5 décembre 2024

Temps de lecture : 9 min

Camille Domercq (Galeries Lafayette) : « C’est inutile d’aller chercher un créateur de contenu si tu parasites ensuite son processus créatif »

Pour une marque aussi importante que celle des Galeries Lafayette, comment sauvegarder son image de marque lors d’une activation avec un créateur de contenu… tout en lui laissant la créativité suffisante pour s’exprimer ? Une question qui a servi de fil rouge à notre discussion avec Camille Domercq, Responsable Influence des Galeries Lafayette.

INfluencia : Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer comment les Galeries Lafayette se sont initialement positionnées sur le marketing d’influence ? Quel était le point de départ de cette réflexion ?

Camille Domercq : En ce qui me concerne, je viens initialement des relations presse et non de la publicité comme certains de mes homologues. Il y a 10 ans, je m’occupais donc des relations presse classiques des Galeries. Il y a huit ans, on a décidé de changer le naming pour créer un département Influence avec un grand I afin de s’adresser autant aux journalistes qu’aux créateurs de contenu. Une manière de toucher n’importe quel acteur qui possède une audience, le tout sur un modèle qui se rapprochait dans un premier temps des relations presse. Le premier « acte » de cette nouvelle approche a par exemple été d’inviter certains créateurs dans nos évènements dédiés aux journalistes. Et puis le métier, le marché se sont professionnalisés. Les créateurs ont fini par assumer que pour réaliser leur contenu, ils avaient besoin de moyens et c’est à ce moment-là que nous avons commencé les collaborations payantes.

IN : Cette évolution a-t-elle été immédiatement acceptée par les journalistes ?

C.D. : Il y a eu effectivement une période où certains d’entre eux se plaignaient de se retrouver à la même table que les créateurs. Bien sûr, j’ai appris en huit ans que l’on ne traite pas les informations de la même manière avec des journalistes qu’avec des créateurs de contenu. Si on parle de journalisme print, mais même web aujourd’hui, les délais de bouclage sont beaucoup plus longs, là où un créateur peut se permettre d’être dans l’instantanéité. Pour toutes ces raisons, il pouvait y avoir conflit mais le climat s’est amélioré, notamment parce que beaucoup d’influenceurs ont développé une réelle expertise sur leurs milieux.

IN. : Vous en avez déjà un peu parlé mais quand une marque aussi importante que la vôtre se lance sur un segment aussi nouveau que l’était la creator economy il y a huit ans, cela implique-t-il forcément une légère restructuration, une nouvelle approche managériale ?

C.D. : Oui, surtout dans la façon dont j’ai recruté les équipes au fur et à mesure ces huit dernières années. Aujourd’hui, on demande forcément des compétences nouvelles et surtout un intérêt différent. Par exemple, j’attends de mes équipes qu’elles continuent à lire le Elle en print chaque semaine… mais aussi qu’elles s’intéressent à tout ce qui se passe sur les réseaux sociaux. À côté de ça, le métier demande des expertises additionnelles par rapport aux relations avec les journalistes qui sont beaucoup plus descendantes, même si on était déjà amené à faire un peu de co-création pour monter des articles de fond, ce genre de choses… Donc, effectivement, nos compétences ont évolué en même temps que le marché de l’influence a grandi.

IN. : Pour rentrer dans le détail, à présent, pouvez-vous nous détailler les étapes qui jalonnent une activation influence classique des Galeries Lafayette ?

C.D. : Il a six points à retenir. Le premier, c’est le casting. Une étape primordiale pour choisir à la fois le bon créateur mais surtout le créateur qui a la bonne audience pour telle prise de parole et pour telle cible. Parfois, nous pouvons cibler des collaborateurs potentiels qui nous correspondent très bien mais dont la communauté est soit trop jeune soit géo-localisée dans un autre pays. Ensuite, vient un temps de co-construction avec le créateur et j’insiste sur le mot « temps ». Dans l’évolution des choses, je trouve que c’est une étape qui a perdu de sa valeur aux yeux des marques. Si je vais chercher un influenceur, cela signifie forcément que j’aime sa ligne éditoriale et la façon dont il s’exprime. Donc l’idée sera toujours de co-construire ensemble pour trouver un terrain d’entente dans lequel il se sent à l’aise et qui respecte l’image de marque des Galeries Lafayette. On ne cherchera jamais à faire des contenus avec un créateur sur un sujet complètement étranger à sa communauté ou dans un format qu’il ne maîtrise pas. Après, vient le moment où l’on produit, où l’influenceur est invité à faire des propositions créatives sur lesquelles les Galeries donneront leur avis… C’est également le moment pour trouver les bons acteurs qui donneront vie au projet, qu’il s’agisse d’un photographe, d’un vidéaste ou autre. Et pour finir, la dernière étape, vérifier que l’opération dans son entièreté respecte le cadre de la loi influence. Pour l’ensemble de mon département, l’influence responsable est un sujet qui nous est cher depuis longtemps. Évidemment, on est une grande entreprise, un grand annonceur français, donc on a un service juridique qui nous suit sur cette question, exactement comme il le faisait pour le service publicité quand la transparence avait vraiment été imposée aux marques. Pour revenir à notre opération « type », une fois que le contenu est publié, on le laisse vivre un peu et au bout d’une semaine puis d’un an, on vérifie ses résultats.

