Sur le marché des applications mobiles de navigation GPS, Waze détonne et cartonne. La France est tombée sous le charme de la start-up israélienne rachetée l’été dernier par Google. Pour comprendre son modèle économique, sa réussite et sa mission communautaire, INfluencia a rencontré Noam Bardin, son CEO.
Pour une application, savoir créer une communauté assez puissante pour à la fois générer son contenu et solliciter des pubs natives par les marques constitue un modèle économique prisé. Les start-ups qui y sont parvenues ne sont pas rares. Mais avoir su le faire sur l’autel d’une navigation GPS à la cartographie élaborée, seule Waze l’a réussi. Créée en 2006 en Israël comme un projet open-source par Ehud Shabtai, l’application mobile communautaire s’est aujourd’hui invitée dans le quotidien de plus de 70 millions d’utilisateurs dans le monde.
Fast Company dans son dernier numéro consacrait dix pages à un dossier spécial sur ladite « génération flux ». Le constat de l’enquête, qui s’est notamment intéressée à la réussite de Chipotle (à lire sur INfluencia), chaîne de restauration rapide qui a construit son modèle sur son éthique, fait réfléchir : ce sont les entreprises dont la mission première est une valeur positive et non pas l’argent qui finalement encaissent le plus en banque. Waze donne du grain à moudre à ce moulin avec son rachat par Google, en juin 2013, pour plus de 800 millions d’euros. Sa mission ? Nous faire passer le moins de temps possible dans les embouteillages en rendant aussi nos trajets plus agréables.
Elue meilleure application mobile au Mobile World Congress de 2013, Waze a séduit la France, devenue en 2014 son premier marché en Europe. Présent fin octobre à Los Angeles pour l’Israel Tech Conference, Noam Bardin, son CEO, a accepté en exclusivité de s’asseoir avec nous pour discuter de Waze et de sa réussite.
INfluencia : Lors de la conférence, vous avez évoqué l’identité de Waze et l’importance de la conserver après le rachat par Google. Cette identité là, est-ce avant tout votre communauté ?
Noam Bardin : Complètement ! La communauté est notre noyau et nous partageons la même mission qu’elle : passer le moins de temps possible dans le trafic. Personne n’aime les embouteillages et en retire quoi que ce soit de bon. C’est cette mission qui a rassemblé cette incroyable communauté qui nous aide à construire les cartes, à les entretenir, à nous tenir au courant des évènements locaux. Des millions et des millions de conducteurs et utilisateurs contribuent passivement ou activement à l’application. On est tous en mission et c’est ce qui constitue l’essence de cette entreprise. Tout ce qu’on a entrepris depuis la création de Waze, on l’a fait en se demandant quel impact ça allait avoir sur la communauté, comment ça influencerait les utilisateurs, quelle en serait l’efficacité sur la réduction du trafic… On intègre minutieusement tous ces facteurs avant de prendre la moindre décision. C’est une méthode très différente de ce qu’on retrouve dans les plus grandes entreprises.
INfluencia : Pouviez-vous anticiper le succès phénoménal de Waze ?
Noam Bardin : La réussite de Waze est la combinaison de deux choses. Quand on a commencé, le marché des cartes était dirigé par un duopole : Maptec et Nokia. C’était impossible d’innover sur ce marché avec des entreprises aussi restrictives et aussi couteuses. En engageant la communauté et en créant nos propres données on a réussi à éviter le rachat d’informations. Cela nous a permis de tester des choses que nous n’aurions jamais pu faire dans des marchés plus traditionnels. Je ne peux pas dire aujourd’hui qu’en commençant on savait où on allait vraiment. Mais nous avions ce sentiment que les gens pouvaient aller bien plus loin que ce qu’on pensait, qu’il n’y avait pas de limite à l’entraide et cela s’est avéré être le cas.
INfluencia : Pourquoi pensez-vous que les gens rejoignent Waze ?
Noam Bardin : Beaucoup d’utilisateurs de Waze ne savent même pas qu’il y a une communauté derrière l’application. On a atteint ce niveau où ils pensent que c’est juste une chouette application et rien de plus. Quand on a été racheté par Google, la grande question était justement de savoir si nous allions encore pouvoir laisser la communauté contrôler les choses. Il y a beaucoup de risques à cela car ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Ils ne sont pas employés et font ça seulement pour le plaisir d’aider. Mais heureusement nous n’avons jamais eu de problèmes. J’ai remarquée que les gens sont en général assez tolérants face aux problèmes car ils savent qu’un jour ou l’autre ils seront les premiers concernés par le trafic, et parfois pas du tout. Donc ils n’hésitent pas à contribuer car ils savent qu’à leur tour, et pour leur plus grande satisfaction, ils profiteront de l’aide des autres.
