Le complexe de la peau blanche survit et est entretenu depuis la période coloniale par les produits cosmétiques. Un tabou à faire tomber.
« Je suis une version acceptable de fille noire pour Hollywood, cela doit changer », déclarait avec fracas Zendaya, chanteuse et actrice américaine de 21 ans, lors du festival BeautyCon à New-York ce 22 avril. L’ancienne vedette de la chaîne Disney, idole des adolescent·e·s, dont les ancêtres viennent aussi bien du continent européen qu’africain, brise un tabou. Dans le monde du glamour et du politiquement correct, les femmes métissées à la peau claire auraient clairement plus d’opportunités que les autres. Ce débat n’est pas anodin. En France, comme aux États-Unis, des milliers de femmes, et d’hommes sont marqués par ce qu’on nomme le colorisme, une discrimination entre les peaux de couleurs, favorisant les peaux plus pâles.
« I am Hollywood’s acceptable version of a Black girl and that has to change. We’re vastly too beautiful and too interesting for me to be the only representation of that. » – #Zendaya in conversation with @BadAssBoz at #BeautyconNYC pic.twitter.com/wZaIrJm1Tw
— Danielle (@theislandiva) 22 avril 2018
Un phénomène issu de la colonisation
Le phénomène prend racine à l’âge d’or de la France coloniale, dans les années 1920. L’imposition de la langue, des normes et traditions françaises a non seulement profondément modifié et influencé les cultures, économies, comportements sociaux et politiques dans la durée mais a aussi eu d’autres impacts, moins visibles, sur la perception et la psyché des populations locales.
La peau noire concentre une très importante dose de mélanine -le pigment qui donne à la peau, aux yeux et aux cheveux leur couleur. Or, par le biais de la colonisation et de l’idéologie raciste véhiculée à l’époque, la couleur sombre est rapidement devenue un marqueur identitaire péjoratif, associé aux classes socio-économiques et culturelles les plus défavorisées. Cette image a été intériorisée par les différentes populations africaines, et ce, pendant des siècles. Certains « colonisés » ont donc cherché à imiter la couleur de peau ou les caractéristiques physiques des colons, dans le but d’améliorer leur condition de vie et leur image.
Ce processus d’aliénation -la « négrophobie » envers les autres Noirs et l’espoir de ressembler aux Blancs- a été d’ailleurs décrit et analysé dès 1952 par Franz Fanon dans « Peaux noires, masques blancs ». Le court-métrage plusieurs fois primé, « Charcoal » (2017, de l’Haïtienne Francesca Andre) dénonce les ravages du colorisme. Malgré la dénonciation de ce phénomène, le colorisme reste une réalité, notamment aux États-Unis où avoir conscience de la couleur de sa peau affecte directement l’image et la confiance en soi. Notons par ailleurs que chez la population américaine blanche le contraire est également vrai. Ainsi, après-guerre, a émergé le concept de la « Breck girl », la femme américaine aux cheveux longs, yeux clairs et peau d’albâtre, archétype de la beauté pendant de nombreuses années…
Le marché lucratif des produits éclaircissants
Ce décalage entre un idéal à atteindre -un critère de beauté, d’estime de soi fondé sur une peau claire- et la réalité a donné lieu à toutes sortes de stratégies de beauté dans les anciennes colonies africaines et sud-asiatiques. Ainsi, pour un très grand nombre d’Indiens (hommes comme femmes), s’éclaircir la peau est rapidement devenu une habitude au même titre que de se lisser les cheveux ou s’épiler les sourcils. Les produits éclaircissant sont ainsi rapidement devenus une nouvelle manne financière.
