INfluencia : comment Les Echos-Le Parisien Médias aborde cette fin d’année 2021, dans un contexte plutôt favorable à la presse quotidienne ?
Corinne Mrejen : nous constatons en effet un vrai alignement pour nous comme pour le marché : un regain de confiance dans les médias, de très bonnes performances d’audiences numériques et print et une reprise de la communication de nos partenaires sur la partie publicitaire. Le premier trimestre a été un peu tendu en raison du troisième confinement, mais le deuxième trimestre et l’été ont été excellents. Cette conjonction de très bons indicateurs nous rend très optimistes pour l’année 2021. Au niveau publicitaire, le secteur de la culture – sinistré par la pandémie et très important dans le portefeuille du Parisien – est de retour. L’IT continue d’investir massivement, ce qui profite à l’écosystème des Echos. Sur le digital, les communications branding sont dynamiques avec une progression très forte de la vidéo. Notre chiffre d’affaires vidéo sur le Parisien a par exemple doublé par rapport à 2020. Le sur-mesure continue de progresser avec les opérations spéciales et nos grands programmes. Les entreprises et les annonceurs veulent en effet communiquer sur leurs engagements, initiatives et contributions sociales. Le Luxe revient aussi fortement, notamment sur ces thématiques de durabilité.
IN : le groupe s’est fortement impliqué depuis trois ans sur ces thématiques d’engagement et de contribution sociale et a même énoncé sa raison d’être. Commet la régie s’inscrit-elle dans ce mouvement ?
C.M. : cette stratégie d’engagement responsable est depuis trois ans au cœur de la stratégie de transformation du groupe et de notre ambition de devenir une société à mission. Avec la crise, nous n’avons fait qu’accélérer sur les deux moteurs de notre croissance que sont la valeur des contenus et la valeur des contextes. La régie s’inscrit dans le prolongement de cette stratégie d’engagement responsable. L’ambition d’être utile et d’avoir de l’impact sont nos mots clés pour les prochaines années ! La crise écologique et sociale nous ont invités à repenser fondamentalement la fonction de la communication, qui a été longtemps le bras armé d’une société de consommation. Ce cycle arrive probablement à sa fin et nous entrons dans un nouveau cycle où la communication doit devenir l’aiguillon d’un nouveau modèle de société plus durable. Aujourd’hui, 20 % de notre chiffre d’affaires est déjà capté par des communications centrées sur l’impact via des campagnes classiques ou des programmes sur-mesure. Je suis convaincue que la communication et la publicité peuvent rendre désirables d’autres modes de vie, promouvoir de nouveaux stéréotypes… En tant que régie, nous souhaitons réunir les conditions pour encourager les bonnes pratiques, projeter des imaginaires plus vertueux, valoriser la contribution et l’utilité sociale des entreprises. Et aussi repenser l’efficacité publicitaire de façon à ce qu’elle soit plus frugale.
20 % de notre chiffre d’affaires est déjà capté par des communications centrées sur l’impact via des campagnes classiques ou des programmes sur-mesure
IN : cela sera-t-il suffisant face aux interdictions et aux prises de position anti-pub ?
C.M. : face à ces positions de plus en plus radicales, je préfère valoriser l’encadrement et l’incitation, le dialogue et l’autorégulation. Il y a une vertu à ces débats. Ils remettent au centre du jeu les notions d’utilité sociale, la fonction et la question de l’impact de la communication. Dans le groupe, nous croyons à une articulation harmonieuse entre des initiatives collectives, notamment au sein de l’interprofession, et des engagements plus individuels qui prouvent notre contribution via des actions tangibles.
IN : de quelle nature est cette contribution ?
