Comment les marques tentent, en vain, de lutter contre le cyberharcèlement
La marque de boissons énergisantes Crazy Tiger vient de lancer une nouvelle campagne pour encourager les consommateurs à affirmer leurs différences. Ce type d’initiatives est fréquent mais il n’empêche pas le cyberharcèlement de progresser année après année.
Une initiative de plus, une initiative pour rien ? Les marques sont de plus en plus nombreuses à mettre en place des initiatives afin de tenter de lutter contre le cyberharcèlement et les déchaînements homophobes sur les réseaux sociaux. La dernière en date, Crazy Tiger, vient de lancer une campagne pour encourager les amateurs de ses boissons énergisantes à exprimer leurs différences, mais toutes ces campagnes semblent aujourd’hui bien vaines quand on lit les études qui prouvent à quel point le net est devenu un déversoir de haine et d’insultes.
Les chiffres donnent froid dans le dos. D’après une récente étude réalisée par Audirep avec l’Association e-Enfance, près de 20% des enfants âgés de 8 à 18 ans ont déjà été cyberharcelés. Ipsos estime, lui, que 59% des Français ont déjà été victimes d’attaques sur le net dans leur vie. Dans notre pays, un adolescent sur cinq (20 %) est actuellement la cible de cyber-harcèlement, d’après une enquête d’Audirep publiée en 2021. Face à ce déferlement de méchanceté, beaucoup de jeunes ont le réflexe de rentrer dans leur coquille et de s’autocensurer.
Ne rien dire pour ne pas être critiqué
Plus de la moitié des 18-34 ans n’oseraient ainsi plus dévoiler leur véritable opinion sur les réseaux sociaux, d’après une étude effectuée sur le panel Toluna (Harris Interactive) auprès de 563 personnes. Les deux-tiers d’entre eux s’interdisent d’exprimer leur divergence par peur du cyber harcèlement. 80,2% des jeunes pensent pourtant qu’ils seraient plus heureux s’ils pouvaient dire qui ils sont vraiment. Incapables de le faire de leur propre chef, ils sont encore plus nombreux (81,1%) à vouloir que les marques les encouragent et leur permettent d’exprimer leur différence.
C’est en lisant ces chiffres que Crazy Tigera décidé de lancer une campagne qui est supposée inspirer les consommateurs à assumer ce qui les rend uniques en prônant la liberté d’oser. Sa toute nouvelle plateforme est basée autour de la signature « énergise ta différence ». Son activation sur les plateformes sociales et en magasin sera axée sur la question « c’est quoi ton côté crazy ? », qui vise à inciter les consommateurs à mettre en avant leur différence sans penser aux regards des autres. Si cette initiative va, évidemment, dans le bon sens, elle peut encore paraître un peu « mièvre » aux vues des problèmes à affronter.
«t’es moche », « tu pues »
En novembre dernier, la chaine Burger King a fait nettement plus fort en envoyant des messages haineux à ses clients. « T’es moche », « tu pues », « tu sers à rien »… L’agence Buzzman avait ainsi créé toute une série de notifications toutes plus insultantes les unes que les autres afin de faire réagir les clients et les utilisateurs de l’app Burger King. A l’occasion de la journée nationale contre le cyber harcèlement, le 10 novembre, tous les jouets présents dans les menus King Junior avaient également été supprimés. L’objectif ? Laisser venir les parents ou accompagnateurs des enfants se plaindre auprès des salariés. Durant cet échange, les petits pouvaient récupérer leur jouet et les adultes se voyaient donner un flyer sur lequel était inscrit une question choc :« Si on rackettait votre enfant à l’école, est-ce que vous vous en rendriez compte aussi facilement ? » Brutal mais efficace. Certains restaurants ont même été équipés de caméras cachées afin de filmer les réactions des consommateurs et de les partager sur les réseaux sociaux jusqu’au 15 novembre. Alors, certes, cette campagne a provoqué une vague de critiques sur les réseaux sociaux mais lutter contre le harcèlement n’implique-t-il pas souvent d’être harcelé soi-même ? D’autres marques ont choisi d’être plus « diplomates » dans leur communication.
Les femmes, premières cibles
Les femmes sont souvent les premières victimes du cyber-harcèlement. 25% d’entre elles auraient été la cible d’attaques ou de critiques violentes sur les réseaux après qu’elles avoir posté une photo d’elles maquillées, selon une étude menée par la marque de maquillage britannique Rimmel London. 22,8 millions de jeunes femmes déclarent avoir souffert de comportements autodestructeurs (drogue, alcool, automutilation, troubles du comportement alimentaire) après avoir été harcelées en ligne en raison de leur apparence. 65% ont vu leur confiance se dégrader à cause de ce harcèlement, et 73% ont envisagé de changer leur apparence en conséquence. « L’année dernière, 115 millions de photos ont été supprimées des réseaux sociaux en raison de cyber-harcèlement lié à la beauté, regrette Ankita Sayal, la directrice Internationale Digital de Rimmel London. Compte tenu de l’ampleur du problème, il nous a semblé que le moment était venu de lui donner une tribune et d’exprimer haut et fort qu’il n’est pas acceptable d’humilier quelqu’un pour la façon dont il a choisi de s’exprimer. » Sa campagne de sensibilisation « I will not be deleted » lancée en 2018 cherchait à lutter contre ce phénomène en donnant la parole à celles et ceux qui en ont souffert.
Cinq ans pour rien
En 2018 également, le groupe Kering, avait, dans le cadre de la campagne contre le cyber harcèlement « White Ribbon for Women », participé, du 16 au 30 novembre, à une collecte de fonds, destinée à reverser 10% du prix de certains de ses produits griffés Saint Laurent,Gucci, Bottega Veneta, Balenciaga et Alexander McQueen proposés dans ses 1300 magasins. La Fondation Keringavait parallèlement lancé à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre, une campagne afin de demander aux jeunes de la génération de « briser la chaîne » des commentaires abusifs en ligne. « Tout le monde a le droit de se sentir en sécurité en ligne », déclarait alors François-Henri Pinault, le PDG du groupe français de luxe. Le cyberharcèlement n’a hélas pas disparu depuis. Bien au contraire…
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