Devant la montée du e-commerce, on avait prédit leur déclin. Le concept de centre commercial paraissait presque « has been ». On disait que les consommateurs avaient perdu le plaisir d’acheter. Qu’ils ne jureraient plus que par Internet. Panique à bord… Mais s’il y a eu un moment de flottement, les promoteurs de centres commerciaux ont vite compris qu’il fallait s’adapter et écouter les consommateurs. Et ceux-ci disaient haut et fort que rien ne remplace de pouvoir toucher, sentir, voir un produit. À condition qu’il soit présenté dans un écrin et que ce dernier offre une ambiance, des loisirs, de l’animation, mais surtout de la convivialité. « Il faut créer un environnement qui rend le shopping attractif. Trouver la bonne conjonction de loisirs et de commerces capable de créer une expérience qui satisfera le shopper et le fera revenir », explique Gilles Boissonnet, président du directoire d’Altarea Commerce.
La digitale attraction
Et pour attirer le chaland et le faire consommer, chacun rivalise d’ingéniosité. Allez dans un nouveau centre commercial aujourd’hui, vous ne pourrez pas échapper aux nouvelles technologies digitales. Au choix, et sans exhaustivité : sites Internet et mobiles, réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, Pinterest…), bornes numériques, réseau Wi-Fi, carte de fidélité digitale… Les foncières ont vite appris à se servir d’Internet pour créer, maintenir, développer le contact avec leurs visiteurs, le contact entre les marques et les visiteurs et le contact entre les visiteurs eux-mêmes. « Un centre commercial doit investir tous les canaux s’il veut créer une vraie relation client », affirme Sean Curtis, Head of Business Marketing and Brand Partnerships chez Land Securities, qui ajoute : « dans le centre commercial Trinity Leeds en Grande-Bretagne, une nouvelle promotion est en ligne en quelques minutes sur tous les écrans à l’intérieur du centre, sur le site Internet, les applications, le site destiné aux mobiles, les e-mail… Pour les enseignes, c’est un vrai plus ». Et pour le visiteur, ce sont autant d’opportunités à saisir…
Pourquoi cet engouement pour le digital ? « Derrière chaque point de contact digital, il y a une base de données. Pour la première fois en Grande-Bretagne, nous avons pu donner à nos visiteurs les informations qui les intéressent directement, qu’il s’agisse de commerces, de cinéma, de restauration et le contact s’en trouve amélioré », explique Sean Curtis. « Ma conviction est que les nouvelles technologies sont autant de moyens de toucher le client et ajoutent à l’attractivité. Pour nous, foncières, c’est également la capacité à mieux connaître le client final et optimiser le contact », remarque Gilles Boissonnet. Signe des temps : le digital était la thématique phare du dernier Mapic, le salon international de l’immobilier de commerce et de la distribution.
La tendance du Web to Store
« Ce contact physique irremplaçable qu’apportent les centres commerciaux, certains pure players l’ont bien compris et ils franchissent aisément la frontière de plus en plus perméable entre commerce en ligne et ventes physiques », commente Nathalie Bataille, directrice de la communication du groupe Klépierre. Fleurance Nature, marque française de cosmétiques bio et de compléments alimentaires vendus sur Internet, a ainsi montré sa gamme en ouvrant un pop up store de 40 m2 à l’automne dernier dans le centre commercial Les Passages. Une façon séduisante de concilier e-commerce et commerce physique. En 2013, ObeyYourBody, acteur américain de la cosmétique par correspondance distribué sur Internet via son site et son réseau de revendeurs et qui se lance sur le marché européen, a choisi de faire découvrir ses produits de la mer Morte en France sur des stands éphémères dans les centres commerciaux Klépierre.
Au centre commercial régional Cap 3000 de Saint-Laurent-du-Var, Altarea Cogedim a ajouté de la géolocalisation à la home page brandée Cap 3000 de rueducommerce.com, site racheté il y a trois ans par Altarea Cogedim avec pour ambition de développer un modèle brick-and-mortar. « Ce dispositif a donné de très bons résultats sur les personnes qui habitaient la région et les a incité à venir acheter », constate Gilles Boissonnet. Le site est devenu aujourd’hui le « 1er centre commercial digital » proposant les meilleures offres du web et des grandes enseignes physiques. Selon Gilles Boissonnet, « La synergie entre les deux modes de distribution, physique et sur Internet, est évidente ».
