7 octobre 2024

Temps de lecture : 6 min

Camille Spire (AIDES) : « Colère et volonté de poursuivre le combat… »

Pour célébrer ses 40 ans, l’association AIDES a demandé à l’IFOP de faire une enquête pour connaître l’attitude des Français face au Sida. Les conclusions de cette étude donnent froid dans le dos. 40% des sondés considèrent que les risques d’être contaminé par le virus du sida sont faibles, soit trois fois plus qu’en 1988 (14%). Moins de la moitié des personnes questionnées (49%) connaissent la différence entre un malade du sida et une personne séropositive, contre 61% en 1988. Camille Spire, la présidente d’AIDES s’inquiète de ces chiffres et tirent le signal d’alarme…

INfluencia : Quelles sont les réponses de cette étude qui vous ont le plus surpris ?

Camille Spire : Les sentiments qui m’ont traversée à la découverte de ces chiffres sont plutôt la colère et la volonté de poursuivre le combat que nous menons depuis 40 ans. 77% des Français-es pensent encore qu’il est possible d’être infecté-e par le VIH en ayant un rapport sexuel non protégé avec une personne séropositive sous traitement. 14% sont mal à l’aise à l’idée de côtoyer une personne séropositive. Plus inquiétant encore, les personnes séropositives et personnes en stade sida sont encore considérées comme une minorité à exclure de la société par une partie de la population. L’isolement des malades du sida est soutenu par 11 % des Français-es. C’est très alarmant.

Comment expliquer un tel retard dans les mentalités des Français-es, plus de 40 ans après la découverte du VIH, alors que les évolutions thérapeutiques permettent aujourd’hui aux personnes séropositives sous traitement de ne plus transmettre le virus ? Comment expliquer le regard si négatif que porte une partie des répondants-es sur les personnes séropositives, alors que rien ne le justifie et que cela a des conséquences dramatiques sur les premiers-ères concernés-es ?

IN. : Pourquoi de moins en moins de sondés semblent s’inquiéter du risque de contamination ?

C. S. : Ces données sont assez paradoxales par rapport à la sérophobie persistante. Elles se justifient probablement parce que la vie avec le virus aujourd’hui n’a heureusement rien à voir avec celle des personnes séropositives des années 80 et 90, grâce aux traitements. Aujourd’hui, une personne séropositive peut vivre, vieillir, aimer, travailler, ou encore fonder une famille ! Mais cette réalité ne doit pas aller de paire avec une baisse de la prévention, c’est évident.

Par ailleurs, il me semble essentiel de rappeler, dans une logique de stratégie de santé publique, qu’il existe des populations spécifiques particulièrement exposées au risque de transmission du virus. Ces personnes sont discriminées, qu’on parle de racisme, d’homophobie, de transphobie, de putophobie ou encore de toxicophobie, et sont donc particulièrement éloignées du soin et de la prévention, ce qui fait le lit de l’épidémie.

C’est avec et auprès de ces personnes que nous agissons : les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, les personnes trans, migrantes, détenues, usagères de drogues, et travailleuses du sexe.

IN. : Comment expliquez-vous les méconnaissances en hausse concernant les différences entre malade du sida et personne séropositive ? S’agit-il d’un manque ou d’une mauvaise information ?

C. S. : La lutte contre le VIH/sida est un sujet invisibilisé dans le débat public. Pourtant, 200 000 personnes vivent avec le VIH en France et l’épidémie circule toujours puisque chaque année, 5000 personnes découvrent leur séropositivité.

Nous évoquons la différence entre VIH et sida dans notre étude, mais combien de Français-es connaissent l’existence du traitement préventif contre le VIH : la Prep ? Du traitement post-exposition ? Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités : nous disposons de tous les outils pour mettre fin à l’épidémie ; nous avons besoin de moyens et de volonté politique forte pour les faire connaître et les rendre accessibles. Nous avons d’ailleurs interpellé les candidats-es aux élections présidentielles de 2022 sur ce sujet, avec une campagne “Aujourd’hui, pour faire face au sida, il n’y a aucun-e candidat”. Les médias ont également un rôle à jouer, de tout en temps ils ont soutenu la lutte, cela ne doit pas s’arrêter.

IN. : Pourquoi tant de personnes pensent que les personnes séropositives sont victimes de discrimination ? Est-ce-vrai ? Les mentalités n’ont-elles pas évolué dans le bon sens ces dernières années ?

C. S. : Les discriminations et le rejet dirigés-es contre les personnes séropositives existent toujours en France, comme le montrent les résultats de notre étude. Les personnes séropositives avec et auprès desquelles nous agissons quotidiennement témoignent régulièrement d’agressions, de situations d’exclusion ou d’humiliation. Notre campagne “Le VIH ne m’empêche pas de vivre, les préjugés oui”, lancée en décembre 2021 était toute entièrement consacrée à la dénonciation de cette situation.

Quant à l’évolution des mentalités, les chiffres ne vont malheureusement pas en ce sens. En 2017, une enquête que nous avions menée avec le CSA révélait que 21% des Français-es seraient mal à l’aise à l’idée que l’enseignant-e de leur enfant soit séropositif-ve et que 16% à l’idée d’avoir un-e collègue séropositif-ve. En 2024, ces chiffres sont exactement les mêmes.

