INfluencia : Louie Media vient de publier une minisérie Loveur Voleur, escroqueries en séries. En quoi cette série illustre-t-elle l’approche développée depuis plus de cinq ans par le studio qui s’est donné pour mission de « faire ressentir le monde » ?
Charlotte Pudlowski : on essaie toujours de capter les questionnements qui montent dans la société et de permettre aux auditeurs de mieux comprendre l’époque par le biais des émotions. Cela a été le cas avec Ou peut-être une nuit, la série que j’avais réalisée sur l’inceste six mois avant #MeTooInceste, Entre, la première série sur le harcèlement scolaire, Ma Tonkinoise, une enquête d’Hanaë Bossert sur sa famille et son rapport à ses origines asiatiques… Loveur Voleur la série sociétale de Lysiane Larbani, lancée en partenariat avec Libération, s’intéresse au fait que de plus en plus de femmes qui se font arnaquer par des hommes dans des histoires hallucinantes qui relèvent aussi de manipulations misogynes. On avait déjà abordé ce thème il y a un an dans la série Serial Mytho. D’autres l’ont aussi fait comme Sonia Kronlund qui a sorti début mars un livre L’Homme aux mille visages sur une histoire qu’elle a aussi adaptée en documentaire. Ou encore la philosophe et écrivaine Hélène Frappat qui a publié Le Gaslighting ou l’art de faire taire les femmes…
Dans la compétition avec les autres médias, la force du podcast tient à l’absence d’écran
IN : quels sont selon vous les ingrédients d’une bonne série podcast ?
C.P. : il n’y a pas une seule recette mais différents ingrédients qui sont devenus la marque de notre artisanat : se réinventer à chaque fois, changer en permanence de format pour toujours créer de la surprise à travers la forme, le fond, les sujets, l’univers sonore…. La question de l’émotion est au cœur de nos podcasts. Quand on arrive à avoir de bons personnages, capables de nous faire ressentir ce qu’ils ont vécu et éprouvé, on arrive à faire émerger des podcasts. La qualité est essentielle. Il faut réussir à se donner le temps pour produire des séries au niveau de ce qui peut plaire aux gens, les inciter à y consacrer du temps quand nous sommes en compétition avec une série Netflix, le dernier album de Beyoncé, un livre audio ou écrit… Dans cette compétition, la force du podcast tient à l’absence d’écran. Le podcast permet de se ressourcer et de réfléchir, d’être dans un temps long et un moment de concentration, de se sortir du quotidien et paradoxalement de faire autre chose en même temps.
IN : pourtant, le marché du podcast se tasse un peu…
C.P. : ce qui est compliqué, c’est la fragmentation de l’offre et le nombre vertigineux de podcasts produits chaque jour, avec un enjeu de hiérarchie et de curation sans comparaison avec celui des autres médias car il n’y a pas, au départ, de plateforme audio éditorialisée. Cette curation est en train de se mettre en place chez Apple Podcast, Spotify… mais il ne s’agit pas de curation de marques média comme on peut en avoir notamment dans la vidéo ou la presse. Depuis la naissance de ce marché, il est incontestable que la part d’attention que l’audio tient dans nos vies ne cesse de croître. Faire émerger un contenu relève d’enjeux éditoriaux. On l’a vu chez nous avec Passages, mais aussi avec des podcasts d’autres studios lorsque Victoire Tuaillon a lancé Le Cœur sur la table (Binge Audio) ou quand Lauren Bastide a proposé Folie Douce. Il y a également un enjeu d’usage. Les plateformes se cherchent mais il y a de plus en plus de curation. Aux Etats-Unis, des applications dédiées émergent. Le New York Times a par exemple lancé une appli payante sur abonnement New York Times Audio, qui a cumulé un million de téléchargements sur les six premiers mois. On ne peut pas en faire une règle mais cela montre que des gens ont envie d’avoir de la curation sur l’audio et des contenus de grande qualité. On y trouve les contenus du New York Times avec de l’info, du reportage plus émotionnel, des contenus autres comme This American Life qui est le grand podcast américain de storytelling audio… En France, la matinale du Monde fait ce type de sélection. Il y a aussi un enjeu politique. L’industrie du podcast est la seule industrie culturelle qui ne bénéficie d’aucune aide. Louie Media est cofondateur du PIA, le syndicat qui milite pour la création du statut d’œuvre sonore.
