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« Le désir est l’expression d’un manque » – Le banquet (Platon). Voilà l’accroche par laquelle Isabelle Musnik a introduit les échanges. Alors quid du désir de consommer aujourd’hui ?
La consommation, notre dernière carte de liberté
Pour Fanny Camus Tournier, Chief Strategy Officer chez Ogilvy Paris, la consommation représente en ces temps difficiles, notre dernier leitmotiv : « Elle est notre dernière carte de liberté, liberté d’hésiter, de préférer, de choisir. On ne peut plus aller au restaurant, au musée, au cinéma, c’est ce qu’il nous reste pour faire valoir notre liberté aujourd’hui », exprime-t-elle. Propos d’ailleurs appuyés par le co-fondateur de Free Thinking, Xavier Charpentier : « On a besoin de consommation aujourd’hui parce que cela nous raccroche à une vie normale et désirable ».
Si Benoît Heilbrunn disait « Je consomme donc je suis ? », aujourd’hui il s’agit plus de bien-être, en tous cas pour les classes moyennes que Xavier Charpentier étudie. « Je consomme donc je suis mieux » précise-t-il. Dès les premiers instants du déconfinement, les files d’attentes ne cessaient de s’agrandir devant les magasins. « Je consomme donc je survis », nuance Fanny Camus Tournier. Elle précise que « L’accélération du e-commerce à 13% de la vente de détail alors qu’il ne représentait que 9% en 2019, est significative. On était privés de faire des choses simples qui nous semblaient acquises ».
La pandémie a amené les consommateur à se poser des questions. « Cette période m’a poussé à réfléchir », livraient les Français de l’Observatoire de la Classe Moyenne à Free Thinking.
Cependant, le désir de consommer n’est pas similaire chez tous nos compatriotes. « On peut avoir tendance à perdre de vue que beaucoup de gens n’ont pas du tout accès à la consommation. Notamment pour les classes moyennes et les classes inférieures. Une majorité de la population ne part pas en vacances, donc consommer plus n’est pas une possibilité puisque cela n’est pas une réalité » exprime le co-fondateur de Free Thinking.
Consommation responsable et moyens limités, une incompatibilité ?
Isabelle Musnik insiste alors sur la dualisation de la consommation à laquelle nous sommes en train d’assister, un combat entre ceux qui consomment durable et ceux dont le pouvoir d’achat est fragilisé.
Toutefois, « ce n’est pas parce qu’on est riche que l’on peut avoir une consommation responsable et parce qu’on est pauvres que l’on doit continuer à surconsommer », souligne Fanny Camus Tournier. La Chief Strategy Officer d’Ogilvy donne l’exemple de KIABI reconnue pour proposer de la mode à petit prix, qui offre des corners de seconde main où il est possible de déposer des vêtements et les revendre. Si Kiabi est plutôt destinée aux classes moyenne, la marque a su « prendre le pas sur ces évolutions et ne réserve pas la consommation responsable seulement aux riches ». Le co-fondateur de Free Thinking ajoute que l’enjeu central des marques aujourd’hui est de « réussir à donner au plus grand nombre, les moyens d’une consommation responsable », « cela ne doit pas être seulement l’apanage de petites marques confidentielles qu’on trouve dans ces épiceries bios qui sont encore anecdotiques » confirme Fanny Camus Tournier. « C’est certain, il existe une demande pour une consommation abordable. On l’observe notamment avec le succès d’enseignes comme Stockomanie en France » observe Xavier Charpentier.
Quid de la consommation post-covid ?
42% des consommateurs ont eu l’impression de moins consommer qu’avant en 2020. Post-covid, la consommation reprendra, c’est une certitude pour Fanny Camus Tournier : « Nous vivons dans une société de consommation ». Xavier Charpentier nuance ces propos, pour lui, « les consommateurs gardent ce désir de consommer mais l’expriment de façon différente ». En effet, il y a eu une « vraie respiration » dans les dépenses des ménages due aux confinements (économies de voyages, de carburant …), le pouvoir d’achat ayant donc augmenté, mais ces derniers se sont débrouillés pour consommer autrement. La tendance du fait-maison en est l’exemple concret avec les ruptures de stock de farine. Une consommation différente, mais un désir perdurant. Les marques ont donc un rôle prépondérant : elles doivent ouvrir la voie et montrer le chemin à suivre, pour guider les consommateurs vers une consommation plus responsable. « Les grandes institutions et grandes instances doivent aider les citoyens pour avoir des actions individuelles qui se conjuguent, et créer une action collective », ajoute Fanny Camus Tournier.
Comment rendre la consommation désirable ?
La fondatrice d’INfluencia poursuit ensuite en mettant au cœur des échanges, la difficulté de faire la différence entre court terme, morosité ambiante voire dépression collective qui ne touche pas le plaisir de consommer et des tendances plus structurelles. Mais alors, comment cela s’explique-t-il ?
