Fai(r)e sens : les 10 commandements de la fabrique de la raison d’être comme avantage concurrentiel.
Le débat sur la raison d’être et la contribution des entreprises à la société a beaucoup animé le Medef, l’Afep et, plus généralement, les cercles des dirigeants en 2018. Le projet de loi Pacte sera bientôt discuté au Sénat. De nombreux observateurs ont souligné sa contribution essentielle en particulier dans l’affirmation du rôle social des entreprises, auxquelles les salariés demandent désormais de donner du sens à leurs rôles, au-delà de leurs seules fonctions de production ou distribution. En croissance aux Etats-Unis, sous la forme B Corp (‘’Benefit Corporations’’), les entreprises à mission bénéficient d’une notoriété encore faible en France, alors que c’est un puissant levier de transformation pour répondre aux défis contemporains selon nous. Danone a bien intégré cette opportunité et s’est engagé activement avec déjà la labélisation B corp dans plus de neuf usines. Plus largement, toute une littérature se fait jour autour du rôle des entreprises, des associations, des mouvements politiques et des gouvernements dans le capitalisme au XXIè siècle, et du bien-être en entreprise.
Lutter contre le désenchantement
Par ailleurs, avec le numérique et la globalisation qui sont intimement liés, tout a changé. On ne produit, travaille, communique, vend, recrute, fidélise ou ne consomme plus comme avant. Le modèle de la grande entreprise, dont la mission était d’apporter par exemple une sécurité, un bien-être ou un pouvoir d’achat au plus grand nombre est mort. Tout ceci rendant d’autant plus crucial l’impératif de définir une raison d’être qui guidera, cadrera, mobilisera les actions du quotidien des marques, de leurs collaborateurs et des relations avec leurs différentes parties prenantes. Qu’on l’appelle raison d’être, vision, ambition, mission, promesse, ou encore positionnement, dans le contexte de désenchantement que nous traversons durablement, ces notions toucheront non seulement la sphère économique mais également celles du politique et du social. Plusieurs conditions nous paraissent devoir être respectées pour que ces belles notions ne restent pas simples incantations, actes de comm’, ou, pire, wishful thinking menant à des impasses stratégiques et des retours de boomerang.
Pour appuyer notre propos, nous illustrerons ces convictions en nous appuyant sur la 3ème édition du baromètre Brand’gagement des cabinets Tilt ideas / Epsy (une enquête quantitative nationale portant sur échantillon représentatif de Français adultes).
– Condition #1 : la raison d’être doit projeter dans un futur désirable… tout en s’enracinant dans l’ADN et l’histoire spécifique de l’émetteur, qu’il soit entreprise, corps social ou politique. S’il n’y a pas cet enracinement, le premier risque est que la raison d’être ne soit pas suffisamment spécifique/authentique. L’entreprise à mission voit le monde grâce un futur éclairé et y porte une ambition élevée pour transformer le monde. Cela relève souvent du pari ou de l’utopie qui donnent sens, forgent des convictions, mobilisent les énergies et donnent le souffle et l’élan tant attendus. Bien souvent, cette mission bouscule les règles établies, les contourne, les change, les rend obsolètes… pour de bon.
Le second risque si cette projection n’est pas ambitieuse est d’enfermer l’entreprise dans ce qu’elle connaît, ce qui empêcherait le pas en avant et l’expérimentation. Sur ce dernier volet, chacune des parties prenantes impliquées pourra devenir contributrice à la dynamique collective de l’invention d’un futur désiré et non pas imposé.
– Condition #2: la raison d’être doit être incarnée dans des engagements concrets. Fort de nos expertises, Tilt ideas recommande pour ce faire d’imbriquer intimement la raison d’être comme modèle de gouvernance pour les démarches d’innovation.
– Condition #3: la raison d’être doit être simple, mobilisatrice et compréhensible par tous. Les responsables RH en particulier doivent s’en emparer car cette raison d’être est un atout pour la marque employeur. La raison d’être sera ce que vos collaborateurs en feront. C’est ce qui rend essentielle la mutualisation des pratiques, le désilotage et l’échange entre pairs internes et externes.
– Condition #4: la raison d’être doit être pérenne. Il faut en effet du temps pour qu’elle soit diffusée, infusée, appropriée, comprise, relayée, amplifiée.
– Condition #5 : la raison d’être est un outil stratégique dont la performance doit être mesurée. La loi Pacte prévoit certes une démarche d’évaluation des actions déployées pour relever les engagements qui ont été réellement pris, mais rien n’empêche d’envisager d’autres critères internes ou externes (du type : transformation score, bien être généré , RSE…).
– Condition #6 : la raison d’être devient un actif stratégique de création de valeur. Le portage d’une mission qui fait sens permet à l’entreprise ou l’enseigne de mieux fidéliser ses clients et de leur faire accepter de payer plus cher le même produit ou service.
– Condition #7 : la raison d’être améliore la productivité de l’entreprise. Alors que la perte de sens dans l’action contribue à un désenchantement accentué des équipes, l’ambition de contribuer concrètement à une société meilleure fédère et invite à être davantage mobilisé. Et c’est encore plus vrai auprès des Millenials.
Condition #8 : la raison d’être favorise la transformation culturelle. Alors que le modèle dominant des cultures d’entreprise tournées vers l’obsession clients et les résultants commencent à lasser les équipes, les modèles culturels alternatifs fondés sur l’engagement sociétal, l’innovation et les talents sont appelés de leurs vœux.
Condition #9 : la raison d’être aura d’autant plus d’impact qu’elle soutient une cause qui compte pour la cible de l’entreprise. Toutes les causes ne se valent pas en termes de priorisation clients et s’inscrire dans les quatre plus essentielles garantit un impact maximal. Avec dans l’ordre ; contribuer à une société où personne ne manque de rien, éliminer les impacts négatifs sur l’environnement, développer l’emploi en France, défendre le pouvoir d’achat.
Condition #10 : la raison d’être permet de se démarquer positivement de ses concurrents. D’un côté, il y a une corrélation établie entre l’image d’une entreprise et la perception de son engagement à contribuer à une société meilleure. De l’autre, des dynamiques sectorielles sont constatées comme le luxe ou la bancassurance en lanternes rouges ou le grande distribution en pole position. Et à l’intersection se trouvent quelques (trop) rares entreprises qui arrivent à cristalliser un dessein et à se démarquer très positivement du positionnement catégoriel. Soit une clé puissante de création de valeur de marque sur la durée.
Au final, ce qui fera la différence dans le succès de la propagation d’une raison d’être sera la capacité à l’installer dans la durée et cohérence.
Soit la marque des belles âmes selon Cicéron : « Esse quam videri » ou en français « Etre plutôt que paraître »