Ultime solution palliant la distanciation sociale imposée par le Covid-19 à l’échelle mondiale, le digital s’impose sur tous les fronts. Vie sociale comme professionnelle en péril : il arrive en grand sauveur d’un monde en mal de contact et tente d’imposer une aura mêlant proximité, solidarité, confiance, professionnalisme et divertissement. Deux mois plus tard et dans une atmosphère post-pandémique essoufflée, OpinionWay x Jin font le point en étude. Au menu : fracture socialo-digitale creusée, défiance et déception citoyenne.
À en croire les résultats de la dernière enquête internationnale* OpinionWay x Jin : le digital pourrait bien être destitué de son statut de grand sauveur des âmes confinées. Si le microcosme privilégié pense le digital comme la solution à tous les maux, faut-il encore qu’il puisse être mis entre toutes les mains. Or, qui dit fracture sociale, dit fracture digitale. Le rapport est sans appel : la fracture digitale entre les générations et les catégories sociales s’est aggravée, avec un accès aux technologies et à l’information plus important chez les plus hauts revenus. Quant à la promesse de proximité, les personnes interrogées se sentent massivement plus éloignées de leur communauté, à l’exception de leur cercle familial duquel elles se sont rapprochées. Alors que les dernières enquêtes traitées par la rédaction mettaient l’accent sur une croissance exponentielle de l’usage du digital, il semble aujourd’hui pertinent de mettre en lumière les disparités de cette donnée. Compte rendu en quelques points.
Confiance à contre courant
Première idée reçue à déconstruire : bien que les citoyens aient adopté et continuent d’utiliser massivement les outils digitaux pour suivre l’actualité, s’informer et rester en contact, aucune corrélation n’est à faire avec l’évolution de leur confiance en l’outil. En France notamment, le pessimisme est au goût du jour : l’étude met en exergue un accroissement des inquiétudes liées aux fake news pour 39% des Français, et 22 % d’entre eux par les données qu’ils génèrent lorsqu’elles sont en ligne.
Cette question de l’utilisation de nos données est plus préoccupante pour les Franciliens (26 %) que pour les provinciaux (20 %), tandis que les fake news préoccupent les personnes de plus de 50 ans (44 %) davantage que celles de moins de 35 ans (29 %). Leur capacité moindre à faire la différence entre les vraies et les fausses nouvelles pourrait être la raison de leur plus grande inquiétude. Interrogés sur l’impact général de la technologie sur notre vie quotidienne, les répondants à faibles revenus, dont les emplois sont potentiellement plus susceptibles d’être remplacés par l’intelligence artificielle ou la robotique, se sont montrés beaucoup plus préoccupés que les répondants argentés.
Générations et classes en décalage
En effet, pour une analyse complète des comportements citoyens, un découpage de classe comme d’âge est de rigueur. Car de fait, si toutes les tranches d’âge ont adopté des outils digitaux, seuls les plus jeunes (18-35) s’imaginent maintenir ces usages. Par exemple, 49 % des Français de moins de 35 ans déclarent avoir un compte de livraison de repas à domicile, contre 9% seulement des 35 ans et plus.
Dans la même dynamique, on observe que la fracture digitale s’étend aux classes sociales : les plus hauts revenus déclarent augmenter leur activité en ligne pour communiquer ( 49% ) et s’informer ( 45% ), contre respectivement 29% et 31% chez les plus bas revenus. Pourtant, on note qu’en France, les revenus les plus faibles ont amélioré leurs compétences digitales. Bien que 80% des Français interrogés déclarent se sentir aussi à l’aise qu’avant, dans l’utilisation d’internet, cette proportion devient différente dès lors que l’on aborde l’âge, les revenus, et l’éducation. Les personnes qui ont un revenu plus faible (< 1 000€) répondant ainsi à 29% s’être améliorés en termes de confort sur internet contre 13% pour les revenus plus élevés (3 500€ et +). Pour le seul facteur de l’information, généralement plus enclins à s’informer grâce à internet, les Français -comme lors des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan-, sont 41% à déclarer avoir suivi les informations en ligne plus fréquemment pendant la crise. Un constat applicable à toutes les générations, avec une nuance importante basée sur le revenu mensuel : 45% pour les revenus les plus hauts (3 500€ et +) contre 31% pour les plus faibles revenus (< à 1 000 €).
