Entièrement écrit, réalisé et monté par l’intelligence artificielle, le court-métrage « Eclipse » a constitué une curiosité esthétique et technologique qui a (trop légèrement) relevé la qualité de la cuvée 2016 du showreel de Saatchi & Saatchi.
Les machines peuvent-elles penser ? L’intelligence artificielle qui, depuis deux ans, fomente son putsch de civilisation n’a jamais autant inquiété l’Homme. Plus de cent ans après l’interrogation du scientifique Alan Mathison Turing, la pub alourdit l’atmosphère anxiogène en confiant les clefs d’un clip à six « bécanes » de l’agence, Team One, et du studio de visualisation avancée, Zoic Labs. Cachée dans une sélection sans extase, la Grand messe annuelle de Saatchi & Saatchi aux Cannes Lions, « Eclipse » a peut-être annoncé ce que sera la créativité publicitaire de demain. Pour en parler INfluencia s’est assis en terrasse avec le réalisateur et producteur Andy Gulliman, co-curateur du Showreel 2016.
INfluencia: êtes-vous d’accord avec nous si on vous dit qu’il s’est dégagé de cette sélection 2016 une volonté de remettre l’humain au coeur du l’histoire ?
Andy Gulliman : c’est un point de vue intéressant mais la vérité est que nous ne sélectionnons pas les films en fonction d’un thème défini ou voulu au préalable. On les choisit car ce sont, pour nous, les meilleures productions. Si a posteriori la sélection dégage une certaine hégémonie qui inspire au public une perception comme la vôtre, tant mieux. Mais ce n’est pas voulu de notre part, nous n’avons pas appelé les réalisateurs pour leur demander leurs films les plus humains.
Il y a eu des années où la sélection pouvait sembler être plus axée sur la technologie, d’autres sur la cinématographie, d’autres en effet sur l’humain… Cela varie. En revanche, il est vrai que nous avons voulu équilibrer l’intensité de la puissance émotionnelle de certains films avec des réalisations plus humoristiques. C’était essentiel pour l’attention de l’audience pendant une heure et quart et cette nécessité obligeait à des choix spécifiques en amont.
IN : mais peut-on quand même relever une tendance ou une direction globale dans la jeune créativité 2016 ?
A.G. : une fois encore, l’ambition du Showreel est de montrer ce qui se fait de mieux parmi les jeunes réalisateurs, dont les productions sont encore en dehors des radars. Mais ce n’est qu’après avoir terminé la sélection qu’on peut analyser et constater, en effet, qu’il y a une volonté commune d’exigence cinématographique, un esthétisme dans la lumière, un désir de technologie…
On peut ensuite avoir une idée où ces réalisateurs veulent en venir. Je ne crois pas pour l’instant que la technologie a changé la façon dont on raconte des histoires, bien qu’elle soit de plus en plus présente. Cette année plus encore que les autres nous avons voulu insister sur la direction prise par les réalisateurs pour anticiper ce que sera demain et notamment dans l’utilisation de nouveaux outils comme la réalité virtuelle ou l’intelligence artificielle, par exemple.
IN : justement, l’intelligence artificielle fait encore peur aujourd’hui pour son potentiel avéré à remplacer la main d’oeuvre humaine. La créativité sortie des cerveaux humains doit-elle s’inquiéter de la capacité du cerveau d’une machine à créer une histoire et la raconter ?
A.G. : pour l’industrie du film la menace est moindre. Ce que nous avons voulu faire avec ce film reste du domaine de l’expérimentation. Nous ne savions absolument pas comment nous y prendre. Normalement sur un tournage, je n’ai pas à savoir comment marche une caméra, mais là, il fallait que je comprenne comment marche cette machine. C’était une expérience de six semaines assez fantastique qui a permis le rapprochement de l’esprit humain et de l’esprit du robot, en l’occurrence celui de six machines.
IN : après coup, avez-vous été surpris ou conforté dans vos croyances sur la capacité créative de l’intelligence artificielle ?
A.G. : je sais encore plus aujourd’hui qu’elle a encore du chemin pour éventuellement remplacer l’humain. La touche magique de l’Homme est encore obligatoire et ne peut pas être remplacé. La machine possède une approche mathématique, c’est un soldat exécutant qui enregistre mécaniquement les données pour recracher les réponses. La machine ne pense pas avec une approche créative inspirante. Dans le futur, évidemment que la machine aura appris le bien du mal dans son exécution. Là, nous lui avons demandé de filmer, de monter, de faire la post-production, pas seulement d’écrire le script. Toutes les facettes de la réalisation qui sont demandées aux humains, on les a imposées à la machine.
IN : projetons-nous dans dix ans, quand l’intelligence artificielle sera peut-être déjà devenue une réalité quotidienne dans la pub et le cinéma. Comment la définiriez-vous alors ? Une substitution, un complément ou un nouvel outil ?
A.G. : un complément formidable pour l’efficacité mais pas la créativité. L’intelligence artificielle servira à assurer des tâches qui doivent être répétées des centaines de fois. On comprend la peur que peut provoquer l’intelligence artificielle mais nous n’avons pas voulu jouer avec ce sentiment là, mais plutôt expérimenter son support à l’Homme. Comment tirer le meilleur des deux intelligences et nouer un partenariat pour mieux comprendre comment l’utiliser ? C’est la question à laquelle nous avons voulu répondre avec « Elipse ».
Making-off du clip pensé par L’intelligence Artifielle :
Découvrez l’intégralité de la sélection 2016 ci dessous :