La montée du click & collect
De plus en plus, les sites marchands développent des solutions clic & collect qui génèrent également des achats en magasin tout en facilitant la vie des shoppers. Selon une enquête réalisée par NetBooster & EvoKe en octobre 2013 auprès de 1 008 internautes, plus d’un sur deux a déjà recherché et sélectionné un produit sur Internet, pour aller le retirer ensuite en magasin. « En tirant parti des deux canaux, le consommateur améliore l’expérience client. Quant à l’enseigne, elle améliore son chiffre d’affaires et la satisfaction client », commente Yann Gaby, dg de NetBooster.
Les centres commerciaux suivent la tendance. Les magasins M&S, y compris dans les centres commerciaux, proposent du click & collect. « Nous développons en magasin le multicanal, orienté Service Client. Le contact avec le visiteur s’effectue grâce à l’offre food, et à partir de là, on l’éduque à la mode. C’est la raison pour laquelle nous privilégions, pour nos nouveaux magasins en France, les centres commerciaux haut de gamme qui nous donnent la possibilité d’avoir de l’espace et de gros volumes », précise Michelle Lamberti, directrice marketing et communication de M&S France.
À Beaugrenelle, Darty a ouvert son flagship (2 000 m2) et y a déployé son tout nouveau concept « magasin connecté » (click & collect, vendeurs munis de tablettes interactives pour montrer l’étendue de la gamme, ateliers de cuisine, de réparation sur place). « Le site Internet n’a pas été vécu en interne comme un concurrent, mais comme un partenaire. Nous souhaitons que nos magasins deviennent un lieu communautaire d’échange, et nos produits l’autorisent. C’est vraiment le retour au contact humain et à l’échange. Nous voulons faire venir nos clients pour tester et découvrir plutôt que d’être dans une relation basique de vente et le digital peut magnifier le conseil et l’expertise », explique François Gazuit, directeur général de Darty Ile-de-France. L’internaute peut aller chercher sa commande en magasin une heure après l’avoir passée sur le site. Il lui suffit de la retirer en tapant sur une « consigne » le code qui lui a été envoyé par SMS.
Favoriser le contact avec les enseignes et les marques
Proposer des mètres carrés est une chose, une autre est d’aider les enseignes à mettre en valeur leurs marques et leurs produits pour faciliter leur contact avec les clients. C’est même devenu une priorité. D’où le soin apporté à l’architecture et au design des centres commerciaux (qui font appel à des architectes et à des designers de renommée internationale), aux matériaux choisis (de plus en plus de transparence et de matières nobles), à la luminosité (de plus en plus de lumière naturelle), à la signalétique, aux surfaces et aux volumes, à la présence d’atrium et de verrières et au retour du végétal. Beaugrenelle a l’élégance et l’esthétique d’un grand magasin parisien. À Aéroville, liberté a été donnée aux enseignes de s’exprimer avec des vitrines spectaculaires allant jusqu’à 8m de hauteur. Résultat : les marques utilisent les centres commerciaux pour ouvrir des flagships, déployer de nouveaux concepts, s’introduire sur le marché français. Un petit cocorico qui fait plaisir à notre moral…
Apporter émotion et expérience
« Si un centre commercial n’est pas capable d’offrir du contact, de l’émotion, une véritable expérience shopping au travers de la qualité de son architecture, de son design, de son mix d’enseignes, de son offre de restauration et de loisirs, le consommateur préférera rester derrière son écran d’ordinateur », remarque Maurice Bansay, PDG du groupe Apsys, promoteur et co-investisseur dans la SCI Beaugrenelle (avec Gecina, Foncière Euris, Paris Orléans). Un mix-merchandising différenciant et réactif aux dernières enseignes à la mode est aussi important qu’une offre de restauration et de loisirs inventive. L’enseigne textile irlandaise Primark s’est installée, avec le succès que l’on sait, à Cap 3000. Val d’Europe et Qwartz seront les prochains centres commerciaux de la région parisienne à l’accueillir.
