16 avril 2020

Temps de lecture : 5 min

Covid-19 et communication du gouvernement : le mauvais usage de l’effet Placebo

Jacky ISABELLO cofondateur de l’agence de communication CORIOLINK, nous offre dans cette tribune enlevée, sa vision du bal masqué qui nous occupe actuellement.

Jacky ISABELLO cofondateur de l’agence de communication CORIOLINK, nous  offre dans cette tribune enlevée,  sa vision du bal masqué qui nous occupe actuellement.

À propos des masques, la communication du gouvernement aurait dû s’inspirer des principes de base scientifiques régissant l’effet placebo. Principe admis et majeur dans la conduite des protocoles d’essais de médicaments. Et tout particulièrement le placebo ouvert qui consiste à inoculer un produit dénué de molécule active dont on mesure scientifiquement qu’il peut être efficace même lorsque les patients savent ce qu’il en est ! La comparaison avec les méthodes de communication du gouvernement concerne principalement les masques. Pour gérer au mieux les nombreuses incertitudes autour des stocks et des perspectives d’approvisionnements afin de ne pas subir les foudres d’un pays se sentant abusé et susciter de la part de nos concitoyens des initiatives de défense, l’effet placebo ouvert consistant à ne pas tromper le patient aurait été la réponse idoine, au lieu de tenter des manœuvres dilatoires finalement inefficaces et totalement contre-productives. Au sein des divers comités scientifiques, les mandarins ont-ils étudié les résultats de l’étude du Pr. Ted Kaptchuk, chercheur au sein de la Harvard Medical School publiés en 2010 dans la mégarevue scientifique PLOS One ? En sciences du médicament, l’adoption du placebo marqua le début d’une révolution conceptuelle. Si ce principe avait été « repositionné » – pour paraphraser le désormais célèbre Pr. Raoult – et adapté en communication de crise, les critiques qui fusent aujourd’hui de toutes parts seraient moins virulentes.

Toute chose égale par ailleurs, ceci s’applique parfaitement aux méthodes de communication les plus efficaces en période de crise. Faire action de propagande et communiquer sont deux exercices antinomiques. Par gros temps, s’appuyer sur ce qu’on ne sait pas est très important, constituant un acte de communication efficace qui dope la confiance placée dans l’émetteur. Si ce point est simple pour un scientifique familier des travaux sur l’agnotologie – étude de l’ignorance – conceptualisée par l’historien des sciences Robert Proctor, il est littéralement insaisissable pour nos technocrates français formés à une certaine logique, et à la toute-puissance de l’Etat. Si le pouvoir avait respecté ce principe cardinal en matière de communication sur les masques, l’édifice de la confiance dans lequel vit la population française ne serait pas en train de s’effondrer. Pour mémoire, rappelons l’évangile des crises sanitaire selon l’Organisation Mondiale de la Santé : lorsque surviennent des problèmes sanitaires, le Département Gestion des risques infectieux de l’OMS recommande de communiquer en toute transparence sur les incertitude : « Les messages diffusés par les autorités à l’intention de la population devraient inclure des informations explicites quant aux incertitudes associées aux risques, aux événements et aux interventions, et préciser ce que l’on sait et ce que l’on ignore à un instant donné ».