Ces discriminations, inacceptables, éloignent du soin et de la prévention. Elles découragent, par peur d’un résultat positif, d’avoir recours au dépistage. Elles complexifient les discussions autour de la santé sexuelle avec les professionnels-es de santé et les associations. La sérophobie fait le lit de l’épidémie de VIH/sida.

IN. : Les réponses concernant les professionnels de la santé sont particulièrement préoccupantes (37% des Français jugent que les personnes séropositives sont victimes de discriminations par les professionnels de santé). Comment analysez-vous cela ?

C. S. :  Je n’ai pas été surprise par ce chiffre qui reflète une situation bien réelle. La sérophobie des professionnels-les de santé a d’ailleurs pris une place importante dans les échanges durant les États Généraux des personnes vivant avec le VIH co-organisés par AIDES en mai 2024 et rassemblant près de 200 personnes séropositives. Certains-es participants-es ont témoigné de soignants-es les prenant en charge en “tenue de cosmonaute”. Certains-es ont reçu des conseils de la part de leur médecin traitant de ne pas révéler leur statut sérologique à la médecine du travail pour ne pas risquer d’être discriminé. Et bien entendu, de nombreuses situations de refus de soin nous sont rapportées. Les professionnels-les de santé sont censés être les premiers-ères informés-es. Ce double standard est injustifiable et insupportable. 

IN. : Comment a évolué l’attitude des pouvoirs publics ces dernières années sur les sujets liés au sida ?

C. S. : Les évolutions n’ont pas été à la hauteur de la réalité de l’épidémie. Les politiques répressives, en matière d’accueil sur le territoire, de drogues, de travail du sexe ou de détention des personnes doivent évoluer. En plus d’être coûteuses et inefficaces, elles entravent l’accès aux soins, au dépistage et renforcent le risque de transmission du VIH.

Comment, par ailleurs, ne pas se montrer inquiets-ètes face à la mise en danger récurrente de l’Aide Médicale d’Etat (AME) ? Au-delà des risques pour la santé individuelle des personnes qui se retrouveraient davantage vulnérables face au VIH, une telle mesure irait à l’encontre de tous les principes de santé publique.

IN. : Comment ont évolué vos campagnes ces 40 dernières années ? Pourriez-vous me faire un historique et expliquer les différentes phases de vos campagnes de sensibilisation ?

C. S. : Nos communications ont évolué et se sont adaptées à la dynamique de l’épidémie. Lors des années de cendre, nos premières campagnes étaient principalement informatives et axées sur la sensibilisation à la prévention, faisant la part belle à la promotion de la capote. L’urgence de la situation nous obligeait à adopter un ton grave et fataliste. Progressivement, les campagnes sont devenues de plus en plus audacieuses, voire même “poil à gratter”, notamment dans les années 2000, avec des slogans percutants pour briser les tabous et mettre en exergue la diversification des outils de prévention et l’accès au dépistage.

Nous nous adaptons aussi à notre cible. Nous adoptons aujourd’hui une tonalité plus optimiste mais toujours aussi militante, pour rappeler que notre objectif de vaincre l’épidémie de VIH est atteignable. Lorsque nos campagnes s’adressent aux politiques, nous utilisons notre colère et notre indignation, ciments de nos luttes depuis 40 ans pour leur rappeler leur responsabilité.

IN. : Quelles sont les marques et les agences qui vous soutiennent et comment accompagnent-elles et soutiennent-elles vos actions ?

C. S. : Nous avons la chance de pouvoir compter sur plusieurs marques et agences engagées à nos côtés depuis de nombreuses années. Les agences TBWA, BETC, Innocean et plus récemment Strike ont, par exemple, développé des campagnes en probono pour AIDES. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs été primées. Ce type de collaboration est précieux pour notre association, ainsi, nous pouvons réduire nos coûts en économisant les frais d’honoraires, au bénéfice du financement d’actions de terrain.

C’est le cas de notre dernière campagne anniversaire 40 ans « Vieillir, ça peut faire peur. Pourtant, on ne pouvait rien vous souhaitez de plus beau », produite par Strike dont nous sommes très fiers-es. Une campagne qui a su marquer nos 40 ans avec élégance en mettant en lumière les personnes séropositives pour lesquelles nous ne cesserons jamais de lutter.

Au-delà des campagnes, certaines marques nous accompagnent pour accroître la notoriété de l’association. Fnac nous offre des espaces gracieux au sein de son écosystème, la Maison Martin Margiela a réalisé à plusieurs reprises des éditions limitées. Dans le cadre de cette année spéciale qui marque les 40 ans de lutte de l’association, nous avons développé des collaborations inédites avec The Frankie Shop et Agnès B. Avec ces mêmes marques et bien d’autres marques, nous organisons aussi chaque année la Grande Braderie de la mode, une vente solidaire de produits neufs de grandes marques à prix réduit, tous les bénéfices financent nos actions dans les régions les plus touchées en métropole : Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur.

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