Une enquête réalisée par CBRE auprès de 10 000 consommateurs en Europe a montré que la plupart des 16-34 ans envisagent le centre commercial comme un endroit où il fait bon passer du temps et rencontrer des amis. Pour 45% d’entre eux, le cinéma est incontournable parmi les loisirs proposés. C’est à qui proposera le plus grand cinéma (Everyman pour Trinity Leeds), le dernier concept, le plus innovant, offrant le plus de confort et disposant de ce qui se fait de mieux en technologies audio et vidéo (EuropaCorp Cinemas à Aéroville, Pathé à Beaugrenelle,…). À côté des cinémas, l’offre de loisirs dans les centres commerciaux peut inclure des bowlings, des salles de sport, des murs d’escalade, des pistes de ski, des simulateurs de chute libre, des discothèques, des espaces enfants de plus en plus digitaux et interactifs (comme la marelle interactive du centre commercial Jaude à Clermont-Ferrand) avec des concepts parfois très aboutis (Kidzania ou La Cité des Enfants). Et la liste n’est pas exhaustive : le pôle de loisirs et de commerces Vill’Up qui ouvrira ses portes fin 2014 – projet confié au groupe Apsys – accueillera le premier simulateur de chute libre à Paris. À quand le voyage sur Mars ?
L’espace restauration à l’honneur
« La restauration dans un centre commercial contribue à la notion de divertissement, apporte aux visiteurs une expérience et leur donne l’occasion de vivre cette expérience en famille ou entre amis, depuis la glace ou la gaufre jusqu’au dîner à la place », souligne Jean-Michel Silberstein, délégué général du CNCC (Centre national des centres commerciaux). Pas de nouvelles ouvertures, en France comme à l’étranger, pas de restructuration sans une offre élargie et créative en matière de restauration. Lieu de convivialité, de plaisir en famille et entre amis, elle bénéficie désormais de toutes les attentions et se voient attribuer les meilleurs emplacements. « Nous avons pensé que la restauration devait être un élément différenciant et permettre de créer une relation spécifique avec le consommateur », souligne Maurice Bansay. À Beaugrenelle, l’offre restauration dispose d’une surface dédiée du double de celle que l’on peut trouver dans d’autres centres commerciaux. Des marques de restaurants très connues sur Paris et de nouveaux concepts ont fait le choix de s’y installer (Noura, Coste, Bermuda Onion, Cojean, La Pâtisserie des rêves, Parisian Pub…) bénéficiant d’une vue imprenable sur la Seine.
On est loin des 5% de superficie en moyenne dédiés jusqu’ici à la restauration alors que 30% des visiteurs l’utilise. « Le Lab d’Unibail-Rodamco a travaillé sur un nouveau concept, la Dining Experience, qui place la restauration au cœur de l’expérience shopping », expliquait Christophe Cuvillier, président du directoire d’Unibail-Rodamco lors de l’inauguration d’Aéroville. Lancé d’abord dans certains centres Unibail-Rodamco à l’international, il est mis en scène pour la première fois en France, à Aéroville. Sur un lieu unique et dédié (1 800 m2 de terrasses intérieures), au sein du « Terminal Cook », les visiteurs retrouvent 17 des 30 restaurants et instants gourmands du centre. Le chef Gilles Choukroun est aux commandes pour épauler les restaurants dans la mise en valeur de leur concept et de leurs produits et dans l’organisation d’animations culinaires participatives à destination des visiteurs. Autant d’événements pour créer le contact : ateliers pour enfants, cours de cuisine, démonstrations par des chefs, dégustation et découverte de produits culinaire, alors que le Piano Bar fournit un lieu de rencontre incontournable.
Trinity Leeds a rajouté en octobre à ses boutiques, bars et restauration la Trinity Kitchen. Il s’agit de proposer aux visiteurs un food market intérieur qui réunit street food vendors, pop-up boutiques et les toutes dernières marques alimentaires et de boissons. Tous les mois sont sélectionnés cinq concepts de restauration rapide ambulante. Sept nouvelles marques alimentaires et de boissons non encore disponibles hors de Londres sont proposées aux visiteurs. « Nous souhaitons que Trinity Leeds devienne un buzzing social hub pour les visiteurs et les shoppers du contre commercial. L’offre sera renouvelée, offrant ainsi une nouvelle expérience à chaque visite », explique Paul Smith, directeur marketing de Trinity Leeds.