C.M. : la régie a pris six engagements que nous avons déjà commencé à déployer et qui vont pour la plupart entrer en vigueur d’ici la fin de l’année 2021. Nous sommes le premier groupe de presse à s’être associé à Goodeed pour soutenir des projets autour de causes environnementales et sociales. Chaque visionnage sur les sites et applications du Parisien et des Echos permet de générer un don pour une association ou un projet sélectionné par l’annonceur. Nous avons aussi développé des segments data responsables à partir des « citoyens du mieux », pour qualifier encore plus précisément les audiences du Parisien. Six sous-segments représentant 8 millions de profils first party ont été déterminés grâce à un modèle sémantique basé sur de l’intelligence humaine. Un troisième engagement va permettre de sanctuariser un patrimoine responsable, en réservant aux annonceurs qui communiquent sur l’impact une priorité sur des emplacements qui, dans tous nos supports, abordent les sujets de transition environnementale et solidaire. Quatrième engagement : la création d’un fonds de soutien Impact d’ici la fin du deuxième semestre 2021. Les campagnes RSE qui investissent dans nos écosystèmes alimenteront ce fonds que nous abonderons et qui permettra de soutenir des projets à impact positif via la mise à disposition d’espace publicitaire gracieux. La production d’une calculette carbone est un autre de ces engagements.
IN : de quelle manière s’exprime l’articulation entre les initiatives régie et celles qui dépassent son périmètre propre ?
C.M. : justement, pour la mesure de l’empreinte carbone de nos campagnes, nous participons au groupe de travail du SRI afin définir un socle commun qui permettra à chacun de développer sa propre calculette carbone. La nôtre devrait être prête pour la fin de 2021. Dans le cadre de notre sixième engagement, nous finalisons une étude sur les leviers d’efficacité des publicités anglées RSE en partenariat avec Occurrence et The Good (la plateforme d’INfluencia dédiée à la good économie, ndlr). Il s’agira de donner aux entreprises des informations utiles qui permettent de maximiser l’efficacité de leurs communications responsables, en détaillant notamment des typologies de citoyens face aux questions de l’impact.
IN : que dire d’ores et déjà de l’efficacité des « grands programmes » sur les initiatives d’impact et des transitions environnementales ou solidaires qui ont été lancés dès 2019 ?
C.M. : ils permettent aux entreprises de s’associer à des thématiques structurantes en activant du média, du contenu et de l’événementiel. Les grands programmes proposent des expériences de navigation efficaces et impactantes et génèrent des scores d’engagement très forts. On y retrouve le magazine immersif Les Echos Planète qui prolonge sur le numérique Les Echos Week-End et est soutenu par Rolex, Toujours plus haut qui mixe des articles, des podcasts, des newsletters sur les femmes inspirantes, dont Chanel a été sponsor la première année, la verticale Initiatives environnement développée avec Suez… Deux nouveaux grands programmes ont été lancés fin septembre. L’un d’entre eux vise à mobiliser les jeunes générations autour de l’économie responsable. Nous avons travaillé avec l’Éducation nationale pour faire revenir des personnalités dans leur lycée d’origine et permettre de nouer un dialogue avec des élèves de première.
IN : faut-il parfois recadrer ces marques partenaires pour éviter le greenwashing ?
C.M. : il en va des grands programmes comme des autres types de contenus. L’expertise sur ces sujets neutralise tout risque de greenwashing. Nos interlocuteurs sont plutôt en attente de conseil et de partage. La collaboration intègre d’autres interlocuteurs en renfort de nos contacts habituels : des équipes en charge du développement durable, de la stratégie… Ces échanges nous permettent de progresser ensemble.
IN : Médias en Seine, organisé par Les Echos et franceinfo, se tient le 12 octobre sur la thématique « Habiter un monde commun ». Quels seront les temps forts de cette quatrième édition ?
C.M. : on y retrouvera les grands rendez-vous annuels avec le panel autour des dirigeant(e)s de la télé et de la presse, les personnalités de l’univers de la communication et, cette année, un temps fort autour de l’édition qui a été fortement challengée par le Covid. Des découvertes et des signaux faibles moins connus en France mais qui sont déjà de véritables phénomènes à l’étranger seront également mis en avant, comme Jim VanDeHei, le patron du pure player Axios, une jeune start-up média d’info déjà valorisée près de 500 millions de dollars aux Etats-Unis, Linda Lebrun et Judd Legum de Substack… Et des rencontres inédites avec le podcasteur Matthieu Stefani, créateur du podcast Génération Do It Yourself qui est devenu un phénomène, Will Page, patron de la recherche de Spotify, Tiny Sevak de CNN…
IN : après une édition 2020 totalement en ligne, le festival revient en hybride. Qu’est-ce que cela dit de la manière dont le groupe se positionne aujourd’hui sur le marché de l’événementiel qui reprend des couleurs ?
