Après plusieurs années de hausses successives des prix du marché, l’immobilier français se retourne enfin. Depuis début 2023, les prix ont reculé d’1% sur l’ensemble des logements en France métropolitaine et même de 3,3 % en Île-de-France au cours des deux premiers trimestres 2023. On croirait presque au point de départ de la prochaine fièvre acheteuse du marché de l’immobilier, d’autant plus que cette tendance à la baisse s’observe au-delà de nos frontières. En Allemagne, elle a commencé à se faire ressentir dès le début de l’année dernière, avec des prix qui ont chuté de 6,8% entre le premier trimestre 2021 et la fin du premier trimestre 2023, selon l’office fédéral Destatis. La baisse la plus forte enregistrée depuis l’an 2000. Outre Atlantique, les prix moyens des logements ont baissé d’un peu plus de 5 % en 2023, selon Reuters. Une tendance concrète, donc, qui fait autant de bruit dans les médias qu’elle laisse les investisseurs indifférents. Stéphane Desquartiers, président de la Maison de l’investisseur, rappelait mardi dernier sur BFM Business que « le marché aujourd’hui est très ralenti. Il y a du choix, il y a du stock et en même temps… les acheteurs sont fébriles ».
Propriétaire particulier cherche locataire endetté
Selon une étude publiée par La Forêt France en juillet dernier, les ventes en France auraient même reculé de 23% au cours du premier trimestre 2023. Rien de très étonnant. Alors qu’ils dépendent toujours aussi massivement des crédits bancaires, comme le montre l’explosion du taux d’endettement des ménages qui est passé de 33% du PIB en 2000 à 68 % en 2020, les acquéreurs potentiels ont toujours deux épées de Damoclès au-dessus de leurs têtes : l’inflation, et la baisse du pouvoir d’achat qui l’accompagne, et le durcissement de la politique monétaire menée par la BCE – Banque Centrale Européenne – au sujet des taux d’intérêt directeurs. Qui dit hausse des taux d’intérêt dit souvent renchérissement du crédit et donc réduction du pouvoir d’achat immobilier.
Ils se retrouvent « coincés dans un piège particulièrement douloureux et dangereux : flambée inflationniste, remontée des taux d’intérêt, affaiblissement de l’activité, risque de retour de la récession et de remontée du chômage », tranche Marc Touati, économiste et président du cabinet ACDEFI. Un cercle vicieux qui affecte leur capacité à se projeter dans l’avenir… encore plus dans un projet immobilier. La dégringolade de l’indice Insee de confiance des ménages ces dernières années est là pour le prouver. Dans ce contexte, « il est malheureusement clair que les prix de l’immobilier vont continuer de baisser sur l’ensemble du territoire national » sans que cela ne profite à grand monde. Encore moins aux start-ups de la PropTech qui s’attachaient à repenser l’intégralité de la chaîne de valeur immobilière par le biais technologique. Moins d’acheteurs, moins de valeur… moins de valeur, moins de profits.
Une jeune économie…
Les fintechs avaient pourtant de bonnes raisons de se réjouir. La part de l’investissement locatif a doublé entre 2014 et 2021, signe d’une appétence grandissante des Français pour l’investissement immobilier, et le marché se structurait sereinement autour de quelques grands axes – la Deeptech/R&D intensive, qui regroupe le développement de nouveaux matériaux, la robotique, le deep learning, etc. et une dimension plus sociétale axée notamment sur les problématiques d’accession à la propriété –. En 2020, Proptech House dénombrait déjà plus de 2900 startups du secteur en Europe. Mais après un très bon cru 2022, marqué par des levées de fonds record de 465 M€, le rapport publié la semaine dernière par Xerfi, vient confirmer les doutes : la fragilité actuelle des acteurs traditionnels de l’immobilier et du BTP a conduit mécaniquement à une très grande prudence en matière de politique d’investissement vis-à-vis des acteurs de la Proptech.
Cette étude, intitulée sobrement Proptech face au retournement des marchés immobiliers – Analyse des risques et des perspectives d’ici 2024 – Évolutions des stratégies et des relations avec les groupes leader, rappelle que, parallèlement, la hausse des taux d’intérêt renchérit sur le coût du financement des start-ups qui s’effectue essentiellement grâce aux crédits bancaires. Certes, se plier au jeu risqué des levées de fonds n’est pas forcément indispensable… mais cela reste fortement conseillé pour les jeunes entreprises qui veulent approfondir leur politique de R&D, ou élargir leurs équipes commerciales. Autant d’étapes nécessaires pour réussir à se tailler une part du marché.
… qui n’en demandait pas tant
Malgré une flopée de startups ultra-valorisées et en hypercroissance, à l’image de AirBnB – 100 milliards de dollars en 2020 –, Zillow – 10 milliards de dollars en 2020 –, WeWork –47 milliards de dollars en 2019 – ou encore Redfin – 2,6 milliards de dollars en 2018 –, il est probable que nous assistions en 2023 « à la fin de l’hypercroissance sur ce marché », prédit Cyril Ferey, operating partner chez I&S Adviser. « Il est en effet courant que la dynamique s’érode à un moment donné comme cela s’est passé dans l’IT, la biotechnologie ou encore le commerce en ligne ».
À mesure que la concurrence s’intensifie, de nombreuses start-ups ne réussiront pas à faire pivoter leur modèle économique. LKSpatialist, qui proposait un logiciel dédié à la prospection foncière et à l’aménagement urbain et à qui tout souriait il y encore quelques années, a été liquidé au printemps 2022, pénalisé notamment par l’arrivée de nouveaux acteurs. Pourtant, Thomas Reynaud, CEO et co-fondateur de Garantme, dont l’objectif est de faciliter et de sécuriser les processus de gestion locative ne s’en inquiète pas trop : « Les acteurs dont le modèle économique est fragile ont toujours un avenir grâce à la consolidation du secteur qui va s’opérer, mais à une condition : avoir produit des innovations technologiques qui ont un impact sur la chaîne de valeur et qui sont pertinentes pour les acteurs établis, ou des startups plus matures ».
La loi du plus flexible
Les fusions-acquisitions auront un rôle à jouer pour (re)consolider l’écosystème : « Les proptechs leaders sur leur segment et dont le modèle a déjà été validé par le marché seront à l’offensive, avec pour objectif d’étendre leur périmètre d’intervention, de bénéficier de synergies commerciales ou encore d’offrir à leurs clients une brique technologique supplémentaire », conclut Vincent Desruelles, directeur d’études, Xerfi. La PropTech peut au moins se rassurer du soutien sans faille des pouvoirs publics pour encourager son essor, que ce soit à travers le dispositif de la French Tech ou des différents fonds gérés par Bpifrance. Dans le cadre du plan France 2030, le gouvernement a par exemple annoncé début 2023 une enveloppe supplémentaire de 500 M€ pour les jeunes pousses issues de la recherche.
Même s’il est nécessaire de tempérer la baisse actuelle des prix immobiliers face aux nombreuses hausses qui l’ont précédé – 1% de baisse en 2023, certes, mais contre 30% de plus-value entre 2013 et 2023 selon l’INSEE – et au durcissement de l’accès au crédit, il est clair que nous assistons à une phase de retournement du marché immobilier. Même s’il est difficile d’en deviner l’impact, tous les indicateurs laissent à penser qu’elle se poursuivra au moins à court terme. Pour les particuliers comme pour les start-ups, l’investissement immobilier sourira aux plus audacieux.