INfluencia : Finalement, quelle est la principale innovation de Waze expliquant son succès ?
Noam Bardin : Il y a plusieurs choses. La première est d’utiliser autant les volontaires, donc les membres de la communauté. L’application a été traduite dans plus de 50 langues par eux, et non par nous. Ce sont eux qui nous indiquent les différentes conventions routières de chaque pays. Moi je ne connais pas la différence entre une route nationale, départementale ou une autoroute en France, mais les Français eux le savent et nous l’apprennent. Cela nous permet d’atteindre une plus grande échelle. La deuxième innovation concerne l’expérience de l’utilisateur : elle est sympa, ludique, facile et engageante, ce qui est très différent des GPS traditionnels qui sont monotones et ennuyants. Ce côté amusant a permis à plus de gens de vouloir participer davantage et donc de créer une meilleure application. Ces deux choses mises ensemble -une valeur importante et utile combinée à une expérience amusante et engageante- ont fait de Waze une application incontournable que tout le monde apprécie. Je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui a eu une réaction négative envers Waze. Etre coincé dans la voiture est désagréable pour tout le monde donc si on peut amener un peu de fun dans tout cela, on a fait notre part.
INfluencia : Vous avez mentionné l’expérience, que comptez-vous faire pour la rendre encore plus engageante et attractive ?
Noam Bardin : Maintenant qu’on est avec Google, je ne peux pas annoncer seul nos futurs projets. Mais je peux dire qu’on va multiplier les expériences dans le partage communautaire des trajets quotidiens. Comment rentrer chez soi ou aller au boulot le plus facilement, le plus rapidement ou le plus agréablement possible, c’est notre priorité principale et ça le restera. Si on peut aider à améliorer la circulation et la rendre plus efficace, on aura amené quelque chose de bien à la société. Il y a trop de pollution et de gaspillage liés au trafic, il faut que ça change. Un jour il y aura des voitures autonomes et on aimerait être une infrastructure qui aide leurs utilisateurs à aller d’un point à un autre.
INfluencia : Vous nous disiez précédemment que beaucoup d’utilisateurs ne connaissaient pas la communauté derrière l’application pratique. Cette ignorance est-elle un problème marketing sérieux ?
Noam Bardin : On y travaille et on continue de faire grandir notre communauté. Un de nos plus gros challenges est d’éduquer nos utilisateurs pour qu’ils participent davantage à la communauté. On essaye notamment de créer une expérience en affichant le nom et la photo de ceux qui contribuent.
INfluencia : Justement, est-ce que Waze continue de grandir grâce à l’UGC ?
Noam Bardin : Toutes nos datas sont fournies par nos utilisateurs mais on préfère appeler cela du « Community Generated Content ». C’est la communauté qui se rassemble pour construire Waze et non des individus chacun dans leur coin dont on ne sait pas très bien d’ou ils viennent. Chez nous, ils participent activement.
INfluencia : C’est cette communauté qui a poussé Google à acheter Waze ?
Noam Bardin : Oui je pense. Une fois encore, la communauté que nous avons créée, c’est dans nos gènes et c’est quelque chose que Google a du mal à créer, tout comme Microsoft ou Apple d’ailleurs. Nous sommes, de très loin, les leaders sur ce marché : on a réussi à engager nos utilisateurs comme personne d’autre et si on peut amener cela à Google, ils en tireront beaucoup d’avantages.
INfluencia : Votre modèle économique a-t-il changé depuis un an ?
Noam Bardin : Non. Nous avons une plateforme publicitaire qui est complètement intégrée à l’application donc il n’y a pas de bannières standards. Beaucoup d’utilisateurs ne se rendent même pas compte qu’il y a de la publicité. Par exemple, si vous conduisez dans Los Angeles, vous verrez sur l’application qu’il y a une station essence Chevron pas loin, parce que ce dernier est un de nos clients. Et en effet, il nous paye pour communiquer sur l’emplacement de ses stations. S’il y a un accident, vous pourrez également recevoir un bon de réduction pour un café. La pub est très native. Nous y sommes obligés car on doit toujours et d’abord être là pour aider les gens, il ne faut jamais que nous l’oublions. Evidemment, on doit gagner de l’argent mais on doit le faire d’une façon qui aidera un maximum de nos utilisateurs. Il faut qu’on génère des profits tout en ne distrayant pas trop l’utilisateur.
INfluencia : Ce modèle là, est-il celui de vos débuts?
Noam Bardin : Quand on a commencé, on pensait vendre les données. On s’est tourné vers la publicité car nos utilisateurs sont les personnes les plus importantes de notre business. Si on avait vendu nos données, seuls nos clients auraient été la priorité. Cette décision nous a aidé à nous concentrer sur une ambition plus large : les utilisateurs.
Benjamin Adler
Rubrique réalisée en partenariat avec ETO