IN. : Comment conciliez-vous la nécessité de protéger la réputation et l’image des Galeries au moment de penser ces opérations tout en laissant la liberté créative suffisante à vos créateurs pour faire du bon boulot ?

C.D. : Ce qui est sûr c’est qu’en termes d’influence et de performance, plus une marque s’intègre dans l’univers de l’influenceur, plus grandes seront les performances de l’activation auprès de sa communauté. C’est inutile d’aller chercher un créateur de contenu si tu parasites ensuite son processus créatif. Voilà pourquoi on passe du temps à formuler le bon casting. Quand j’officiais uniquement dans les RP, mon rôle était d’adresser un message à un journaliste qui allait ensuite le digérer puis le retranscrire. Aujourd’hui, j’essaye de travailler de la même façon avec les créateurs de contenu pour qu’ils retranscrivent nos briefs à leur manière. Après… c’est une relation de confiance et c’est pour ça que je dis qu’il faut prendre le temps de co-construire avec eux pour trouver un terrain commun. Évidemment, nos briefs sont très précis mais ils laissent toujours la place à la créativité des influenceurs. C’est pour ça aussi que je n’aime pas trop les interlocuteurs entre nous et les influenceurs, cela conduit souvent à une déperdition d’information. Surtout que j’essaye de les connaître au maximum, aussi bien leurs attentes que leur manière de travailler… eux connaissent les miennes et tout va bien !  

IN. : Maintenant qu’on est passé par les coulisses, pouvez-vous nous donner un exemple récent d’une activation réussie ?

C.D. : Bien sûr, et j’ai le cas parfait pour cela. En septembre dernier, pour célébrer les 130 ans des Galeries Lafayette, nous avions monté une table d’anniversaire exceptionnelle sous la coupole où, pendant dix jours, nous invitions nos clients, après tirage au sort, à venir manger. Pour marquer le coup, nous avons contacté Lena Situation afin qu’elle organise un premier dîner avec ses amis avant le début officiel de l’activation. Ce qui était intéressant pour nous c’est que Lena est extrêmement authentique dans sa façon de s’adresser à sa communauté, surtout sur sa chaîne YouTube. Elle a une façon d’interagir avec ses fans, avec ses amis qui lui est propre et qui convient parfaitement à sa chaîne. L’inconvénient c’est qu’en tant que marque Galeries Lafayette, je ne peux pas utiliser ce contenu-là. En partant de ce constat, et en parallèle de ce qu’elle avait prévu pour sa chaîne, on lui a demandé de créer avec la même boîte de production du contenu pour notre Instagram officiel, soit davantage en accord avec nos codes… tout en lui laissant suffisamment d’espace pour qu’elle se sente à l’aise. Je trouve ce modèle hyper intéressant parce que justement, je n’ai pas été dire à Léna : « Je voudrais un dîner bien comme il faut pour les 130 ans de Galeries Lafayette où il y a tous les messages de A à Z ». En revanche, et c’est tout ce qui nous intéresse, il y a beaucoup de followers de Lena qui ont vu son vlog de 26 minutes autour de l’opération, qui ont cliqué sur le lien renvoyant vers nos pages et qui sont ensuite tombés sur l’autre contenu qu’elle a produit tout spécialement pour nous. C’est beaucoup plus organique. Dans ce contexte-là, la majorité des marques lui auraient dit : « Faisons uniquement une vidéo de 30 secondes que l’on postera sur notre Instagram, merci, au revoir ».

IN. : Le point de vue des Galeries a-t-il changé au fil du temps ? Il y a quelques années, quand le secteur était moins réglementé, le risque de laisser des jeunes créateurs faire « ce qu’ils veulent » était peut-être plus grand qu’aujourd’hui…

C.D. : Oui… et non. Notre manière de voir le métier est restée la même dans la façon dont la relation se crée avec nos collaborateurs. Je le redis, je viens des RP donc j’aurai toujours confiance en la personne à qui j’adresse un message. Après, sur la creator economie à proprement parler, tout a beaucoup changé : la puissance des réseaux sociaux n’a fait qu’augmenter, les créateurs se sont rapidement professionnalisés, comme nous l’avons déjà dit, l’algorithme rabat constamment les cartes de ce qui devient viral ou pas… Résultat, il faut toujours être extrêmement attentif. C’est sûr qu’il y a huit ans, on se contentait d’envoyer des invitations à des influenceurs pour qu’ils viennent à nos événements et qu’ils fassent des stories, ou alors on envoyait des produits gratuitement sans se poser aucune question. Aujourd’hui, il y a des contrats, on encadre les choses est la situation est claire et transparente.