D’ici à 2024, les profits issus de cette industrie pourraient cumuler à 25 milliards d’euros à l’échelle mondiale. Le marché asiatique seul ferait près de 4,68 milliards d’euros de profit dans les quatre prochaines années. Le marché hexagonal lui est en plein essor : entre 1 et 5 millions de Français auraient indiqué une ascendance africaine. Sans compter la présence d’une diaspora africaine importante en France. Combien de personnes utilisent alors ce type de produits ? Il suffit de se promener au nord de la capitale parisienne, dans les quartiers de Château Rouge, ou Château d’Eau, pour remarquer que l’industrie de la « peau blanche » a pignon sur rue. On notera ainsi la prolifération de boutiques et magasins dont les rabatteurs vantent les services (salons de coiffure, manucure, etc.) et vendant des produits cosmétiques « africains » dont les crèmes et autres produits éclaircissant. Ces derniers sont d’ailleurs vantés par des célébrités africaines, et ce malgré la controverse qui entoure cette industrie et ses fabricants, de grandes multinationales aux sièges… européens.
Néocolonialisme ?
Ainsi, la France est très active dans la production et la vente de crèmes éclaircissantes aux côtés de sommités internationales. Clarins SA donc avec son White Plus mais aussi E.T. Browne Drug Co., Cavin Kare Pvt., Shiseido Co., Beiersdorf A.G. et l’américain Procter and Gamble comptent parmi les plus grands producteurs de telles crèmes, y compris celles produites en Europe et ailleurs. Pour éviter la controverse entourant les marques et des produits qualifiés de racistes, Clarins préfère promouvoir ses produits comme des crèmes de nuits ou agents de teinte, plutôt que comme des produits éclaircissants. Mais selon des documents analysés à propos de l’un de ses produits, « les experts de Clarins ont trouvé que les extraits d’acerola sont capables de contrôler la surproduction de synthèse de mélanine à sa source ». Cela n’empêche pas à ces marques de recourir à des célébrités locales pour vanter leurs produits, que ce soit en Inde -qui a légiféré en 2014 sur ce type de publicités- ou au Cameroun.
Reprudencia Sonkey, mieux connue sous son nom de scène Dencia, a ainsi fait la promotion auprès de milliers de femmes africaines une gamme de crèmes éclaircissantes appelée Whitenicious. Dans un objectif marketing, la chanteuse camerounaise a affiché des photos d’elle-même : avant (peau très foncée) et après (peau claire). Succès garanti : en moins d’un mois, l’entreprise a enregistré un record de ventes. Tout comme Clarins, Dencia évite la controverse, jouant sur les mots et les qualités du produit, moyen ici de se débarrasser de ses tâches noires. Néanmoins, les femmes africaines achètent Whitenicious spécialement pour s’éclaircir la peau, ce qui suscita des critiques de la communauté noire envers Dencia. En dépit de cela, elle a assumé vendre une crème pour le bien des femmes africaines à la peau foncée.
En finir avec les normes imposées
En 2012 le candidat François Hollande avait proposé d’éliminer le mot « race » de la Constitution. Si le geste était admirable et bien intentionné, l’effort était au mieux symbolique, au pire vain. La race n’est pas ici le sujet mais le racisme intériorisé et le colorisme oui. Encourager la promotion de produits favorisant ces idéologies est dommageable et risqué pour la santé.
À l’image du mouvement nappy (acronyme pour « natural » et « happy ») qui se développe en France, de nombreuses initiatives voient le jour -on pense ainsi à l’association étudiante Sciences Curls à Sciences Po Paris- pour s’affranchir des normes visuelles et physiques imposées par l’histoire coloniale. Solanes Knowles, petite sœur de Beyoncé et chanteuse, soutient ce mouvement. Si nos gouvernements veulent aider, alors ils pourraient interdire complètement la vente des produits éclaircissants ou les taxer spécifiquement, en plus de ceux déjà répertoriés en Europe comme dangereux. Le Ghana a ainsi déjà pris quelques mesures mais il est grand temps de les généraliser à l’échelle mondiale, notamment du côté des fabricants. Il faut par ailleurs développer des campagnes de service public comme celle lancée par des activistes indiennes « Dark is beautiful » et encourager la parole de jeunes stars issues de la pop-culture telles que Zendaya afin de faire enfin changer les mentalités.
Cet article a d’abord été publié sur le site The Conversation