Enfin, signe ou pas du confinement, les populations des pays étudiés se sentent plus proches de leur famille, mais moins connectées avec leurs amis : 28% des Français se disent moins connectés à ces derniers et 33% moins reliés aux Français en général, contre seulement 8% plus raccordés.
Marques : pas toutes égales dans la transition
Tout comme les citoyens, les marques ne sont pas égales face à la crise. Entrepreneuriat, restauration, santé, éducation, retail : on l’a vu et la fracture se poursuit en sortie de crise, certains secteurs en difficulté sont contraints de se réinventer, notamment via l’usage de la technologie. Système de livraison à domicile, de télétravail et video conférence professionnelle, de suivi et rendu des cours pour les étudiants ou encore de vision-consultation médicale : à égalité avec 35% des sondés, l’éducation et la santé sont les deux premiers secteurs pour lesquels les Français sont plus convaincus qu’avant, que la technologie peut aider à résoudre les dysfonctionnements. Aussi, il est intéressant de noter que dans les zones rurales qui souffrent de la fracture numérique et des déserts médicaux, cet optimisme est moins partagé qu’à Paris (41% contre 29%).
En France, en termes de génération et de classe le techno-scepticisme est plus flagrant chez les jeunes et chez les personnes ayant un revenu mensuel inférieur à 1 000€ que chez leurs pairs plus riches, surtout lorsque la technologie est appliquée à la pauvreté, à l’égalité et à la faim. En se concentrant sur l’environnement, un résultat clé dans les débats autour de Covid-19 dans les médias français, nous remarquons une forme de scepticisme envers l’impact de la technologie. Seuls 20 % des répondants se sentent convaincus que la technologie peut nous aider à préserver l’environnement, et 32 % des femmes de moins de 35 ans se sentent même moins convaincues, contre 18 % pour les hommes de moins de 35 ans.
Amazon en haut de l’affiche ?!
À en croire les résultats d’enquête, les marques de la grande distribution comme Amazon sont plébiscitées pour avoir maintenu le service durant la crise, plutôt que celles qui ont adapté leur production pour le bien commun. Aussi désolant que cela puisse paraitre quand ont connait les ficelles ultra-capitalistes et de facto ultra-polluantes du mastodonte, Amazon est la seule marque commune -dans 3 des 4 pays étudiés- citée positivement par les sondés pour son attitude « bienfaisante » pendant la crise.
Heureusement, ce constat est à nuancer en France, où les difficultés d’Amazon ont beaucoup fait parler : LVMH et Décathlon sont les premières marques citées par les Français, même si une très large majorité d’entre eux ( 58% ) n’ont pas su nommer une marque ayant mené une action positive. Avec 4% des voix, c’est LVMH qui est la marque la plus citée par les répondants. Un pourcentage faible qui illustre bien la défiance des consommateurs français face aux marques, et c’est presque tant mieux quand on observe la naïveté internationale.
S’ajuster pour regagner la confiance
En somme, si les marques et communicants s’agitent dans tous les sens pour cerner les attentes et attitudes nouvelles du paysage citoyen consumériste, attention aux distinctions. Les insights et pistes créatives ne peuvent se permettre de figurer un paysage lisse et engagé. Les contrastes comme les attentes de chacun sont au rendez-vous. Selon OpinionWay x Jin, aider les marques à démontrer leur utilité sociale pour rebâtir une relation de confiance pérenne est l’enjeu majeur que les agences conseil doivent assimiler. Pilier structurant de toute relation permettant d’engager un processus d’achat, la confiance via le canal digital est un défi à relever.
L’influence positive des marques, sur le digital, sera faite d’écoute, de sobriété et d’un discours appuyé sur des preuves. Le discours digital doit être un prolongement du besoin d’utilité. Pour Edouard Fillias, Président du Groupe JIN, « la question de l’utilité de la marque, de son impact positif sur la société, est devenue centrale pour se reconnecter. Des anticorps se sont développés chez le nouveau consommateur, dit « éveillé et sceptique ». Dans une société qui plébiscite le frugal, la seconde main, rien n’est plus négatif que les discours corporate ou marketing creux ou centrés sur un bénéfice futile. Pour renouer la confiance, il faut donner des preuves solides de son utilité sociale ».
* Étude Opinion Way pour le Groupe JIN réalisée en France, Allemagne, Grande-Bretagne et aux États-Unis du 28 au 30 avril 2020 menée auprès de 4028 personnes