essentiel dans la promotion d’une nouvelle organisation économique et sociale, Porter de nouveaux récits plus trempés, plus courageux, plus discriminants pourrait être le nouvel objectif des acteurs sociaux-économiques. S’ils ont la volonté de construire une nouvelle vision de la consommation, du vivre ensemble, de la démocratie, la communication doit pouvoir être mobilisée. Nous allons devoir partager avec les citoyens un nouveau projet de société. Certaines expériences en cette période de crise vont pouvoir démontrer que l’on peut réussir le pari d’une économie plus locale, plus coopérative, plus solidaire, plus écologique. Regardez ce qui se passe avec la production des masques : une vraie coopération public-privé sur les territoires alliant entreprises privées et acteurs de l’inclusion sociale. Ça marche ! racontons-le. Partageons-le.
F.T : cela veut-il dire : soutien, transparence, audace ?
G.B : pour aller plus loin, cette crise, je pense, va servir les audacieux. Pour les communicants l’audace n’est pas aisée. Nous sommes plutôt formés à parer les coups, ne prendre aucun risque, contrôler les prises de parole, bref corseter le discours. Mais nous rentrons dans une nouvelle ère. Dorénavant, il nous faut accepter de montrer nos fragilités, nos vulnérabilités. Oui, une entreprise, une marque, une organisation, sont avant tout un groupe humain capable du meilleur et du pire. Non, une marque ne sauvera pas le monde, les océans, le climat ou les ours polaires. Jamais. Mais elle pourra filer un vrai coup de main. Tout est question de proportion. Le temps des effets de manche est révolu. Oui, une entreprise peut faire de mauvais choix, se prendre les pieds dans le tapis, comme nous tous. Nous ne sommes qu’humains et c’est tant mieux. Finalement, n’est-ce pas cela qui nous met en lien et nous redonne crédit ?
F.T : Le secteur va souffrir. Les professionnels de la communication subissent de plein fouet la crise de l’industrie (coupure drastique des budgets, annulation des événements, mise à mal des équilibres financiers d’une grande partie des agences …) Comment imaginez-vous qu’il sorte de cette crise ?
G.B : comme à chaque crise économique, financière, le secteur de la communication va être touché de plein fouet. Les budgets marketing et communication sont toujours considérés comme des variables d’ajustement. Alors les entreprises, pour sauver les résultats, taillent dans ces investissements pourtant essentiels pour préparer et accompagner la reprise. Ajoutez à cela la perte d’activité, durant le confinement, un secteur déjà fragilisé par des niveaux de rentabilité qui ne cessent de baisser depuis quinze ans, la crise va être violente.
F.T : mais ce serait une folie de ne pas comprendre que la communication est cruciale dans une période de transition. Aucune entreprise, collectivité, association ne peut imaginer élaborer un projet de reprise sans explication, pédagogie, concertation, promotion de solutions, valorisation des offres …
G.B : Plus encore, notre société de défiance a terriblement besoin de sincérité, qu’on se dise ce qui nous arrive collectivement, là où nous devons aller ensemble. Bref, nous avons besoin d’un grand récit collectif pour se projeter dans le monde qui vient et le raconter. Ensemble.
F.T : merci Gildas Bonnel. Cette crise confirme, s’il en était besoin la nécessité de changer nos modèles, nos pratiques et de questionner nos certitudes. Le confinement nous donne l’opportunité d’interroger « à chaud » les professionnels de la communication. Nous poursuivrons ensemble cette investigation dans les semaines qui viennent.