INfluencia : La Tribune Dimanche, jeune titre de presse lancé le 8 octobre 2023, fait le choix de se positionner comme un quotidien généraliste de la nuance. Un challenge dans un environnement de plus en plus polarisé ?
Bruno Jeudy : oui, c’est un challenge de lancer un titre de presse écrite en version papier en 2023. Oui, c’est un pari de faire de la nuance, de la défense des valeurs républicaines et d’un positionnement anti-extrêmes la ligne éditoriale d’un journal dans un univers médiatique où la polarisation est tendance. Nous, nous faisons l’inverse. On veut être un journal qui rassemble. On croit encore à la nuance. On essaie de traiter les sujets avec équilibre et pondération, y compris lorsqu’ils sont sensibles et matière à polémiques. Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas d’avis ni de convictions, que c’est de l’eau tiède. La nuance n’est pas un vieux truc ringard centriste, c’est le meilleur moyen de vivre de manière civilisée. On voit bien qu’il y a une envie de mettre un coup de pied dans la fourmilière, et c’est un peu le cas tous les dix ans, mais nous, nous croyons au courage et à l’audace de la nuance.
Nous voulons offrir un espace civilisé d’information. Nous voulons faire société.
IN : à travers cette ligne de conduite de la nuance, l’enjeu est-il de défendre la démocratie ?
B.J : nous cherchons à sortir des débats binaires pour/contre, blanc/noir. Nous pensons que beaucoup des problématiques d’aujourd’hui qui se posent aux démocraties, aux pouvoirs politiques en Europe et de l’autre côté de l’Atlantique, sont très complexes et nécessitent justement un éclairage parfois nuancé, en tous les cas loin des débats binaires de certaines chaînes info et surtout des réseaux sociaux. La Tribune Dimanche, si je venais à la résumer, c’est exactement l’inverse des réseaux sociaux où tout n’est que buzz, punch line, clash, voire injures et violences verbales. Nous voulons offrir un espace civilisé d’information. Nous voulons faire société. Pour autant, on connaît ce monde du clash, on le regarde, on l’observe et on peut aussi l’analyser. Après tout, les citoyens qui vivent dans les démocraties vont choisir. Cela s’appelle les élections. Les prochaines s’annoncent extrêmement tendues avec la folie des algorithmes des réseaux sociaux, des fake news et demain des deep fakes. Sans compter les ingérences étrangères toujours à l’affût pour pervertir les processus démocratiques.
IN : lors de son lancement, La Tribune Dimanche est allée à la rencontre des lecteurs. Les échanges avec les citoyens sont-ils un gage de démocratie, un moyen de mieux connaître leurs attentes ?
B.J : oui, nous avons fait une dizaine de rencontres avec les lecteurs partout en France avant le lancement de La Tribune Dimanche, puis le dimanche après le bouclage du samedi. On a appelé ça « Les cafés de La Tribune Dimanche ». Lancer un journal ne peut pas se faire sans bâtir une forte relation de confiance, sans comprendre ce qu’attendent nos lecteurs, sans partager une même vision de la société.
On n’a en réalité rien inventé. On est juste allé parler aux gens, à nos futurs lecteurs. Nous aurions aimé en faire plus, mais nous sommes une petite équipe, nous renouerons avec ces rencontres après l’été, à l’occasion de notre premier anniversaire. Nous avons aussi eu des contacts avec les relais économiques, les relais médiatiques, les corps intermédiaires. Nous sommes allés nous faire connaître.
La notoriété est un défi pour un jeune titre. C’est très positif. Cela nous a permis d’apporter des modifications et d’enrichir le contenu éditorial : davantage de pages sport, la création d’une page art, des pages jeux… Enfin, nous avons fait le choix d’attendre une trentaine de numéros pour commander une étude de lectorat, dont nous aurons les résultats définitifs à la fin du mois de mai, afin d’être en mesure de préparer une formule améliorée du journal probablement entre l’été et la rentrée.
