Que ce soit la façon dont les jeunes narrent leur confinement sur TikTok ou le strorytelling de nos photos casanières sur Instagram, les journaux de confinement font émerger des formats qui privilégient le récit personnel et la mise en scène de soi. Mais n’oublions pas que 55% de l’humanité n’a pas accès à Internet.
Le confinement est un puissant vivier de formats. On avait déjà évoqué les nouveaux contenus que produisent les influenceurs pour s’adapter à la quarantaine. Aujourd’hui, on s’intéresse aux différents formats qui renouvellent la narration personnelle et la mise en scène de soi. Une façon de conjurer l’enfermement en mettant des mots et des images sur cette « expérience psychique collective » selon les mots du sociologue Olivier Glassey, pour le meilleur et pour le pire.
Un narcissisme toujours plus extravagant sur TikTok
Deux tendances se sont installées sur les réseaux sociaux. D’une part, un phénomène de mise en scène de soi qui confine au narcissisme et d’autre part des initiatives créatives réalisées de façon collective. En matière d’ostentation, c’est sans surprise TikTok qui remporte la palme. Les challenges « spécial confinement » renforcent la manière dont les jeunes se racontent en caméra frontale. Le « Quarantaine pillow challenge » par exemple consiste à réaliser une chorégraphie vêtu seulement d’un oreiller maintenu autour de la taille. Une manière de révéler le maximum de chair à l’écran pour se rendre désirable et visible en ces temps isolés. Il y a également le « Don’t Rush Challenge » qui consiste à changer de tenue en un claquement de doigts. Là encore, le succès se gagne souvent en retirant le maximum de vêtements dans une extravagance devenue chose commune sur TikTok.
Une exposition plus artistique sur Instagram
A contrario, la mise en scène de soi peut prendre des accents artistiques sur Instagram. Le photographe Valentin Curt a par exemple développé une superbe série de clichés de sa voisine et youtubeuse Audrey Pirault. En reprenant l’idée du film « Fenêtre sur cour » d’Alfred Hitchcock, l’artiste immortalise chaque jour les scènes décalées créées par sa voisine avec les moyens du bord. En recréant l’univers d’une bibliothèque, d’un bar ou d’un voyage en bateau, le duo nous rappelle que le confinement peut aussi être joyeux. Outre-Atlantique, les challenges artistiques lancés sur Instagram cartonnent. Le Centre international de la photographie de New York a par exemple incité professionnels et amateurs de photos à documenter leur vie quotidienne avec le hashtag #ICPConcerned. Des milliers de contributions ont ainsi dévoilé le vécu des hommes et des femmes de New York, consolidant ce qui deviendra probablement les archives d’un monde confiné.
Des témoignages intimes pour un soutien collectif
Côté média, les contraintes du confinement ont renforcé la tendance du journal intime audio. Ces podcasts consignent les émotions de ses invités à travers l’usage du « je » et du témoignage. Cette narration intimiste nous rappelle que notre expérience individuelle de l’enfermement et son lot d’angoisses ne sont qu’un infime aperçu du vécu collectif d’une société. « Le journal sonore, intime et collectif » de Caroline Gillet, productrice à France Inter, récolte par exemple les sons de personnes confinées un peu partout dans le monde dans des situations parfois très difficiles. On y retrouve les difficultés liées à la solitude, à la gestion des enfants ou au manque de place dans les familles en bas âges. Ces compilations de récits personnels conjurent l’impression « d’un confinement subjectif et individuel » détaille le sociologue Vincent de Gaulejac sur son blog.
Le studio de production Louie Média propose quant à lui « Emotions confinées », un podcast sur les émotions auxquelles nous sommes confrontées durant ce confinement. Les témoignages sur la colère, la solitude et la tristesse permettent de prendre la mesure de l’épreuve collective que représente la pandémie mondiale. Il y a également « Confinement vôtre » sur France Culture qui donne la parole à des personnalités qui racontent leur confinement. Tous ces podcasts ont pour point commun le partage de récits personnels.
Le vivre ensemble confinés est un luxe de nantis
Pour autant, cette impression de vivre ensemble le confinement ne doit pas effacer la réalité de la fracture numérique. En 2019, 55% de l’humanité n’avait pas accès à Internet selon le rapport Hootsuite. En France, 17% de la population souffre d’inhabileté numérique, soit qu’elles ne soient pas équipées ou qu’elles n’ont pas les compétences nécessaires pour être à l’aise devant un clavier et un écran. Une disparité qui touche notamment les personnes âgées, isolées et dont les revenus sont modestes.