Les masques : une réédition de la crise canicule de 2003

Les pouvoirs publics devraient pourtant être vaccinés contre les effets calamiteux de la communication et de la non moins hasardeuse gestion de la crise dite « canicule 2003 ». Alors que l’information d’un taux de mortalité excessif des personnes âgées durant l’été cette année-là n’était pas parvenue au ministre-médecin M. Mattei. Ce dernier, lors d’une intervention médiatique devenue un objet « anti-culte » organisée sur la terrasse de son lieu de villégiature, tenta de (se) convaincre de la non gravité de la situation, alors que le docteur urgentiste Patrick Pelloux, resté à Paris, hurlait l’inverse. A propos de la crise fracassant actuellement l’organisation sociale, médicale, économique et, depuis l’attentat de Romans-sur-Isère, sécuritaire du pays, on peut légitimement s’interroger sur les raisons qui ont poussé nos communicants gouvernementaux à opter pour la stratégie de l’infantilisation de la population, rééditant au passage les erreurs de l’incendie de l’usine Lubrizol. A la lumière des retours d’expériences, le « Retex » cher aux militaires, les communicants pensaient que le gouvernement avait appris de ses erreurs à la suite de l’explosion de ce complexe industriel de produits chimiques à Rouen. Débordé par les excès ontologiquement consubstantiels au numérique, le gouvernement n’a pas saisi que de simples photos d’un nuage d’épaisses fumées et d’une eau noire sortant d’un robinet pourraient déclencher un état de panique de la population, numérique d’abord et bien physique ensuite. Au lieu d’appeler la Nation à se penser en héros et à tenter de réaliser ce que le Figaro illustre dans un article intitulé « Six bénévoles français livrent 110 millions de masques dans l’Hexagone », la communication du gouvernement se fait infantilisante en rappelant successivement l’inutilité des masques alternatifs, la difficulté d’apprendre à mettre un masque et l’absurdité de vouloir en porter systématiquement dans la rue. Nous savons de quoi il retourne désormais. Certes le ridicule ne tue pas mais dans le secteur de la communication, il ruine la confiance.

L’effet « Rally-‘round-the-flag » est affaibli

Les spécialistes des sciences politiques s’en font les témoins familiers : lorsqu’une nation traverse une crise comme une guerre ou une épidémie, la population a une tendance instinctive à apporter un soutien massif au pouvoir en place. Force est de constater que le phénomène marque déjà le pas dans notre pays. En cause, les palinodies – pour ne pas dire omissions – dans la réponse sanitaire que l’on attendait en matière d’équipement de protection de nos personnels soignants. L’opinion publique sanctionne sans vergogne l’exécutif. Selon un sondage Odoxa publié ce 10 avril 2020, 77 % des Français pensent que le gouvernement ne leur a pas dit la vérité sur les masques. Dans une publication d’Elabe en date du 1er avril, 41 % des Français disaient faire confiance au pouvoir pour « lutter efficacement contre l’épidémie », soit près de 20 points de moins en deux semaines. Plus de 3 français sur 4 pensent que le gouvernement ment sur la gestion de l’épidémie. Était-ce utile de distiller des propos contradictoires de la part des gouvernants lorsque structurellement, politique et méfiance cheminent de conserve : le dernier baromètre de la confiance politique édité par le CEVIPOF (SciencesPo) éclaire parfaitement l’état d’esprit qui caractérise les Français. Ils sont aujourd’hui 30 % à « se sentir dans un état d’esprit de méfiance ». Désormais, lorsqu’elle évoque la communication du gouvernement, la presse utilise fréquemment, de son propre chef ou en citant des experts comme Mme Carrère d’Encausse – médecin et journaliste – le terme dévastateur de « mensonge ».

Appliquer la Com de Bernays vieille d’un siècle

Edward Bernays, célèbre auteur de Propaganda, considéré comme le père de la propagande politique… et des relations publiques, théorisa l’importance de s’astreindre en situation de crise à la vérité pure et simple. Un siècle déjà que cet homme dont on admire le parcours mais jamais le sens de l’éthique – difficile d’oublier qu’il fut à l’origine de publicités mettant en scène des médecins vantant les vertus thérapeutiques du tabac – nous rappelait que la crise déborde la logique habituelle des organisations. Adepte de l’efficacité, il rappelait que par temps calme la communication pouvait dire n’importe quoi. Or en pleine tempête il fallait déjà privilégier d’autres manœuvres et « dire toute la vérité et rien que la vérité » afin d’éviter le naufrage. Il serait précieux que l’actuel gouvernement revienne aux fondamentaux. En crise, un principe est admis, celui de la loi de Murphy plus connue comme « loi de l’emmerdement universel ». Quand les choses tournent mal, un événement plus grave encore fait irruption au pire moment. A n’en pas douter, une fois encore elle se vérifie. Regrettable que dans le cas présent, ne pas douter de cette loi soit la seule certitude dont disposent nos dirigeants!

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