Après la musique et la vidéo, voici venu le temps du jeu vidéo en streaming : le cloud gaming. Décrit par les GAFAM comme la nouvelle révolution de l’industrie du divertissement, cette technologie ambitionne de dématérialiser le jeu vidéo et d’en ouvrir l’accès au plus grand nombre. Des velléités difficilement compatibles avec les impératifs écologiques de notre temps.
Le cloud gaming est au jeu vidéo ce qu’Oedipe est à son père : une technologie freudienne qui voudrait tuer son géniteur et rafler la mise d’un secteur en pleine expansion. C’est en tout cas ce qu’a dit lapidairement le vice président de Google, Phil Harrison, lors d’une conférence à San Francisco : « l’avenir du jeu vidéo n’est pas dans une console ». Cette déclaration est loin d’être anodine dans un contexte commercial où la valeur mondiale du jeu vidéo en 2020 est estimée à 90 milliards de dollars, et ce avec plus de 2,5 milliards d’utilisateurs dans le monde . Un marché gigantesque qui n’est pas près de décroitre au regard des innovations qu’on y développe. Parmi elles, le cloud gaming propose de nous affranchir de nos consoles encombrantes et de nos piles de CD entassés sur l’étagère pour jouir de jeux vidéos entièrement dématérialisés. Une idée pas si nouvelle, mais longtemps restée inenvisageable sur le plan technique.
L’appétit d’ogre des GAFAM
L’avenir du jeu vidéo se cristalliserait donc dans le cloud gaming, une technologie en streaming qui ne nécessite qu’un écran – télévision, ordinateur, smartphone – et une bonne connexion internet pour jouer aux jeux vidéos. L’intérêt est de réduire drastiquement le prix global d’achat et de démocratiser l’accès au divertissement en ligne. À la manière de Spotify pour la musique et de Netflix pour la vidéo, Ie cloud gaming est un service de jeux vidéos multi-écran à la demande. Cette prouesse technologique est rendue possible grâce à de puissants serveurs qui délivrent à distance un débit massif et ininterrompu de données afin d’alimenter les terminaux des utilisateurs.
Si la notion du cloud gaming existe depuis près de vingt ans, son essor fut ralenti par l’absence d’infrastructures adaptées. Car pour maintenir une expérience utilisateur satisfaisante, le jeu vidéo en streaming nécessite une connexion internet en très haut débit pour éviter toute latence. C’est pourquoi les entreprises de la Silicon Valley investissent aujourd’hui ce marché avec un appétit d’ogre : la perspective de la 5G et l’équipement en fibre rendent enfin possible l’utopie d’hier. Google Stadia, Microsoft XCloud, Playstation Now, Apple Arcade… Les GAFAM se ruent sur ce marché prometteur et rivalisent pour obtenir les exclusivités, en dépit de l’impact écologique de cette nouvelle pratique.
L’insoutenable usage du cloud gaming
Si l’innovation est motrice en terme de croissance, elle peut présenter des externalités négatives inquiétantes pour l’environnement. Or, l’engagement des mastodontes du numérique dans les « jeux en nuage » génère un coût en énergie considérable du fait des data centers et de l’acheminement des données par des câbles sous marins tentaculaires. En superposant le caractère hautement énergivore des serveurs et la taille toujours plus conséquente des jeux vidéos et des écrans (GTA V pèse à lui seul 65 GB), on prend la mesure de la contradiction : l’économie numérique tend vers une consommation énergétique illimitée dans une planète aux ressources plus que jamais limitées. La consommation annuelle mondiale de vidéos en ligne émet par exemple autant de C02 que l’Espagne .
Comme si l’économie numérique refusait d’entrevoir la fin du mythe d’une croissance infinie…
Or, la production d’électricité a un effet direct sur le réchauffement climatique. Selon l’AIE (L’Agence Internationale de l’Énergie), la production électrique mondiale en 2015 était fournie à près de 40% par le charbon. Un combustible fossile dont les émissions de gaz à effet de serre participent largement à la fonte des glaciers au Groenland et au mega-feu en Australie. Face à l’urgence climatique et à la destruction du vivant, c’est comme si les acteurs de l’économie numérique refusaient d’entrevoir la fin du mythe d’une croissance infinie. Ce décalage de plus en plus béant entre rationalité économique du marché et écologie politique du vivant serait-il un signe supplémentaire de notre nécessité à changer de système ?