IN : En parlant de transparence, comment avez-vous vécu l’arrivée d’un acteur comme l’UMICC – L’Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenu – sur le marché ?

C.D. : Je le redis souvent, nous sommes dans une phase charnière du marché. Je pense que pendant très longtemps, les influenceurs avaient un peu le pouvoir sur les marques. Le rapport de force s’est quelque peu inversé depuis, simplement parce que les créateurs sont de plus en plus dépendants des opérations que leur proposent les marques. Dans ce contexte, l’arrivée de l’UMICC fut bénéfique pour assainir un – jeune – marché qui en avait besoin. Bien sûr, il y a toujours des marques ou des créateurs qui abusent mais la fédération effectue un énorme boulot au quotidien depuis janvier 2023 pour continuer d’améliorer les choses. Il y a du travail pour toutes les marques et tous les créateurs qui décident de jouer le jeu.

IN : Je lisais qu’il y a trois ans, vous aviez ouvert vos espaces à plusieurs marques digital natives, notamment certaines incarnées par des influenceurs.ses. Cette décision faisait-elle partie d’une stratégie globale des Galeries en lien avec la creator economy ? Comment ces marques s’en sont sorties, passé la barrière du numérique ?

C.D. : C’est un très bon exemple… même si le sujet est un peu différent car il ne vient pas de mon département à proprement parler. En 2021, quand la direction des achats ouvre l’espace DNVB, pour Digital Native Brand, l’envie était d’accompagner ces marques qui connaissaient parfaitement leur cible en leur permettant de tenter l’expérience du physique. Plein de choses se sont passées depuis. Certaines d’entre-elles ont prospéré, d’autres, souvent les moins authentiques et transparentes, ont périclité. Rien n’est pire pour une marque que de prétendre être incarnée par un influenceur alors qu’en réalité c’est juste une histoire de contrat pour profiter de son image… le public le ressent. Au contraire, les DNVB qui arrivent à créer tout un univers autour de leur fondateur, à l’image de Rouge et de sa tête pensante Jeanne Damas, ont un boulevard devant elles. L’enseigne Rouge compte déjà trois boutiques à Paris et a ouvert il y a peu à New York.

IN : Pouvons-nous nous attendre à d’autres activations d’envergure d’ici la fin de l’année ?

C.D. : J’en ai une très belle qui devrait être dévoilée d’ici peu. Le « brief » était de mettre en scène les vitrines animées de Noël du boulevard Haussmann (Paris) sur les réseaux sociaux. Cette année, les vitrines ont été réalisées par le créateur de mode Kevin Germanier qui s’est illustré pendant la cérémonie de clôture des JO et qui a pour habitude de travailler sur l’up-cycling. Pour exprimer ses créations sur les réseaux, nous avons ensuite fait appel au producteur de contenu Fred Stauffer, avec lequel je suis en contact depuis trois, quatre ans, qui est vraiment un geek de la production et de la réalisation. On a alors contacté l’influenceuse Emmanuelle Sits pour tourner la vidéo, elle qui est fan de mode mais surtout fan de mode de seconde main et qui correspondait donc totalement à l’univers de Kevin Germanier. Le pitch est long mais la vidéo ne durera que 25 secondes (rire), on est actuellement en train de la finaliser. En gros, on y verra Kevin arriver sur le boulevard pour rencontrer Emmanuelle, il claque des doigts… d’un coup le costume de notre campagne, qu’il a lui-même dessiné, habille Emmanuelle… Kevin re-claque une deuxième fois des doigts et Emmanuel se transforme en un tout petit personnage qui part se balader dans les onze vitrines animées. Tout ça… on n’aurait jamais pu le faire ni en photo ni en vidéo, cela n’aurait pas fonctionné sur les plateformes. Surtout, à la base de ce projet, qui est également une rencontre artistique entre plusieurs personnes, il fallait trouver le terrain créatif adéquat pour que tous puissent s’exprimer pleinement. Le travail de co-construction dont je vous parle tant. À la fin, je croise les doigts pour que l’activation fonctionne sur les plateformes… mais à la fin, l’algorithme est le seul maître à bord.

@quotidienofficiel Pour leur 130e Noël, les Galeries Lafayette ont confié à Kevin Germanier, la lourde tâche d’habiller les personnages de ses célèbres vitrines. On a pu vivre l’ouverture aux côtés de ce couturier star, célèbre pour avoir travaillé avec Beyoncé, Lady Gaga ou bien encore Taylor Swift. Un moment féérique. #quotidien #tiktokfrance #galerieslafayette #noel #decoration #kevingermanier ♬ son original – Quotidien

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