Exit les segmentations marketing simplistes et la sous-estimation des facteurs humains dans les prises de décision qui provoquent une déconnexion croissante entre les perceptions et la réalité. Comment changer leur regard ? Selon une étude d’Accenture, en passant de la « client-centricity » à la « life-centricity ».
On le sait, les décisions et les besoins des consommateurs évoluent très rapidement et les entreprises doivent y répondre tout aussi rapidement –même encore plus – d’autant plus que ces consommateurs sont pétris de paradoxes et veulent tout et leur contraire1. . Le cabinet de conseil Accenture a cherché à connaître l’écart qui pouvait exister entre les attentes exprimées et la perception par les entreprises des souhaits de leurs clients. Pour cette étude « Human Paradox », plus de 25000 personnes réparties dans 22 pays ont été interrogées. Quel constat en ressort-il ? Que le décalage entre les attentes des consommateurs et les actions des entreprises est largement ressenti des deux côtés. 64% des consommateurs mondiaux (61% en France) souhaitent que les entreprises réagissent plus rapidement pour répondre à l’évolution de leurs besoins, tandis que 88% des dirigeants reconnaissent que leurs clients évoluent plus vite que leur entreprise n’est capable de le faire. Cet écart entre les attentes et la réalité représente un risque en termes de fidélisation client et pénalise les entreprises qui cherchent à en attirer de nouveaux. Un nombre croissant de consommateurs (67% vs 51% en 2021) attendent des entreprises qu’elles répondent à leurs nouveaux besoins par de nouveaux moyens (57% en France vs 44% en 2021). Plus de la moitié d’entre eux (48% en France et 53% dans le monde) déclarent même qu’ils ne choisissent plus une marque pour son logo mais parce qu’elle est engagée – qu’elle soit connue ou non – et que ce qu’ils recherchent dans un produit ou une marque est susceptible de changer en fonction des circonstances. 43% des consommateurs considèrent également que les progrès technologiques ont compliqué leur vie autant qu’ils l’ont simplifiée (37% en France). Et 72% (66% en France) déclarent que des facteurs externes tels que l’inflation, les mouvements sociaux et le changement climatique ont un impact sur leur vie plus important que par le passé. 61% des consommateurs affirment d’ailleurs que leurs priorités changent constamment en raison de tout ce qui se passe dans le monde (65% en France). La situation est donc très complexe pour les entreprises qui doivent composer avec tous ces nouveaux paradigmes.
61% des consommateurs affirment d’ailleurs que leurs priorités changent constamment en raison de tout ce qui se passe dans le monde (65% en France).
Prendre en considération le caractère humain du consommateur
« Par le passé, les entreprises privilégiaient les approches centrées sur les produits et la performance. Puis elles sont passées à des stratégies centrées sur le client, en priorisant l’expérience. Mais aujourd’hui, la dynamique est bien plus complexe. Tant que les entreprises s’obstineront à simplifier à l’extrême leur vision du client et ne prendront pas en compte le fait qu’il s’agit d’individus multidimensionnels et en constant changement, elles resteront dans une impasse », explique Stéphanie Lafontaine, Managing Director chez Accenture, en charge du design pour la France et le Benelux. Selon David Droga, le CEO d’Accenture Song, les entreprises doivent donc changer de regard, devenir « life-centric », c’est-à-dire prendre en considération le caractère humain du consommateur, ses modes de vie changeants et les phénomènes imprévisibles qui surgissent au cours de son existence ; placer la vie de ses clients au premier plan et leur proposer les solutions les plus adaptées selon les contextes et les circonstances.
À partir des dernières recherches d’Accenture, notre analyse de modélisation prévoit que les entreprises leaders en matière de life-centricity dépasseront le taux de croissance de leurs pairs de 9 points par an.