Multiplier les points de contact
Accueil personnalisé, conciergerie, personal shopper, garderie d’enfants, livraison à domicile (mais aussi les toilettes qui font enfin, de la part des concepteurs de centres commerciaux, l’objet d’attention), sont autant de points de contact du centre commercial avec son client. Du men’s corner ultra-connecté (qui permet à ces messieurs de se reposer et d’échanger) aux espaces de repos (ultra confortables), tout est fait pour créer à l’intérieur du centre commercial des lieux de convivialité qui autorisent la détente mais aussi le contact. Chez Klépierre, cela se traduit désormais par le Bubble Club Store dans le centre Jaude ou l’Original Club Store au centre Les Passages à Boulogne-Billancourt, tout récemment rénové. Les écrans digitaux spectaculaires sont une autre façon de créer un contact différent avec les visiteurs. Très réactifs, ils permettent une scénarisation de l’espace, tout en mettant en avant les promotions en cours. Mais ils permettent également l’interactivité avec les visiteurs. Trinity Leeds a investi lourdement dans des écrans digitaux et signé des partenariats avec JC Decaux, Ocean Outdoor, Space and People ou Grand Visual. Ainsi, les visiteurs du centre peuvent se prendre en photo et la diffuser sur les écrans de Trinity Leeds.
Sans oublier les animations qui apportent de nouvelles expériences et des possibilités de partage. « Le shopping doit être jubilatoire, faire du bien, procurer du plaisir, faire vivre des moments de convivialité, ludiques ou spectaculaires et créer des rencontres inédites avec les marques qui font rêver les clients », affirme Rebecca Chermouil, responsable Marketing Brand Events du groupe Klépierre. À Val d’Europe et à Créteil Soleil, deux opérations aux couleurs de la comédie musicale Mamma Mia ont ainsi permis de gagner 4 000 adhérents supplémentaires aux programmes de fidélité. Des couples mariés ont invité les clients à s’inscrire aux animations et au jeu-concours permettant de remporter des places pour le spectacle. Les visiteurs de Créteil Soleil ont participé à un karaoké géant.
À Val d’Europe, une chapelle typique de Las Vegas a accueilli des couples désireux d’échanger ou de renouveler leurs vœux : plus de 60 « mariages » ont été ainsi célébrés (pour certains, des couples qui ne se connaissaient pas avant !). Toujours à Créteil Soleil, pour la Fête des Pères, le centre proposait de devenir un super-héros en sautant d’une plate-forme de 7m de hauteur, une attraction totalement inédite dans un centre commercial. En deux jours, 750 personnes (dont 450 enfants) dont souvent le père et son fils, sont repartis avec leur diplôme. Les shoppers ont pu partager l’expérience avec leurs amis sur les réseaux sociaux alors que des clichés HD pris par un photographe professionnel étaient publiés sur la page Facebook du centre.
Quelle formule gagnante pour demain ?
Les nouveaux centres commerciaux qui devraient voir le jour dans les cinq ans à venir, ainsi que les restructurations de centres existants, vont encore apporter de nouveaux concepts. Le groupe Immochan réfléchit en ce moment à ce que seraient le consommateur et le commerce en 2020. C’est à cette date que verra le jour Europa City, un immense pôle de loisirs et de commerces sur le territoire Val-de-France-Gonesses. « Le groupe Auchan a entamé une réflexion sur les lieux physiques de commerce et veut renouer avec la notion de plaisir », résume Christophe Dalstein, directeur du projet. Sociologues, prospectivistes, planchent avec des hommes de marketing et des experts de la distribution pour cerner les attentes de demain. Gageons que la notion de contact y sera centrale.
Anika Michalowska
Illustrations : Amélie Carpentier
Article paru dans la revue papier et digitale N°8 : Le contact, essaie encore une fois.
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