C.M. : nous voulons nous enrichir des enseignements de la digitalisation en nous affranchissant du 100 % digital dont nous sommes tous un peu saturés. Il faut trouver une juste hybridation pour que le physique soit enrichi par le digital et que le digital prolonge le physique. Produire des événements consiste à animer des communautés. La crise pandémique a permis d’opérer une transformation extrêmement rapide et d’une ampleur inédite. L’hybride étant plus coûteux que le physique, il a aussi fallu apprendre à se fixer des objectifs plus raisonnables côté modèle économique… Il a fallu repenser le lieu, le temps et l’action. Nous avons complètement réécrit nos formats sur la forme et le fond pour alterner les propositions et prolonger la relation avec les communautés dans la durée. Aujourd’hui, un événement répond à un séquençage qui est travaillé comme une grille télé et nous arrivons à capter de nouvelles audiences. Plus de 50 000 entrepreneurs se sont connectés pendant les 48 heures de l’événement Go Entrepreneur (ex- Salon des Entrepreneurs, ndlr), organisé à Paris en juin. Malgré le 100 % digital, on y a trouvé un sentiment d’émulation entrepreneuriale formidable. Nous continuons à travailler pour créer sur le digital une expérience aussi riche – voire émotionnelle – qu’avec le physique.
Aujourd’hui, un événement répond à un séquençage travaillé comme une grille télé
IN : le secteur de la presse connaît, comme d’autres, un mouvement de concentration. Est-ce que cela pourrait impacter le marché, notamment dans les rapports régies-annonceurs ?
C.M. : la taille des groupes de presse, même en cas de rapprochement éventuel, resterait marginale par rapport à celle des Gafa… Je suis confiante car nous sommes adossés à un groupe solide qui nous permet d’investir et nous laisse du temps pour nous développer. Notre stratégie repose notamment sur deux grands médias natifs de presse quotidienne qui sont deux marques formidables en termes de résonance et de rayonnement et avec une stratégie de diversification qui fonctionne très bien. Le triptyque abonnement-publicité-service est vertueux. Les marques de presse quotidienne sont redevenues nécessaires et incontournables côté audience. Je suis convaincue que la transformation suivra sur la monétisation.
IN : on voit à quel point la transformation du groupe Les Echos-Le Parisien vers un modèle plus responsable, également impulsée par son pdg Pierre Louette, est devenue importante dans votre feuille de route. D’où vient cet engagement personnel et dans quelle mesure aide-t-il à faire avancer ces convictions dans la sphère professionnelle ?
C.M. : cette volonté d’être utile et d’avoir de l’impact, je me l’applique d’abord à moi-même. Nous sommes à un moment historique et je suis fière de contribuer modestement à ce mouvement qui doit être à la fois collectif et individuel. Cela me tient très à cœur. Je pense à mes enfants – eux-mêmes très engagés et impliqués sur ces sujets – et aux générations à venir. Je suis heureuse de me dire que nous participons à accélérer la prise de conscience et à faciliter le passage à l’action. Pour traduire ces convictions au niveau professionnel, la transparence et la sincérité sont des accélérateurs incroyables. Il y a trois ans, nous avons porté ce discours et nous l’avons implémenté au sein du groupe. Nous sommes de plus en plus nombreux à défendre ces valeurs, à œuvrer pour les traduire en réalisations tangibles. Pour autant, je reste lucide. Même si nous nous sommes fixé une trajectoire, il est possible de faire des écarts. L’important est d’être transparent, de reconnaître ses erreurs et de réajuster pour continuer à avancer dans cette trajectoire.