Cinq terrains de jeu pour devenir life-centric
« Il est souvent difficile d’obtenir un consensus parmi les dirigeants, mais lorsque nous nous sommes entretenus pour notre dernière étude, ils étaient unanimes sur un point : il n’a jamais été aussi difficile d’atteindre une croissance significative, souligne Stéphanie Lafontaine. À partir des dernières recherches d’Accenture, notre analyse de modélisation prévoit que les entreprises leaders en matière de life-centricity dépasseront le taux de croissance de leurs pairs de 9 points par an. En réalité, les entreprises qui n’auraient pas adopté l’approche life-centric sont susceptibles de diminuer leurs revenus d’année en année. Pour une entreprise dont le chiffre d’affaires s’élève à 10 milliards de dollars US, cela peut représenter une différence entre une croissance de 4 milliards de dollars US de nouveaux revenus annuels sur cinq ans et une baisse d’un milliard de dollars US sur la même période. »
« Il n’y a pas un chemin unique pour devenir life-centric. À chaque entreprise de choisir le “terrain de jeu” par lequel elle veut commencer », explique Stéphanie Lafontaine. Accenture en a dessiné cinq.
1 – Appréhender le consommateur comme un individu multifacette grâce à la data
Pendant des années, les entreprises ont essayé de créer des persona et des profils afin de ranger leurs clients dans des catégories bien définies, avec des comportements prévisibles. Mais cela se révèle très souvent déceptif, et pas toujours à propos. Nos recherches montrent que les consommateurs, qui gagnent en autonomie et admettent leurs paradoxes, déjouent toutes les attentes. En se basant uniquement sur des modèles de segmentation statiques et en imaginant des parcours client en ligne droite, les entreprises risquent de passer à côté d’éléments plus subtils qui influencent les comportements. Elles limitent donc leur capacité à générer de la valeur et à développer de nouvelles formes de relation avec leurs clients, constate Accenture.
Une solution consiste à adopter une vision holistique et dynamique des clients et de tout ce qui influence leurs comportements, et donc ne plus les considérer uniquement comme des acheteurs. Dans un contexte de préoccupation généralisée concernant la protection de la vie privée, une étape essentielle pour les entreprises est de repenser leur approche en matière de données, à la fois dans la manière de les recueillir et ce qu’elles recherchent, pour en faire émerger la dimension humaine derrière les chiffres.
Pour Stéphanie Lafontaine, Citymapper est l’exemple d’une marque qui illustre bien ce premier terrain de jeu, « car elle peut m’aider dans ma vie, quelle que soit ma casquette, elle peut m’accompagner quand je suis piéton, quand je suis en voiture, en trottinette, lorsque je suis au travail ou que je veux aller chez un client ».
2 – Élargir le champ des possibles pour une croissance durable
L’idée est d’étendre la valeur au-delà de ce que la marque apporte d’habitude pour répondre à un besoin supplémentaire. Samsung, par exemple, a décidé de prendre le virage de la transition en commençant par réinventer l’emballage de ses téléviseurs, qui sont dorénavant livrés dans un éco-packaging durable et réutilisable. Fabriqués à partir de carton ondulé écologique, ils présentent des motifs fonctionnels et amusants sur chaque face et peuvent être transformés en objets design : table basse, niche pour le chat ou… meuble télé.
