Taux de chômage record (1), dette publique dépassant 90% du PIB, sentiment d’insécurité généralisée (2) , mesures d’austérité lourdes et plurisectorielles, consommation record d’anxiolytiques (2), perte de confiance en l’avenir (3)… La France de 2013 est sujette à bien des maux.
Contrastant avec cette morosité ambiante, la publicité s’efforce, depuis quelques années, de délivrer un message de légèreté, de simplicité, d’accessibilité, d’optimisme, voire même de complicité aux Français. Parfois militante (4) , souvent drôle, et toujours rassurante, elle prône un véritable « retour à l’authenticité », aux valeurs sûres, frappées du sceau de l’historicité. Mais transmettre pareil message d’allégresse tout en s’appuyant sur le présent requérait de déployer bien trop d’adresse, pour que ce ne soit pas in fine l’évocation du passé qui l’emporte dans les contenus publicitaires qui nous sont donnés à voir.
« C’était mieux avant … mais notre produit peut vous permettre de revivre cet avant », voilà en clair le message véhiculé par nombre de campagnes ces cinq dernières années. S’inscrivant parfaitement dans cette lignée, la dernière campagne TV d’IKEA « Njut » (mot suédois signifiant « profiter » en français), orchestrée par l’alliance des agences Venise et Hémisphère Droit en 2011, parvint à savamment mélanger éloge de la légèreté, simplicité substantielle, humour, et évocation des moments heureux en famille ou entre amis, le tout empreint d’un puissant message hédoniste.(6)
NJUT! au bois dormant
Le message est clair, et Venise le résume très bien : « proposer une (…) façon plus optimiste d’aborder la vie au quotidien, dans un monde de plus en plus inquiétant. » (4)
Proposer aux adultes une expérience hors du commun
Poursuivant ce mouvement, mais usant d’un support bien plus original que pour la campagne NJUT – qui a depuis disparu – l’enseigne suédoise, épaulée par ubi bene, vient de mener une brillante opération street-marketing avec Mediatransports en plein cœur de la Gare de Lyon ( voir vidéo ci dessous), où un appartement au mobilier et accessoires surdimensionnés estampillés IKEA a été installé pour l’occasion, plaçant ainsi les adultes dans la même position qu’un enfant de quatre ans. Le but annoncé sur le site de l’agence : « proposer aux adultes une expérience hors du commun : se mettre dans la peau d’un enfant pour mieux appréhender les problématiques d’aménagement et de décoration de la maison. » (5)
Habitué à ce genre d’opérations, qu’ubi bene qualifie volontiers de « détournement du quotidien », IKEA avait déjà entre autres (en collaboration avec la même agence) transformé des abribus en salons IKEA (6) , installé une « aire de la sieste » éphémère sur l’autoroute (7) , ou encore remplacé les bancs du métro parisien et de la Gare de Lyon par ses canapés (8) .
Intitulée « Avec les yeux des enfants » cette nouvelle opération mérite que l’on s’y attarde tant elle illustre à merveille le mouvement asymétrique précédemment évoqué, entre morosité sociétale et allégresse publicitaire. Car au-delà du message évident d’accessibilité produit/marque, de l’expérience ludique et distrayante qui est offerte, ce que propose IKEA, c’est avant tout de retomber en enfance. Ce qui conduit ipso facto à se remémorer les souvenirs agréables d’une époque de pleine insouciance, bien loin de la crise actuelle. Plus encore, l’installation semble inviter à se déresponsabiliser, à faire abstraction de ses ennuis de grand, le temps d’un instant.
Dès lors l’opération ne peut – dans le climat actuel – n’être qu’un succès. Jouant sur trois ressorts que l’on sait efficaces : émotion, ludisme, et viralité, elle remplit à merveille aussi bien les objectifs de publicité institutionnelle que de publicité commerciale. Ubi bene parvient en effet à faire parler d’IKEA et à réaffirmer encore un peu plus le capital sympathie à l’égard de la marque (9) , tout en promouvant une gamme de produits bien spécifique : « les solutions d’aménagement pour un intérieur accessible (…) tant pour les adultes que pour les enfants » (10) .
Difficile cependant d’affirmer que ce coup de communication – aussi brillant soit-il – soit à même d’endiguer la baisse des ventes de la marque, qui ont diminué – pour la première fois en France – de 4,3% sur son exercice 2012 – 2013 (11) . Ce problème étant davantage d’ordre conjoncturel que communicationnel – puisque l’ensemble du marché de la vente de meubles au détail affiche un recul de 5% sur la même période – Seule la reprise tant attendue de l’économie sera à même d’y remédier durablement.
Teymour Bourial
1/ 9% de la population active en septembre 2013 (Source INSEE)
2/ 84% des Français ont le sentiment que la délinquance a augmenté au cours des derniers mois (Source IFOP, septembre 2013) / 49% des Français usagers de transports en commun se sentent parfois ou souvent en insécurité (Source IFOP, novembre 2013)
2/ Substances médicamenteuses destinées à traiter l’anxiété. En 2010, 20% de la population française en a consommé au moins une fois. (Source ANSM) 3 75% des Français se disent moins confiants pour l’avenir (Source : BVA-Axys, mars 2013)
4/Voir notamment récentes campagnes Intermarché, MAIF, Leclerc, Free… Voir aussi pour un excellent exemple de campagne en ce sens DRAFT/FCB pour Nivea / 2012 /
4/ Source : Portfolio de Venise
5/ Source : ubi bene
6/ Source : ubi bene
7/ Source : ubi bene
8/ Source : ubi bene