3 juillet 2013

Temps de lecture : 5 min

Comprendre les zombies

Il paraît que les morts-vivants nous déclarent une guerre mondiale. Pour mieux les éradiquer, tâchons de cerner cette figure évolutive et digne représentante de nos peurs...

La culture populaire regorge de sous-cultures qui peuvent paraître futiles, souvent décriées voire ridiculisées. Très prisées des jeunes, quelques figures issues du folklore comme le vampire, l’alien, le loup-garou ou le zombie ont été réactivées par les séries B ou Z et nous apprennent beaucoup sur notre monde postmoderne, nous montrant que l’époque est remythifiée, ravivée mythologiquement.

La figure du zombie est assez comparable au mythe du vampire et n’est pas un nouveau venu. Depuis la nuit des temps, ce thème du mort revenu hanter les vivants est au cœur des cultures du monde entier. Il s’agit également d’un mythe universel, que l’on trouve sous différentes formes en Afrique, en Asie avec les Gakki japonais, à l’apparence famélique, torturés par la faim, qui dévorent vivants et morts, dans le Vaudou haïtien ou même en Europe au Moyen-âge. Partout, les morts et les Goules peuvent sortir de tombes pour dévorer les vivants. Mais le zombie est traité de manière de plus en plus réaliste en fiction, notamment via des incursions dans « la vraie vie » versus un monde romantique réservé aux vampires. La très sérieuse université d’Ottawa a par exemple publié une étude proposant plusieurs modèles mathématiques afin d’éradiquer une attaque de zombies si elle arrivait vraiment, dans la lignée du succès du bestseller de Max Brooks «Guide de survie en territoire Zombie».

Le thème a été de nouveau popularisé dans la culture occidentale grâce aux films de George A. Romero qui sont, comme le livre de Stoker pour les vampires, arrivés au bon moment. En 1968, Romero fait en effet des zombies la caricature d’une Amérique qui se cherche. Selon bon nombre d’observateurs «Night Of The Living Dead» et les quatre films qui font suite, utilisent le zombie comme le véhicule de contestation symbolique ultime afin de caricaturer la société de consommation et ses dérives. On pense à l’attaque du supermarché dans «Dawn Of The Dead» et à la forte charge symbolique qu’elle renvoie. Maintes fois analysée, l’œuvre de Romero s’inspire du vent de contestation mondial de la fin des années 60 pour créer une œuvre dérangeante qui résonne encore aujourd’hui. Romero a créé une matrice dont il a lui-même donné la clé en expliquant que ses films symbolisaient « la nouvelle société qui dévore l’ancienne, incapable de résister parce que trop engluée dans un engrenage systématique ». On constate que le zombie suit les grandes périodes de transition sociétales.

Dans la culture occidentale, la première époque zombie a été incarnée par le « Frankenstein » de Mary Shelley, le thème du Prométhée moderne symbolisant le passage à l’ère industrielle à la fin du 19ème siècle victorien et dénonçant les dangers de la technique et de la science. Le deuxième âge a été la fin de cette ère moderne avec les films de Romero, attaquant une société de consommation et ses travers, et appelant à la révolte contre l’ordre bourgeois en pleine période de libération des mœurs. Le zombie apparaît alors dans les années 60 comme un symbole de soumission contre lequel il faut se dresser. Le thème du zombie a été traité depuis, mais on peut voir une troisième époque apparaître avec le retour en force de ce mythe. Le zombie revient en effet à un moment où le monde connaît une période de transition et de remise en cause du modèle économique, social et politique et une mutation profonde de tous ordres. Aux grandes périodes de transition, les zombies apparaissent eux aussi comme des incarnations de rites de passage, aux confins de la figure du monstrueux.

