16 novembre 2014

Temps de lecture : 6 min

Comment le web social redéfinit ses émotions

Penser et diffuser du contenu nécessite des canaux. Les réseaux sociaux sont des transmetteurs privilégiés, mais quand ils s’ouvrent aux émotions et opposent social et média, l’environnement web change. Le web social est à un carrefour.

Penser et diffuser du contenu nécessite des canaux. Les réseaux sociaux sont des transmetteurs privilégiés, mais quand ils s’ouvrent aux émotions et opposent social et média, l’environnement web change. Le web social est à un carrefour.

Un surf furtif sur Google suffit pour comprendre que le web social est mangé à toutes les sauces. Comme dirait l’autre, lui aussi bouffe à tous les râteliers. Normal, en définir le champ d’utilisation et d’audience revient à compter les lingots dans les coffres de Fort Knox. Et puis après tout, suivre le web social donne un peu le tournis. Forcément, quand ses canaux et ses flux évoluent pour contenter la date de péremption des habitudes et désirs de consommations digitales, l’objet de notre curiosité change.

La Toile s’adapte et modifie son environnement. Nouveaux outils, nouveaux pouvoirs, nouvelles pratiques. Les réseaux sociaux font partie de notre quotidien. Tout le monde s’en sert pour s’exprimer, s’informer, donner son avis! Chacun contribue ainsi, en temps réel, à l’élaboration d’une opinion globale de plus en plus complexe à saisir. Le web social est à un tournant, l’antagonisme entre social et médiatique décidera en partie des virages qu’il prendra. Ne hais pas le média, sois le média. La petite phrase du militant écologiste Jello Biaffra est porteuse de bien des ruptures.

Pour clarifier les nouvelles évolutions du participatif et du web social, Jean-Edouard André, enquêteur et formateur au Celsa propose un Mooc synthétisant les nombreuses utopies et idéologies qui accompagnent Internet et jouent un rôle décisif dans la mobilisation des internautes. Quatre patrons français de la Silicon Valley, dont Guillaume Decugis de Scoop.it, y digressent sur la civilisation 2.0 et l’intelligence collective. INfluencia ne pouvait pas profiter de ce cours en ligne original sans en faire l’alibi d’un sujet de réflexion ô combien essentiel à une meilleure compréhension de l’avenir de nos sociétés connectées.

Le retournement de l’économie digitale est programmé

Un deuxième chapitre du 2.0 commence, le web se cherche de nouveaux espaces documentaires, de nouveaux lieux de prescriptions. « Il y a trop de trash news sur le web d’aujourd’hui, la conséquence est devenue incontournable : l’information n’est pas une data comme une autre et on a besoin du magistère journaliste », explique Jean-Edouard André.  » Le web continue donc de poursuivre sa transformation et des nouveaux usages font émerger un moteur inédit de ses dynamiques, symbole annonciateur de perspectives fortes. Les émotions s’emparent de la Toile, si longtemps froide et mécanique. Nos humeurs peuvent déjà s’exprimer sur le web, bientôt elles le réguleront. Internet sera un lacis d’émotions et d’humeurs que ne reniera pas Facebook  » prévient-il.

Le nouveau web lui succèdera et donnera même plus d’amplitude à son like ? C’est possible. Une chose est  certaine, ce nouveau postulat engendrera le retournement de l’économie digitale, qui repose sur la face cachée des préférences humaines dissimulées dans l’espace public. Pour se pencher plus attentivement sur ces questionnements et anticipations, nous avons interrogé Jean-Edouard André.

INfluencia : comment redéfinir aujourd’hui ​le web social ?​

Jean-Edouard André : le web social est aujourd’hui à un carrefour et bien sûr tout se joue dans la différence irréductible qui oppose Google et Facebook, PageRank et EdgeRank, le search et le social. Pour être clair, les deux cathédrales du web sont dans l’incapacité de faire évoluer leur métier et ça va laisser de la place pour de nouveaux entrants. Je m’explique : Facebook est bien le champion de la sociabilité sur le web. Par contre, il est avant tout le champion du désordre documentaire. Et c’est exactement l’inverse de la logique du search. C’est pour ainsi dire l’antithèse de Google. Cette opposition, elle est irréductible tant les deux géants sont dans l’impossibilité de réinventer leurs métiers.

