Il y a trois ans à peine, le président du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris, Bruno David prévoyait une pandémie sans équivalent. Il explique à Influencia pourquoi la crise du Covid-19 ne l’a pas surpris et souligne que ces dernières pourraient se multiplier dans les années à venir.
Bruno David préside, depuis le 1er septembre 2015, le Muséum national d’histoire naturelle à Paris. Après des études universitaires en sciences de la Terre à Lyon et une thèse de paléontologie soutenue à l’Université de Franche-Comté, Bruno David est recruté comme chercheur au CNRS en 1981 à l’Université de Bourgogne où il obtiendra quatre ans plus tard un Doctorat d’État grâce à une thèse consacrée à l’évolution des oursins. Ses recherches sont centrées sur l’évolution biologique et la biodiversité abordée à partir de faunes fossiles anciennes et actuelles. Il a participé à plusieurs grandes missions océanographiques notamment dans l’Océan Austral mais aussi au Brésil, en Atlantique Nord, dans la mer des Caraïbes et dans le Pacifique avec le submersible Nautile.
Il transforme le Laboratoire de Paléontologie du CNRS à Dijon, dont il a pris la tête en 1995, en une véritable structure d’interface entre sciences de la Terre et sciences de la Vie. Directeur Adjoint Scientifique de l’Institut écologie et environnement du CNRS (INEE), il a également été vice-président de la Société Géologique de France et a présidé le Conseil Scientifique de l’Institut Français de la Biodiversité (IFB) avant de présider pendant six ans celui du Muséum national d’Histoire naturelle. Auteur de plusieurs ouvrages dont « La biodiversité de crise en crise » et «À l’ombre des crises anciennes » qui détaille les cinq crises majeures qui ont jalonné les derniers 500 millions d’années, il nous explique pour la pandémie du Covid-19 ne l’a pas surpris. D’autres crises de ce type pourraient même se multiplier dans les années à venir…
INfluencia : Comment avez-vous vécu le confinement qui a paralysé la France pendant plusieurs semaines ?
Bruno David : en tant que président du Muséum national d’histoire naturelle, cette période a été un peu compliquée à gérer. A la différence d’autres musées qui devaient se concentrer sur la sécurité de leurs sites, la gestion des expositions à reporter et à la paye de leurs salariés, nous avons dû en plus, dans le cadre de notre plan de continuité d’activité, assurer l’entretien de nos jardins et apporter les soins aux animaux de nos zoos. Pendant le confinement, environ 10% de notre personnel a donc continué de se rendre sur nos sites, soit entre 150 et 200 personnes (NDLR, lire article dans La quotidienne Infleuncia consacrée au télétravail). Sur un plan plus personnel, j’ai travaillé à distance depuis ma résidence principale qui se trouve à Dijon en étant en liaison quotidienne avec mon directeur général délégué et son adjoint qui, habitant à proximité immédiate du Jardin des Plantes, pouvait s’y rendre régulièrement. Toutes les réunions de comité de direction se sont tenues à distance et j’envoyais chaque semaine une lettre d’information qui complétait le site « Coronavirusinfo » que nous avions mis en place. Par ailleurs, j’ai réalisé deux vidéos en début et en fin de confinement qui ont été diffusées à l’ensemble du personnel. Les personnes présentes sur les sites ont fait des photos rassemblées deux fois par semaine sur une carte postale virtuelle qui était envoyée à tous les personnels afin de maintenir un contact. Je suis, pour ma part, de retour à mon bureau depuis le 13 mai et, depuis la mi-mai, presque tous les personnels sont appelés à revenir sur site par rotation dans une limite de présence simultanée qui a commencé à 20% et est actuellement de 70%.
IN : cette pandémie vous a-t-elle surpris ?