IN : qu’attendent les lecteurs « du dimanche » en matière d’information dans une période difficile marquée ces dernières années par l’inflation, les crises, les problèmes géopolitiques ou les fake news ?
B.J : le dimanche est un jour particulier. Nos lecteurs ont beaucoup plus de temps pour lire, moins de journaux disponibles et l’envie d’une autre lecture. Nous avons fait le choix assez radical d’avoir un journal coupé en deux, avec une première partie sous forme d’un triptyque « international, politique et économie », et puis une deuxième partie consacrée à la culture et au lifestyle. Ensuite, on cherche à avoir sur les unes les sujets les plus porteurs, on était parti sur une ligne très politique, mais on a décidé ces dernières semaines de varier, avec de la géopolitique, de l’économie et même du cinéma avec Cannes. Enfin, le troisième point, c’est de travailler sur un éventail de suppléments, notamment sur le luxe, la tech, l’intelligence artificielle.
Nous devons travailler la notoriété, cela passe par nos campagnes de publicité, nos informations, nos scoops qui ont été nombreux depuis le lancement du journal, générant de nombreuses reprises en presse.
IN : tous les distributeurs ne sont pas ouverts le dimanche dans les grandes villes et en province, comment gérez-vous ce frein pour la vente du journal ?
B.J : c’est une des énormes difficultés pour la presse dominicale. Il y a en France entre 20000 et 23000 kiosquiers en semaine, la moitié sont ouverts le dimanche et pour beaucoup quatre à cinq heures par jour… Ça réduit largement le champ des possibles pour les ventes papier, on le savait.
La vente au numéro a toujours été un indicateur regardé de près par l’écosystème, et pour nous il est fondamental de continuer à drainer des acheteurs chez les marchands de journaux. Il semble d’ailleurs que l’arrivée de La Tribune Dimanche a eu un effet très bénéfique sur ce plan-là, mais nous savons bien que le numérique est une véritable alternative pour beaucoup et là aussi nos chiffres sont bons, sans compter les abonnements qui dépassent les 9000. Néanmoins, nous n’avons que sept mois d’existence et il faut du temps pour créer le réflexe d’un titre chez le marchand de journaux. Nous devons travailler la notoriété, cela passe par nos campagnes de publicité, nos informations, nos scoops qui ont été nombreux depuis le lancement du journal, générant de nombreuses reprises en presse.
En moins de neuf mois, nous sommes devenus le média dominical d’influence.
IN : vous lancez des campagnes pour développer la notoriété de votre journal, qu’en est-il de votre modèle économique et du poids des annonceurs ?
B.J : nous sommes actuellement autour de 45 000 exemplaires en diffusion payée avec pour objectif d’être autour des 50 000 exemplaires à l’été. Nous avons réalisé un très bon mois de mai tant sur le plan éditorial que commercial et de la diffusion. La Tribune a toujours eu des annonceurs fidèles et l’arrivée de La Tribune Dimanche a permis d’en élargir le nombre et le secteur, notamment dans la culture et le luxe. Quand je vois le numéro du 19 mai, avec 8 pages de pub, je me dis qu’on est sur la bonne voie. Nous avons des numéros record en matière de recettes publicitaires, comme celui avec l’interview d’Emmanuel Macron. Avoir de la publicité dans La Tribune Dimanche, c’est un signe de de bonne santé. Entre avril et juin, nous avons assis notre crédibilité et trouvé une place centrale dans l’univers de la presse dominicale. J’en prends pour preuve le nombre record et croissant des reprises des informations de La Tribune dimanche dans les autres médias écrits et audiovisuels chaque dimanche. En moins de neuf mois, nous sommes devenus le média dominical d’influence. Globalement, nous avons un accueil assez enthousiaste des annonceurs de différents secteurs, de la banque à l’automobile en passant par les collectivités, avec un pool d’annonceurs qui reviennent presque tous les mois, voire toutes les semaines. Nous nous sommes donné deux ans pour atteindre l’équilibre économique.
Nous éprouvons toujours la même recette : il faut de bonnes infos exclusives.
IN : à sept mois d’existence, comment se porte La Tribune Dimanche ?
