L’idée que la technologie va régler les problèmes complexes et systémiques comme le changement climatique, la pauvreté et la crise du logement ou des soins de santé est simpliste. Et c’est le moins qu’on puisse dire.
Il faut changer radicalement la façon dont nous vivons, et on ne peut pas engendrer la durabilité sociale et environnementale en appliquant simplement de nouvelles technologies à nos modes de vie existants. Il nous faut favoriser les modèles de mode de vie qui à la fois améliorent notre bien-être actuel et réduisent la demande en matières premières sur la planète. Les modèles existants de développement urbain qui peuvent atteindre ces objectifs s’implantent à travers l’Amérique du Nord. On en trouve un exemple dans le logement collaboratif ou cohabitat.
La solution du cohabitat
Au moment où les municipalités envisagent le développement de villes intelligentes, elles doivent considérer la façon dont les citoyens contribuent à « l’intelligence » relative de la ville. Le cohabitat est justement un de ces modèles puisqu’il est à la fois une forme et un processus de conception pour la coopération qui contribue à créer des communautés animées et résilientes. Alphabet de Sidewalk Labs planifie un nouveau genre de quartier qui serait construit dans un district du bord de l’eau de 12 acres à Toronto nommé Quayside. Ce n’est que le commencement, puisque tous les yeux sont tournés vers le futur développement des 750 acres avoisinant le site le long du bord de l’eau à l’est.
Voici Sidewalk Toronto, Waterfront Toronto et Alphabet de Sidewalk Labs
Ces nouveaux quartiers seraient ultra-connectés. Or, rappelons-le, ce fut une année de scandales à Silicon Valley, de Google échangeant des courriels avec des développeurs d’applications à l’enquête conjointe du ministère de la Justice, du FBI, de la commission fédérale du commerce et de la commission des valeurs mobilières sur des fuites de données par Facebook. Un quartier connecté construit à partir de flux de données peut bien ne pas être le facteur de vente que Sidewalk Labs aurait espéré. Il n’est pas surprenant que plusieurs personnes demeurent méfiantes face à cette proposition.
Plusieurs voies vers la ville intelligente
Il y a différentes voies qui mènent aux villes intelligentes. Par exemple, nous avons des techno-utopies qui se concentre sur l’optimisation numérique de la ville, en mettant l’accent particulièrement sur les infrastructures. Ou bien, on peut considérer la façon dont les innovations sociales peuvent entraîner une meilleure qualité de vie pour un plus grand nombre de gens. Évidemment, ces approches s’entrecoupent parfois, mais je ne peux m’empêcher de noter l’accent particulier placé sur les aspects technologiques qu’on retrouve dans presque toutes les critiques du projet Quayside. Ces critiques venant d’universitaires, d’experts en technologie et de citoyens intéressés sont justifiés parce que jusqu’ici, les approches de «ville intelligente» à travers le monde ont généralement été reliées à des processus mettant l’accent sur les nouvelles technologies. Les gens qui vivent dans ces villes sont souvent exclus du processus de planification qui plus tard aura une incidence sur leur vie. Étant donné le niveau de mobilisation sur cette question, il est très clair que les citoyens de Toronto sont désireux d’avoir l’opportunité de participer vraiment à rendre leur ville meilleure. Dans cette optique, je veux attirer l’attention sur l’un des éléments présentés par la proposition Quayside : le cohabitat.
Un modèle de collaboration véritable
On assume que les gens comprennent ce que signifie le cohabitat, mais en tant que chercheur dans ce domaine, je peux vous assurer ce n’est pas le cas pour la plupart des gens. Il y en a qui pensent que c’est un genre d’approche au logement abordable, ce qui n’est pas encore le cas en Amérique du Nord. On comprend peu de quelle façon la nature de cette sorte de communauté intentionnelle représente un changement assez radical, et positif, dans la vie moderne. Les gens apprennent à établir des consensus avec leurs voisins sur des questions de partage, d’entretien et de collaboration véritable. Ceci est un modèle de conception, de développement et de gestion qui, lorsqu’il est réalisé adéquatement, peut contribuer à une approche «ascendante» pour bâtir la ville. Mais, le cohabitat n’est pas encore clairement défini à la fois par la proposition elle-même et la couverture des médias.
Qu’est-ce que le cohabitat?
Le cohabitat comprend la participation à la conception, au développement et à la gestion du projet par un groupe ou collectif auto-organisé. C’est l’un des nombreux modèles de logement collectif qui sont apparus en Europe du Nord à la fin des années 1960 et 1970. Les décisions sont prises par consensus et le règlement des différends est essentiel pour la création de ces communautés. Les résidants achètent ou louent des logements privés complets au sein d’un projet plus vaste (habituellement entre 15 et 33 habitations), tout en partageant aussi une propriété commune, comme une maison commune, une grande cuisine et aire de repas, chambres d’invités et jardins. La structure juridique de ces communautés peut varier : certaines sont des coopératives tandis que d’autres sont des associations de condominiums.
Matériellement simple, relationnellement riche
Une raison pour laquelle ce modèle est intéressant, c’est qu’il nous démontre que quand les membres d’une communauté intentionnelle se regroupent pour créer leur propre quartier, ils optent pour moins d’espace personnel et plus de ressources partagées; ils optent pour une vie matériellement simple, mais relationnellement riche. Ces projets peuvent aussi aider à «semer» un sentiment vibrant de communauté dans une zone plus vaste. En dépit du fait que la plupart de ces communautés n’ont pas de bâtiments certifiés verts, la recherche nous démontre que les communautés de cohabitat sont plus performantes que les immeubles verts en termes de mesures environnementales, et ceci est sans doute relié à la structure de gouvernance plutôt qu’à l’innovation technologique. Intelligent, n’est-ce pas? Une étude de cas à Barcelone indique qu’il y a beaucoup à gagner à jumeler les approches descendante et ascendante à propos du développement des villes intelligentes, parce que le partenariat entre les différents participants peut renforcer la collaboration. Les communautés de cohabitat à travers le Canada et les États-Unis pourraient tirer profit de la capacité des entreprises comme Sidewalk Labs de mobiliser les gens, les politiciens et les ressources. Toutefois, afin que cela fonctionne pour les communautés de cohabitat, il doit y avoir une réelle occasion de partenariat avec les occupants éventuels de manière qu’ils aient la maîtrise du processus parce que ce son eux qui doivent être la force motrice du processus. L’esprit communautaire qui naît au sein des développements de cohabitat n’est pas simplement attribuable à sa conception physique, ni à un heureux hasard – c’est le principal objectif du processus de développement et de gestion, qui commence avant la conception et le développement de ces communautés.
* Article tiré de The Conversation.com