« Miroir, miroir en bois d’ébène, dis-moi, dis-moi que je suis la plus belle. » Les marques n’ont pas le miroir de la vérité, comme la reine des frères Grimm, pour se rassurer. Pour séduire, pas de magie, une seule arme : la puissance créative de l’idée, d’où qu’elle vienne. Car qui, aujourd’hui, peut se prévaloir de professionnalisme en la matière ? Les agences ? Les jurés ? Ou la foule aux œufs d’or ?
En France, près de 30 milliards d’euros sont investis annuellement par les entreprises dans la communication. Un tel investissement justifie l’efficacité des actions mises en place par les marques en perpétuelle recherche de différenciation. La publicité, vecteur important et influent de la communication, repose sur certaines quêtes, dont celle de l’excellence créative pour attirer l’attention du public, autrement dit du « consommateur ». Dans cette grande bataille de la séduction, les festivals publicitaires sont devenus les instruments incontournables pour procéder à l’évaluation de la création artistique. En regardant la 63e édition des Cannes Lions, qui est à la publicité ce que les oscars sont au cinéma, il est de rigueur de s’interroger sur la réelle valeur d’une idée créative. Et en quoi sa perception, aussi subjective soit-elle, peut contribuer autant à sa valorisation économique que médiatique.
Le mercato publicitaire, seul juge de la « créativité » ?
La richesse de la « créativité » résiderait dans une combinaison d’idées existantes, permettant d’établir un concept innovant encore jamais exploité. Les termes de « concept créatif » pour désigner une « idée originale » ont, quant à eux, souvent tendance à être employés par les professionnels de la communication sans forcément tenir compte de la perception, ni du ressenti des principaux intéressés, à savoir les prospects. À qui appartient donc la légitimité de pouvoir exprimer son jugement, à propos d’une idée, pour la définir comme créative ?
Chaque année, les prix sont une nouvelle occasion pour les créatifs de l’industrie publicitaire de pouvoir s’évaluer dans une course folle vers l’excellence dite « créative ». En effet, décrocher un prix c’est un peu comme trouver le Graal, l’objet mythique qui octroie la légitimité d’appartenir enfin au microcosme de l’industrie publicitaire. Par ce moyen, les « créatifs » acquièrent une véritable crédibilité et une notoriété, généralement accompagnées d’une augmentation significative de revenus. Si on compare cette situation à celle du milieu footballistique, on assiste alors à un véritable « mercato publicitaire ». Or, la mesure de la dimension créative est, dans ce type de manifestation, évaluée selon l’avis d’experts de la profession, un jury, soigneusement sélectionné parmi les grands noms de la publicité. À qui profite donc réellement le succès d’une campagne reconnue comme « créative » ?
D’après une étude menée par Maria Mercanti- Guérin, maître de conférences en marketing digital, « la recherche systématique de créativité peut représenter un risque tant au niveau des résultats commerciaux que de l’image de la marque ». Les festivals serviraient donc plus fortement les intérêts des agences que des annonceurs. Il est bien certain que le dessein souhaité pour une idée soit sa créativité, mais cette notion semble souffrir d’un manque cruel de démocratisation. Et pour qu’elle soit estimée à sa juste valeur, peut-être serait-il temps d’envisager de convier directement les utilisateurs à prendre part à ce jugement, si l’on veut – par définition – qu’il reste juste.
Le crowdsourcing, ou l’intarissable inspiration
Alors que la transformation digitale a profondément bouleversé les modèles de communication et que l’économie de partage est dans toutes les bouches, les outils collaboratifs se développent en instaurant de nouveaux business models. Les solutions sont aujourd’hui collectives, en témoignent les success stories des plus grandes plateformes de crowdfunding (MyMajorCompany, Kickstarter, Indiegogo, etc.). Ces outils communautaires constituent de nouvelles approches participatives dans le processus de création et engendrent une évolution de la relation entre les marques et leur audience. Les marques sont toujours à la recherche de contenus engageants, créatifs et à fort potentiel viral. Quoi de mieux, pour raconter une histoire, que de capitaliser sur l’intelligence collective et sur le pouvoir créatif de nombreux talents venant des quatre coins du monde, avec leur culture, leur propre vision et leur imaginaire enrichis par leurs différences et leurs particularismes. Le crowdsourcing bouscule ainsi les règles du jeu pour aspirer au renouvellement de la création au bénéfice des créateurs et des annonceurs.
Traduit littéralement, le crowdsourcing désigne la capacité à produire du contenu de manière collaborative. Le pouvoir multiculturel d’une communauté internationale assure un potentiel créatif illimité. Les opportunités sont multiples et le crowdsourcing permet à tous les acteurs, marques, agences et institutions, d’accéder et se laisser surprendre par une mine d’or de nouvelles idées, de raccourcir les délais ainsi que les budgets et de produire un contenu engageant.
Un modèle gagnant-gagnant
Grâce à l’essor du numérique, et la mise à disposition de nouvelles technologies, l’approche « People Talking to People » offre de nouvelles perspectives business, à double sens. En effet, elle permet aux marques de s’adresser directement à une large communauté de consommateurs potentiels, de puiser dans des ressources créatives diversifiées et quasi infinies, tout en bénéficiant d’un excellent rapport qualité/prix. De même, les agences peuvent s’inspirer d’idées provenant du crowdsourcing et qu’elles peuvent développer par la suite.
De l’autre côté, les membres de la plateforme, des professionnels ou amateurs, peuvent avoir accès à des briefs sur lesquels ils n’auraient jamais eu l’opportunité de travailler en tant qu’indépendants. Les appels à création invitent tous types de réalisateurs, spécialistes ou simplement passionnés, à produire et partager leurs idées créatives et leurs talents artistiques pour de grandes marques internationales. Le décloisonnement est l’un des premiers bénéfices du crowdsourcing ; libre à chacun de se faire une place dans la profession en déployant une vraie énergie sur des projets choisis. Cela donne très souvent lieu à de très belles histoires… et prouve également que le talent n’a ni barrières, ni frontières. La créativité serait-elle en train de se démocratiser ? Affaire à suivre…
Article publié dans la revue n°18 sur l’inspiration