Pour Fanny Camus Tournier, l’obligation d’être dans le court terme est évidente et cela a un impact sur la consommation. Cette période de très grande incertitude est issue d’une réalité macro-économique qui va déterminer la suite. « Les gens en France ayant vécu le chômage partiel ont un désir de consommer contrarié et cela devient compliqué » complète Xavier Charpentier. « En revanche on voit que le désir de consommer reste là, et va s’exprimer après la pandémie de façon différente avec de l’économie circulaire et de la seconde main par exemple. Avec moins de moyens, et de la façon la plus responsable possible. » ajoute-t-il.
Phuong Leleu, Directrice Marketing de Monoprix explique quelle a été la stratégie de l’enseigne pour rendre la consommation plus désirable pendant la crise : « La première phase a été d’apaiser la peur, et donc s’assurer (rassurer) que les supermarchés étaient propres. Dans un second temps, il fallait faire en sorte que le personnel en magasin était disposé à donner aux clients le contact social et le bol d’air dont ils avaient besoin. Finalement, la volonté de se faire plaisir en mangeant bien est primordiale, Monoprix est un garant de qualité. Il s’agissait donc ici de donner un shoot de plaisir au consommateur en proposant des produits essentiels et des produits plaisir », décrit-elle.
Entre plaisirs responsables et bad brands.
Mais dans ce cas, « qu’est-ce que le plaisir responsable ? » s’interroge Isabelle Musnik. Pour Monoprix, il s’agit d’un plaisir sans culpabilité. « Je me fais plaisir sans culpabilité parce que je sais que les méthodes de fabrication de produits chez Monoprix sont transparentes et disposent d’une charte de garantie qualité », ajoute Phuong Leleu. Et c’est également le cas pour toute la sphère du textile : « 50% de notre textile est 100% responsable, 100% des bodys pour enfants et 100% du denim homme et femme. Parallèlement, nous proposons de l’upcycling à la fois en déco et en mode », précise-t-elle en rappelant que 30% de son chiffre d’affaires est éco-responsable..
Mais les marques ont-t-elles le droit de proposer des plaisirs coupables et d’assumer leur côté « bad brands ? », s’interroge Isabelle Musnik. Pour Fanny Camus Tournier, chacune a son rôle à jouer.. « Ce n’est pas parce qu’on est une marque de barre chocolatée, de fast food ou de mode que l’on doit représenter le diable et ne pas inciter à des comportements vertueux », s’exclame-telle en prenant l’exemple de Nike et son engagement pour le mouvement #Blacklivesmatter. Une marque pas forcément responsable sur la fabrication de ses produits peut ainsi assumer sa responsabilité sur un tout autre combat.
Le co-fondateur de Free Thinking ajoute que « toutes les marques ont compris que les consommateurs n’accepteraient plus ce qu’ils acceptaient il y a trente ans », mais il faut aussi prendre en compte « la capacité des gens à être responsable ». « Oui ils ont envie de se faire plaisir et parfois ce n’est pas très raisonnable. Il faut leur faire confiance », ajoute-t-il. La directrice marketing de Monoprix complète en justifiant que le plaisir coupable est tout simplement humain : « Nous avons envie de bien faire mais en même temps de craquer ».
Les marques ont un rôle d’éducatrices sur le monde
Toutefois, un vrai sujet se démarque de cette notion de plaisir. Quelque chose d’insidieux et dangereux : « Le plaisir aujourd’hui risquerait d’être réservé à une seule catégorie de population. La responsabilité des marques est de rendre une consommation responsable possible pour tout le monde. L’idée de l’inclusion d’un maximum de gens dans un pays développé comme la France dans l’ordre du plaisir et de la responsabilité, est un réel défi pour les années à venir », avertit Xavier Charpentier. Aujourd’hui, les jeunes générations et les adolescents sont plus éveillés sur la responsabilité que leurs aînés. « Cependant, il faut qu’on y arrive tous ensemble. La responsabilité de doit plus être un acte de différenciation mais un standard pour lequel on se bat », ajoute Phuong Leleu. « Beaucoup de consommateurs attendent désormais des marques qu’elles les aident à transformer le monde », relève Isabelle Musnik.
La directrice de la publication d’INfluencia conclut en rappelant ces deux chiffres : d’après une enquête Paris Retail Week/ Havas, révélée cet automne, 66% des consommateurs estiment devoir faire plus attention qu’avant au prix des produits qu’ils achètent mais 76% déclarent aussi avoir besoin de temps en temps de « faire moins attention et de se faire plaisir en consommant pour se libérer de certaines frustrations ». Preuve que le plaisir et le désir l’emporteront avant la culpabilité ou le questionnement…