B.J : ses premiers mois se sont passés un peu comme en politique… On a eu un démarrage enthousiaste, on a connu une sorte d’état de grâce, ensuite on a eu la période hivernale un peu plus difficile avec évidemment une légère décrue sur les ventes. On a fait une relance du titre dès janvier et on voit bien que ce sont les coups journalistiques qui nous portent le mieux. Les bonnes informations relancent le titre et là on est sur une série de bons numéros avec les annonces du ministre de la Justice, la longue interview d’Emmanuel Macron saluée par la presse entière, celle de Gabriel Attal, le scoop autour de la lettre d’Élisabeth Badinter sur la fin de vie et notre enquête sur Cannes déstabilisé par une liste bidon d’acteurs et réalisateurs accusés de violences sexuelles. Avec ces numéros couronnés de succès, nous éprouvons toujours la même recette : il faut de bonnes infos exclusives. C’est le résultat du recrutement de journalistes expérimentés, leaders sur leurs secteurs et capables de décrocher les meilleures interviews et enquêtes. Ça fait dix ans qu’on n’avait pas lancé de quotidien en France depuis L’Opinion puis l’hebdomadaire Franc-Tireur il y a quelques années. Pour La Tribune Dimanche, nous sommes en train de relever le challenge que notre actionnaire Rodolphe Saadé a lancé à l’été 2023. Le journal est installé. Il nous reste à développer sa notoriété, à maximiser sa présence sur le numérique et à trouver sa rentabilité d’ici à deux ans.
Je crois beaucoup au collectif, d’abord au sein des groupes.
IN : lors du colloque « Démocratie, information et publicité », l’idée de travailler en collectif a été évoquée notamment pour faire face à la forte concurrence des Gafam, mais aussi la baisse des recettes publicitaires d’environ 30% d’ici à 2030 selon les prévisions de l’Arcom. C’est un sujet sur lequel vous pourriez discuter avec vos confrères ?
B.J : c’est tout le paradoxe de l’univers médiatique où on reproche aux grands groupes d’être trop gros, trop puissants et en quelque sorte de ne pas faire vivre assez la liberté de la presse, mais en même temps, si on n’est pas trop gros et puissants, on pèse bien peu face aux Gafam. Je crois aux grands groupes, je pense qu’il n’y a pas d’autre solution. Après, il faut organiser à l’intérieur de ces entités les garanties d’indépendance. C’est le cas à mon sens pour le groupe CMA-CGM (propriétaire de La Tribune Dimanche). Je crois beaucoup au collectif, d’abord au sein des groupes. Pour La Tribune Dimanche, l’acquisition d’Altice, c’est-à-dire BFM et RMC, va être un excellent relais pour ce journal qui se lance. Nous sommes déjà partenaires sur les Européennes. On a sans attendre conclu un partenariat entre BFM TV, RMC et La Tribune Dimanche pour les sondages des Européennes et dès janvier on a publié et on publiera un sondage une fois par mois jusqu’aux élections européennes. On passe aussi régulièrement nos scoops sur les antennes de BFM TV, donc il y a déjà des habitudes qui sont prises et s’installent favorablement pour notre hebdo.
Sans un groupe solide et un actionnaire qui croit dans la presse généraliste, pas de lancement possible pour un titre nouveau de qualité.
IN : dans un contexte très concurrentiel et de transition numérique, le fait d’appartenir à un grand groupe comme CMA CGM vous donne-t-il plus de sérénité et de moyens pour vous développer ?
B.J : sans un groupe solide et un actionnaire qui croit dans la presse généraliste, pas de lancement possible pour un titre nouveau de qualité, avec une maquette soignée et une présence dans la France entière chaque dimanche matin. Il faut de l’audace, de la créativité mais aussi et surtout de l’argent. La création d’un titre ex nihilo comme La Tribune Dimanche réclame beaucoup de moyens sur la durée. Mais entendons-nous bien, notre actionnaire veut de nous que nous soyons un titre rentable, et c’est bien en ce sens que nous travaillons.