En pleine période de crise, en pleine transition sociale, économique et politique du monde, nous arrive justement « World War Z », LE blockbuster de l’été. Portant le thème du zombie dans une autre dimension en termes de moyens mis dans la production, le long-métrage de Marc Forster joué et produit par Brad Pitt met en avant une des caractéristiques clé du vampire : à la différence du vampire solitaire, le zombie vit et se déplace en groupe. En grappe même. Le marketing impressionnant accompagnant le lancement du film propose ainsi des visions de villes assiégées, prises au piège par d’immenses pyramides de zombies. Un des intérêts du film semble justement être également l’utilisation de ces images bluffantes de grappes de zombies, comme des végétaux, mangeant inexorablement leur environnement. Comme des troupeaux d’animaux incontrôlables.

Ce n’est pas un hasard que cette image résonne et ait été imaginée par le réalisateur. Car nous glissons petit à petit vers un retour à l’animalité, dont le zombie et la foule sont très clairement des incarnations. Alexandre Kojève, philosophe français d’origine russe, établit ce constat dans son Introduction à la lecture de Hegel après une fine observation de la société de consommation naissante aux États-Unis. Pour lui, l’homme revient à l’animalité par le biais de la civilisation américaine de l’après première Guerre mondiale qui l’entoure, le comble de biens, de services répondant immédiatement à ses besoins. Il s’agit là d’un glissement entre désir humain et désir animal, car là où le désir humain est contrôlé, autolimité par la culture ou la conscience, le désir animal s’oriente pour sa part vers une recherche de satisfaction immédiate : un animal qui a faim sera parfaitement satisfait s’il mange. Dans cette société vue par Kojève «les hommes construiraient leurs édifices et leurs ouvrages d’art comme les oiseaux construiraient leurs nids ou les araignées tissent leurs toiles, exécuteraient des concerts musicaux à l’instar des grenouilles et des cigales, joueraient comme jouent les jeunes animaux et s’adonneraient à l’amour comme le font les bêtes adultes. » Nul doute que Kojève serait lui-même bluffé par ses visions assez prophétiques à l’heure d’Internet et des nouvelles technologies.

Une chose est sûre, ce «village global» bruissant, grouillant, se rassemble de plus en plus autour de cette animalité, et de la foule. La foule décide : la foule des marchés, celle des réseaux sociaux. Dans cette nouvelle animalité vers laquelle nous glissons, la “place publique” a une grande importance. La foule est en effet de plus en plus présente : les foules du 11 septembre 2001, celles des flash mobs, des manifestations de masse en France ou ailleurs.

Cet affleurement, cette viscosité, cette capacité à se rassembler, à vivre ensemble, à avoir peur ensemble, à se battre les uns contre les autres mais aussi à se retrouver et à partager, à espérer (on pense aux foules du printemps arabe) est le nouveau visage de l’humanité. En cela, elle retrouve sa primitivité. L’autre n’est pas loin, il est collé à nous. Nous nous tenons chaud dans un contact orgiaque très dionysien.

Est-ce un hasard si Pan, cousin indo-européen de Dionysos, dieux des troupeaux et de la nature tout entière est aussi le dieu de la foule et en particulier de la foule orgiaque et hystérique? Pan avait la capacité de faire perdre à l’humanité son côté humain pour lui redonner son animalité dans la promiscuité de la foule. Le mot panique vient de là. Les foules regroupées dans les rassemblements des Indignés, lors d’événements sportifs, de concerts rock ou de rassemblements religieux tels les Journées mondiales de la jeunesse catholique nous le rappellent sans cesse: Pan nous appelle.

La foule des zombies de World War Z nous rappelle cette nouvelle réalité de manière flagrante. Nous ne cherchons rien d’autre en nous fondant dans cette foule que de nous perdre dans un grand ensemble, de communier, de nous retrouver au chaud, entre nous, dans une grande fête archaïque.

Thomas Jamet – Moxie – Président
thomasjamet.com / @tomnever
Auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur ) et « Les Nouveaux défis du Brand Content – Au-delà du Contenude Marque » (Pearson Village Mondial)

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