Avec PageRank Google réduit tant que possible le bruit (informationnel) quand Facebook, avec EdgeRank, veut en permanence entretenir le bruit (conversationnel). Donc, ni Facebook ni Google ne sont à même d’organiser un cumul de mandats, quand l’un veut devenir un search (Facebook) et l’autre un réseau social (Google). La preuve ? Après l’échec d’Orkut, Google s’est séparé en avril dernier de Vic Gundotra, le vice-président senior en charge du réseautage social (Google+). En abandonnant sa stratégie transversale d’intégration automatique, Google en vient à abandonner le principe d’une indexation sociale dans son search, pour lui préférer l’indexation sérieuse, normée, de son algorithme. Google veut revenir à l’indexation industrielle qui est au cœur de son métier. Il y a donc deux dialectiques figées pour le moment : celle de l’écran blanc de Google face à celle du wall surchargé de Facebook.

INfluencia : les flux et les canaux pour faire passer et penser le contenu évoluent. Pourquoi, comment et quels visages auront-ils dans 5 à 10 ans ?

Jean-Edouard André : d’un point de vue critique, cela souligne que le web est le lieu d’un réinvestissement technique et symbolique des médias sur eux-mêmes. Ce fait déjoue une lecture habituelle qui dit qu’Internet fait jouer les médias les uns contre les autres, alors que sur le web tous les médias apprennent au contraire à recadrer leurs messages. Pendant que le web réinvente la mise en perspective de la valeur de l’information et du contenu, le social ne suit pas. Il y a trop de soft news sur Facebook ? Oui, aussi longtemps que l’on ne fera rien en fonction d’un optimum et en espérant tirer le meilleur de ses interactions. Trop d’échanges à faible intérêt, trop de  » near-me  » entre amis, pour un low-low exchange général : Facebook facilite bien la viralité, mais on parle quand même de traîne de contenus à faible valeur. En fait, la diffusion aussi ciblée que facilitée sur le wall a globalement un très faible intérêt cognitif. Il suffit de scroller son mur Facebook pour s’en rendre compte : les  » like « ,  » share  » et autres  » +1  » sont des fonctions qui ne relient rien, c’est du pousse-bouton alimenté par un marketing pulsionnel et le besoin d’être  » en état de partage permanent « . Est-ce une victoire de l’ingénierie du temps réel ? Non, c’est plutôt la défaite de l’implication et de la recommandation sociales. Les contenus n’ont jamais été aussi disséminés, likés, plussoyés.

Mais ils n’ont jamais été aussi peu discutés, aussi peu commentés. C’est un vrai problème car la sémantique uniforme du  » like  » s’avère incapable de générer l’implication nécessaire au sacro-saint  » trade-off  » des marques. Comme Zuckerberg ne liftera pas son bac à sable – pas de bouton “ dislike ” – les marques ne deviendront jamais sociales sur Facebook. Au final, il y a un antagonisme du social et du médiatique sur le web. Tandis que les médias ont un temps d’avance, le social est en train de bouleverser sa conformité et va se chercher de nouveaux réseaux adaptés. Dans quelle direction ? Vers une normativité pour le coup doublement sociale, vers l’émotion. Cette émotion pourrait bien « retourner » les usages connectés, en occasionnant le retour des avatars

INfluencia : ce nouvel environnement Web induit donc des nouveaux leviers, quelle est leur finalité ?

Jean-Edouard André : les émotions ne mentent pas sur la nature de l’implication dans le web social. A côté d’un  » Knowledge Graph  » (une base de connaissance), à côté d’un graphe social, voilà maintenant un  » Mood Graph  » et je renvoie directement ce qu’écrit Evan Selinger dans  » Wired « . Pour Selinger, il ne fait aucun doute que l’arrivée de ce  » Mood Graph  » permet de sonder avec plus de profondeur encore les profils utilisateurs, pour des datas encore plus affinées. Il y a déjà des exemples très concrets. Le site média Rappler par exemple, sur lequel les sentiments deviennent le moteur de la sélection de l’information, par priorisation. On fait aussi usage des émoji sur Twitter – qui a désormais son tracker  » Emojitracker  » – cela donne une idée sur l’état collectif de la communauté à un instant donné.

Le web va devenir de plus en plus émotionnel et ce sont des sentiments qui vont de plus en plus processer les services. La navigation va prendre en compte de plus en plus l’humeur de l’usager, qui va infléchir la prise de parole en ligne. C’est la porte de sortie naturelle hors de Facebook. Entre fabrique de l’émotion et obligation de partage, Facebook a mis en place un conditionnement pavlovien du  » partage sans engagement « , du  » partage qui ne coûte rien « . Avec l’émotion, l’émoji ou l’émoticon au-delà du retour du pictogramme qui réinvente l’écriture, il y a le retour de l’avatar qui – s’il est caché –parle aussi vrai parce qu’il est au diapason du contenu avec lequel il veut interférer. En partant dans la direction des émotions connectées, les technologies du web convergent de plus en plus vers le fantasme d’un cerveau immortel ou d’une Cyborg philosophie.

Benjamin Adler / @BenjaminAdlerLA
Visuel : Mike Larremore

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