Il y a dans le podcast un enjeu de hiérarchie et de curation sans comparaison avec celui des autres médias car il n’y a pas, au départ, de plateforme audio éditorialisée
IN : la monétisation reste un problème même si les investissements dans l’audio digital progressent. Est-ce de nature à assurer le développement du secteur ?
C.P. : dans l’histoire des industries culturelles, on n’a jamais vu un usage qui développe ne pas trouver un jour son modèle économique. Les gens veulent du podcast et un modèle va émerger. Cela prend du temps et c’est là que l’enjeu politique entre en ligne de compte et où il faut que les pouvoirs publics soutiennent cette industrie extrêmement riche en termes de création, de capacité à sentir les mouvements de société et à les faire émerger. Il y a quelque chose de paradoxal à se réjouir de la libération de la parole, à vouloir faire advenir un monde nouveau et ne pas miser sur le média qui se concentre sur la question de la parole. Les annonceurs comprennent de mieux en mieux l’intérêt à s’adosser à des podcasts car le taux de mémorabilité sans comparaison avec ceux des autres médias.
Il y a quelque chose de paradoxal à se réjouir de la libération de la parole, à vouloir faire advenir un monde nouveau et ne pas miser sur le média qui se concentre sur la question de la parole
IN : sur quoi repose le modèle économique de Louie Media ?
C.P. : la plupart des années, nous avons été à l’équilibre économique grâce à une gestion extrêmement vigilante. En 2023, nous avons enregistré une progression de 40 % de notre chiffre d’affaires (non communiqué, ndlr). La publicité autour de nos podcasts et séries représente une part croissante dans notre chiffre d’affaires. Notre podcast de parentalité Faites des gosses avec un ton très journalistique et humoristique a été prévendu à Evian qui nous soutient depuis deux saisons sur cette proposition. Plus de 60 % de nos revenus proviennent des productions réalisées par notre agence Louie Créative pour des tiers.
En 2023, nous avons enregistré une progression de 40 % de notre chiffre d’affaires
IN : en décembre 2022, le groupe CMI a pris une participation de 47 % dans le studio. Dans quelle mesure cela amène-t-il des moyens pour développer de nouveaux projets ?
C.P. : Louie Créative a développé des podcasts pour Elle : Il était une (première) fois avec des récits sur les premières rencontres souvent intimes et une autre série Les Vagues sur la possibilité ou non de trouver sa place dans la société et dans nos vies. CMI apporte ses commandes et une assise sur le marché, en montrant qu’un groupe média croit à l’audio en général et à Louie Media en particulier. Cela nous permet de proposer aux annonceurs des offres de médiatisation avec tel ou tel titre de CMI, notamment avec le Elle dont l’ADN est proche du nôtre même si ce n’est pas le même positionnement. Nous pouvons créer des choses ensemble et faire circuler les audiences d’un titre à l’autre. Pour le moment, les projets ont surtout été développés avec Elle mais nous avons aussi des discussions avec d’autres titres pour d’autres développements.
CMI apporte ses commandes et une assise sur le marché. Pour le moment, les projets ont surtout été développés avec Elle
IN : quels sont les autres enjeux à moyen terme ?
C.P. : nous voulons toujours nous développer sur de nouveaux territoires éditoriaux et raconter des histoires de plus en plus pertinentes. Louie Media a vocation à développer le marché de l’audio en travaillant avec les annonceurs et les marques, en maintenant l’exigence sur les différents flux d’histoires que nous avons créés, qui sont devenus des mini-médias. C’est ce que nous faisons par exemple en créant Loveur Voleur à l’intérieur de notre flux Passages.