3 – Ré-enchanter un secteur en redéfinissant ses codes
L’idée est de dépasser les normes de l’industrie en apportant de la valeur, en cassant les codes. Par exemple, à Taiwan, Gogoro est un kiosque d’échange et de recharge de batteries ouvert 24/24h. Stéphanie Lafontaine cite également Kiabi qui, après avoir démocratisé la seconde main en magasin, propose de la location de vêtements pour tous, « c’est un acte très créatif ». Tour aussi créatif ce qu’a fait Ikea, accompagné par les équipes d’Accenture Song : à l’approche de la frénésie d’achats annuelle du Black Friday, le roi du mobilier danois a lancé, au Danemark, Cirkulär, une initiative circulaire qui profite à la fois aux clients et à la planète. Les clients ont été invités à revendre leurs meubles IKEA usagés à la marque. Celle-ci a reçu 155000 meubles du monde entier à l’approche du Black Friday. Les articles ont ensuite été restaurés et revendus à prix réduit via ses nouveaux hubs Cirkulär, devenus depuis un service durable, proposé toute l’année, dans 28 pays du monde. Autre exemple : l’application Too Good To Go, qui permet aux consommateurs d’acheter et de récupérer les invendus alimentaires sous forme de paniers surprise à prix avantageux, directement auprès des commerçants. Selon Stéphanie Lafontaine, « ce nouveau service vient s’ajouter au monde du retail classique ». Il y a également des entreprises qui ont complètement révolutionné le modèle en arrêtant à la fois de proposer de la consommation de masse et de produuire en masse. La marque de vêtements Asphalte, notamment, est née en 2016 avec un modèle économique novateur basé sur la suppression des stocks et en ne vendant qu’en ligne des vêtements précommandés sur un catalogue limité, composé de produits indémodables.
4 – Révolutionner et simplifier l’expérience client
Concrètement, les entreprises doivent abandonner l’idée de proposer des produits ou des services standardisés, au profit de solutions plus flexibles. Puisque les besoins des clients sont en constante évolution, elles doivent être prêtes à y répondre, quelles que soient les circonstances. Ainsi la banque brésilienne Santander voulait-elle rendre le crédit plus largement accessible aux citoyens brésiliens, quel que soit le solde de leur compte bancaire. Elle a donc lancé Santander Sim, une plateforme digitale qui est désormais le moyen le plus rapide et le plus simple pour souscrire un prêt personnel au Brésil, avec un délai d’approbation d’environ deux minutes par dossier.
Autres exemples de simplification de service : la nouvelle fonctionnalité développée par Apple qui détecte les accidents et appelle les secours pour nous. Ou encore Revolut, une application qui propose des outils pratiques pour gérer son argent à distance, entre autres : le paiement en devises étrangères sans frais, une interface unique pour avoir une vue d’ensemble de ses différents comptes bancaires, une carte éphémère pour faire ses achats sur Internet et ainsi préserver sa carte bleue du piratage…
5 – Harmoniser le fonctionnement interne des opérations
Simplifier l’expérience des clients n’est possible que si le processus s’accompagne aussi d’une simplification des organisations. Les entreprises doivent être très rigoureuses dans la définition de leurs priorités et cohérentes dans leur façon d’opérer. Pour cela, elles doivent créer des ponts entre toutes les fonctions en contact avec le client (innovation produit, marketing, vente, service client…) en s’appuyant sur une suite technologique intégrée. « Les entreprises qui optent pour une simplification sont les mieux placées pour répondre aux évolutions des besoins et à un environnement changeant », souligne l’étude. Accenture a ainsi accompagné Kiabi en France, et a créé sur mesure des parcours internes cross-entités et instauré des synergies en montant notamment des partenariats technologiques stratégiques. « Nous avons pu partager une vision long terme pour que les employés puissent aussi se projeter. Et nous avons mis en place une gouvernance transverse des projets », explique Stéphanie Lafontaine.
Quid de l’avenir alors que l’instabilité mondiale est là pour durer ? « Alors que les consommateurs cherchent des clés pour naviguer dans ce nouvel environnement, les entreprises doivent adopter une approche life-centric, qui leur permettra de répondre aux attentes en constante évolution de leurs clients », répond l’étude. La multiplication des options, la prise en compte des valeurs des consommateurs et la création de nouveaux liens avec eux ouvrent la voie à une croissance et à une innovation durable. En prenant en considération la vie des clients de façon holistique, les entreprises seront prêtes à répondre à leurs besoins, quelles que soient les circonstances. « Avec cette approche, les entreprises life-centric seront les mieux placées et les plus pertinentes pour affronter l’avenir, quels que soient les nouveaux défis qui se présentent », conclut Stéphanie Lafontaine.
1. Cf. la newsletter Influencia.net du 27 octobre 2022.