A la fois influencés et influenceurs, voyeurs passifs et créateurs de points de vue, spectateurs des autres et metteurs en scène de nos propres vies, nous donnons du fil à retordre aux communicants.
Changer d’angle change notre perception des choses. Modifie notre regard, manipule notre esprit, trouble nos sens. L’art en a fait une de ses marottes. Le cinéma y recourt régulièrement. La publicité l’utilise avec jubilation. Présenter les choses différemment, sortir de l’angle habituel, réfléchir autrement fait tilt ! Sortir des schémas rabâchés, proposer un autre point de vue permet de relancer le débat et faire passer des idées. A condition de s’appuyer sur des convictions.
C’est ce que ne comprennent pas toujours nos politiques. Proclamer à tout va que « le changement c’est maintenant », que « plus rien ne sera comme avant » ou encore qu’il faut « que ça change fort » ne suffit pas à bouleverser l’ordre (ou le désordre) établi… Il y a loin de la coupe aux lèvres. Il y a loin entre le dire et le faire, entre le paraitre et l’être. On ne s’improvise pas Kennedy, de Gaulle ou Churchill. Vouloir changer le cours des choses uniquement par le biais de la communication est un leurre. L’ex super président et le président normal actuel s’y sont cassés les dents, indiquant ainsi les limites du story telling.
Cependant l’art de la mise en scène, de la mise en mots, de la mise en images peut beaucoup : architectes de la pensée, les Marie France Garaud, Pierre Juillet, Alain Minc, Jacques Attali et autres, soufflent à l’oreille des grands animaux politiques qui nous gouvernent ; éminences bleues, rouges, grises, ils jouent de leur influence pour lisser, dorer ou redorer l’image de leurs poulains. Sans aucune garantie de réussite.
Tirades et bons mots, formules, éléments de langage, postures, gros plans, contre-jours, plans larges, plans américains ou plutôt aujourd’hui saoudiens ou quataris, ils connaissent leur grammaire persuasive sur le bout des oreillettes. Certes les sms, les tweets ont remplacé les petits messages pliés en quatre mais les intentions sont identiques. Avant on rédigeait, maintenant on pépie. Les Visiteurs du Soir de Marcel Carné étaient des acteurs ; les visiteurs de l’ombre d’aujourd’hui sont des souffleurs, amateurs de cabinets noirs plus que de salles obscures…
Oui déplacer la caméra modifie, sinon la scène, en tout cas sa perception. Grimper sur un podium à la Bastille change sa vision de la foule. S’approprier la place de la Concorde en dominant une forêt de drapeaux stimule le sentiment de puissance. Tenir un grand meeting au Bourget donne l’impression de prendre de la hauteur. Mais discourir les lunettes embuées de pluie, accepter la présence d’une tente berbère dans les Jardins de Marigny, ou défiler la cravate de travers ruine les séquences les mieux préparées.
Peut-on devenir normal alors qu’on ne l’est pas ? Peut-on faire « peuple » alors que rien ne vous y prédestine ? Peut-on être responsable mais pas coupable ? Le spin doctor qui rendra crédibles les multiples « je ne savais pas » n’est sans doute pas né. Et d’ailleurs est-ce souhaitable ? L’époque n’est plus aux manipulateurs d’hommes mais aux façonneurs d’idées. Les créateurs d’influence se substituent aux apprentis sorciers, les gourous rangent leurs formules magiques, les communicants sont plus humbles… Impossible d’ignorer la perspicacité des réseaux sociaux, le décodage des stratégies les plus travaillées, les pouvoirs de l’intelligence collective.
Les selfies eux-mêmes changent la com. Impossible d’ignorer ce phénomène mondial qui met en scène la vie autrement. Qui permet à chacun de choisir son angle, de s’intégrer à sa façon dans les décors les plus improbables. De recréer ses propres paysages, de faire partie du monde …en lui tournant le dos ; et d’y associer les « ingrédients » les plus divers ! (*)
Paradoxe total qui voit d’un côté le succès grandissant de l’information cadrée et façonnée par les chaines d’info continue, et de l’autre l’envie de remettre en cause l’organisation du monde telle qu’elle existe depuis des siècles ! A la fois influencés et influenceurs, voyeurs passifs et créateurs de points de vue, spectateurs des autres et metteurs en scène de nos propres vies, nous donnons du fil à retordre aux communicants. Et c’est tant mieux pour nous !
(*) « Ce n’est pas l’événement qui est important ; c’est la façon dont nous le recréons chacun …à notre façon » (J.L Godard)
Cover : Minimiam