B.D. : quand on voyait les rues désertes des grandes villes, il fallait parfois se pincer pour se dire que nous étions bien en 2020 en Europe. Mais cela n’a pas été une surprise totale ; en effet, depuis plusieurs années, j’ai pu signaler lors de conférences que la probabilité qu’une telle pandémie survienne était loin d’être nulle. Avec l’accroissement démographique que nous constatons depuis de nombreuses décennies, nous avons développé une sorte de « monoculture humaine » et comme les pathogènes visent en priorité les espèces les plus abondantes, nous nous plaçons en situation de cible. La déforestation nous met également davantage en contact avec des espèces sauvages et l’élevage intensif favorise l’émergence de virus. Pour ne rien arranger, nous nous déplaçons dans tous les sens. Le moindre problème local devient vite global. Il n’était donc pas probable mais quasi certain qu’une pandémie éclate un jour ou l’autre dans le monde. J’ai même écrit avant l’apparition de la Covid-19 qu’il était tout à fait possible qu’apparaisse un virus aussi dangereux que le sida capable de se propager comme la grippe ce qui aurait causé des dizaines de millions de morts. Heureusement, même si cela a été tragique pour beaucoup, la Covid-19 est moins létal.
IN : pensez-vous qu’une seconde voire même une troisième vague éclate dans les prochains mois ?
B.D. : franchement, je ne sais pas et je ne me range pas parmi les « épidémiologistes » auto-proclamés qui foisonnent et nous inondent d’avis péremptoires. Disons simplement que l’on a vu, dans le passé, des virus disparaître. On verra bien ce qui va se passer avec celui-là, mais je me garderai bien de faire une quelconque prédiction.
IN : de nombreux pays, et notamment la France, semblaient pourtant mal préparés pour gérer une telle épidémie…
B.D. : il est vrai que la France a manqué de masques, de gel hydroalcoolique et de respirateurs, mais comment se préparer à toutes les catastrophes possibles et imaginables comme un tsunami, un tremblement de terre ou une chute de météorites ? Les masques ont une durée de vie limitée et des respirateurs auraient été inutiles si le virus s’était attaqué à notre système digestif. Il est donc difficile de tout anticiper et de vouloir se garantir de tout. La société actuelle a tendance à refuser le risque et à oublier que le fait même d’être vivant signifie courir des risques : ceux d’être blessé, malade ou mort. Lorsque des pandémies sont survenues dans un passé assez récent, grippe espagnole après la première guerre mondiale et grippe de Hong-Kong en 1968, la population était plus fataliste et acceptait qu’une maladie puisse faire de très nombreux morts. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, ce qui est un vrai progrès, mais qui ne peut pas tendre vers un risque zéro.
IN : le confinement était-il la bonne méthode pour ralentir la propagation du coronavirus ?
B.D. : le confinement a permis de limiter le nombre de décès. Les études parlent de 70.000 morts évités rien qu’en France. Si l’on compare la Suède, pays sans confinement, à son voisin la Norvège qui sont deux pays assez similaires, il y a eu, en proportion de la population, huit fois plus de décès en Suède qu’en Norvège. On peut donc juger que le confinement a fonctionné même si son impact économique va être très lourd (NDLR, lire à ce sujet l’article paru dans La Quotidienne, Résilience productive: une économie mondiale dépendante à repenser)
IN : comment éviter l’arrivée de nouvelles pandémies dans les années à venir ?
B.D. : il faudrait tout d’abord réduire nos emprises sur les espaces naturels, à commencer par la déforestation ce qui permettrait de conserver une certaine distance avec les espèces sauvages. Limiter les déplacements permettrait en outre qu’une épidémie reste locale plus longtemps ce qui nous donnerait le temps d’anticiper et de s’y préparer. Avec la Covid-19, nous avons eu finalement assez peu de temps entre le moment où sa gravité a été comprise et son arrivée chez nous. Diversifier nos élevages et protéger le plus grand nombre possible d’espèces permettrait aux pathogènes de ne pas viser uniquement l’espèce gagnante c’est-à-dire… nous. Depuis plusieurs siècles, la médecine a aussi pris l’habitude de gérer les conséquences d’une maladie et moins ses causes. Il faudrait changer cette vision des choses. Les santés humaines, animales et celle des écosystèmes sont liées. Depuis quelques temps, les relations entre les humains et les autres animaux sont peu à peu prises en compte mais la dimension environnementale est encore trop souvent oubliée. J’espère que cette pandémie changera cela. Les médias commencent aujourd’hui à écouter ce type de discours. J’espère qu’ils seront entendus.