29 septembre 2023

Temps de lecture : 3 min

Clubhouse tente un retour gagnant dans un format plus intime

Bien décidé à (re)partir à la conquête du marché des application audio, Clubhouse, que l’on annonçait pourtant au bord de l’implosion il y a quelques mois, se réinvente totalement. Reste à voir si la nouvelle DA saura conquérir les utilisateurs... et rassurer les investisseurs.

Les médias morts-nés constituent un sujet peu développé par les journalistes et par les chercheurs en SICSciences de l’Information et de la Communication –. Si certains auteurs, tels que Bruce Sterling, Eugène Thacker ou Alexander R. Galloway, se sont bien intéressés aux « media morts », peu d’entre eux se sont penché sur les tentatives médiatiques qui n’ont même pas, ou à peine, eu le temps de décoller avant de disparaitre des radars. Et pourtant, entre les regrettés MSN Messenger, Viadeo, Google+ ou encore Vero, que nous évoquions avec enthousiasme à sa sortie, il y aurait un paquet d’exemple à creuser.

Celui qui nous intéresse aujourd’hui était même annoncé comme la prochaine killer app qui devait révolutionner les contenus audios. Clubhouse, balancé sur la toile en avril 2020, avait en effet tout pour plaire. Là où Snapchat ou Tiktok misaient sur une débauche de technologie – filtres en réalité augmentée, plateformes de montage vidéo, algorithmes de découverte aux petits oignons –, ClubHouse avait choisi de se démarquer par la voie de la simplicité. Presque trop simpliste, pour ses détracteurs d’antan, l’application ne proposait que quelques fonctionnalités essentielles. En premier lieu, ses algorithmes de recommandation qui s’appuyaient directement sur les centres d’intérêt que l’utilisateur avait lui-même renseigné à son inscription et sur ses contacts. Un concept, et une expérience utilisateur, épuré qui nous rappelait presque au bon souvenir des radios libres qui ne juraient que par leur contenu.

 

 

Ce parti pris était même devenu son principal argument de vente : « Clubhouse propose une alternative séduisante à l’heure où nos journées nous transforment en zombies devant nos écrans, avant de passer nos soirées à nouveau face à un PC ou un téléviseur pour regarder une série », estimait par exemple Emmanuel Vivier, expert du digital et co-fondateur du Hub Institute, au moment de la sortie. Il y avait même une vraie prouesse technologique en coulisses : la capacité de traiter des volumes audios importants. L’IA savait se faire oublier des utilisateurs mais leur garantissait toujours une qualité sonore de bonne facture, la fluidité des échanges et le compressage des flux audios.

 

C’est pas tout de le penser

Et pourtant, en quelques mois à peine, le nombre de ses téléchargements s’est effondré, passant, selon les chiffres de Statista, de 9 millions en février 2021 à seulement 2,7 millions un mois plus tard, puis à peine 950 000 en avril de la même année. Si l’usage très élitise de la plateforme par le milieu entrepreneurial pouvait en partie expliquer la dégringolade, l’application étant essentiellement trustée par les start-uppers, l’autre raison venait du fait que tous les géants du secteur s’étaient mis eux-aussi à produire des contenus audios – Facebook avec Hotline, Twitter avec Spaces ou encore Telegram avec Voice Chat 2.0 –. Résultat, après des mois de concurrence acharnée, les dirigeants de Clubhouse prenaient la décision en avril dernier de licencier la moitié de leurs employés.

 

 

Dans un communiqué publié sur le blog de l’entreprise, ses cofondateurs Paul Davison et Rohan Seth expliquaient vouloir « réinventer » leur bébé, bien conscient que les consommateurs ont moins de temps à passer sur des salons vocaux qu’en 2020. Pour se relancer, ils annonçaient une nouvelle stratégie basée sur des équipes plus petites et axées sur le produit. « Une équipe plus restreinte nous permettra de nous concentrer et de gagner en rapidité, et nous aidera à lancer la prochaine évolution du produit ». Cinq mois plus tard, la nouvelle monture se dévoile.

 

L’ex-futur killer app 2.0

Clubhouse tourne donc la page en passant de ses conversations audio signature qui permettaient aux utilisateurs de s’inviter librement dans de vastes groupes communs à des discussions vocales plus intimes et personnelles. Au lieu de naviguer dans des salles ouvertes à tous les utilisateurs, la nouvelle fonctionnalité veut encourager les utilisateurs à rejoindre des groupes de personnes qu’ils connaissent. L’application abandonne aussi les messages directs textuels, appelés DM, pour des messages audios privés, du nom de VM. « Il ne s’agit plus d’écouter passivement les gens parler », précise l’entreprise. « Il s’agit plutôt de parler avec des gens […] et de développer une amitié dans la vie réelle avec les amis de vos amis et avec des gens que vous n’auriez jamais rencontrés autrement ».

 

 

 

La phase de transition que traverse Clubhouse symbolise à merveille les difficultés rencontrées par l’ensemble des plateformes sociales ces dernières années. Controverses éthiques, amendes records, revenus en baisse, nombre d’utilisateurs qui plafonne… un contexte plus que délicat qui conduit carrément certains experts à prédire leur mort, à l’image du théoricien néerlandais des médias et spécialiste d’Internet Geert Lovink.

Jean-Hugues Roy, journaliste et professeur à l’École des médias de l’UQAM, tempère son propos son expliquant que l’on entre plutôt dans « l’ère de maturité ». Avant de conclure : « Et comme tout passage à la maturité, ça s’accompagne d’une crise. […] On assiste à une diversification des réseaux sociaux. Il leur arrive ce qui arrive aux plateformes de streaming vidéo. Netflix ne domine plus, mais ça ne veut pas dire que Netflix est mort. D’autres joueurs se taillent une parte du gâteau ». Et les places à prendre dans le mix de notre consommation médiatique sont chères, très chères.

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