INfluencia : selon votre nouveau classement annuel, la valorisation des 100 marques les plus puissantes au monde repart à la hausse, avec +7% contre 0,3% en 2012. Pourquoi ?
Benoît Tranzer : trois facteurs expliquent cette évolution : 65 % des marques contre 43% en 2012 enregistrent une progression, seulement 29% contre 54% voient leur valeur financière baisser et 6% contre 3% sont stables (**). De plus, avec +16%, le top Ten, emmené par Apple et 6 autres valeurs technologiques, reste une excellente locomotive. Toutefois, en plus de la technologie, ce bon résultat est aussi soutenu par de fortes progressions dans le luxe et l’habillement.
Pour certaines, c’est évidemment le résultat de très grandes performances financières mais -et c’est une nouveauté depuis 2009- de nombreuses progressions viennent des consommateurs qui ont exprimé une plus grande régularité d’achats et de fidélité. Des arbitrages qui les replacent véritablement au cœur du processus de la valorisation des marques.
Pierre Gomy : le digital est autre driver. Il permet aux marques de défendre une position forte plus vite qu’avant. Et les plus belles progressions viennent de celles qui ont compris l’intérêt de bien l’intégrer dans leur stratégie. Dès 2010, quelques unes avaient performé en termes d’équité sur les réseaux sociaux. La tendance est à la généralisation, avec chaque année de nouvelles entreprises qui gagnent en maturité et s’engagent avec succès, dans des échanges d’égal à égal. Résultat : la verticalité cède la place au consommateur qui est au centre du processus de décision. Ce phénomène va prendre de l’ampleur avec la prochaine arrivée aux commandes des Digital Natives. En effet, cette génération, familière avec l’outil numérique, ne l’oppose pas aux autres disciplines de communication et va le déployer encore plus avec des positions très créatives.
INfluencia : La grande consommation reprend du poil de la bête face aux mastodontes de la technologie. Une tendance durable ?
Pierre Gomy : qu’il s’agisse de la bière (+36%) tirée par la Chine et l’Amérique Latine et des campagnes marketing très performantes, des softs drinks (+11%), des banques (+ 23%), de la distribution (+17%)… l’enquête confirme le retour en force des marques de la grande consommation. Alors que ces dernières années, elles étaient tenues en respect par les stars de la technologie. A ce titre, Apple (+1%) est talonné par Google (+5%) qui regagne du terrain. En outre, si Samsung, réalise une performance exceptionnelle (+51%), IBM (-3%), Microsoft (-9%) ou encore Facebook (-36%) sont en baisse.
Benoît Tranzer : dans le Top 10 où paraissent McDO, Coca Cola et Marlboro, il n’y aura pas d’inversement. Mais dans le reste du classement, on peut compter sur un meilleur équilibre. Car les valeurs technologiques ont quasiment achevé leur déploiement géographique. Il reste encore une partie de l’Afrique à conquérir mais les profits seront moins importants que dans d’autres marchés. Le mouvement de progression va continuer mais davantage grâce au marketing de renouvellement, et il y aura de belles bagarres. Tout comme des histoires extraordinaires avec des consolidations qui pourraient avoir lieu notamment en Europe.
INfluencia : quelques marques fragilisées ont reconquis leur lettre de noblesse. Quelles sont leurs armes ?
Benoît Tranzer : BP (responsable de la marée noire du Golf du Mexique en 2010), Toyota (avec le rappel de plus de 10 millions d’unités entre fin 2009 et 2011 suite à un problème de pédale coincée) ou les institutions financières (touchées par la crise) ont rétabli leur situation avec respectivement +11%, +12 et +23%. Un résultat obtenu grâce à la confiance développée tout d’abord en s’acquittant de leurs dettes, des problèmes techniques et en se recentrant sur les fondamentaux de leur métier et le respect de la relation client. Mais aussi en communiquant et en utilisant le digital pour mobiliser l’interne et maintenir le lien avec leurs publics. A noter, d’ailleurs, que dans le secteur bancaire, 3 marques (ANZ, JP Morgan et Westpac) entrent dans le classement contre 6 sorties en 2012.
INfluencia : … même démarche pour celles qui s’arrogent le leadership dans leur secteur, comme L’Oréal Paris qui détrône Gillette sur le Personnal Care ?
Pierre Gomy : certaines marques bougent plus vite que d’autres et le leadership change, en effet, dans 4 ou 5 catégories. Le point positif est que ces switch ne se font pas sur le dos de marques mises en échec ou qui coulent, mais par des challengers qui gagnent des points en innovant (produits et services) et en investissant, notamment dans l’internationalisation, les marques fortes, la créativité et/ou dans les dispositifs de communication sur tous les points de contacts pour interagir avec les clients. C’est le cas pour Zara (+60%) qui supplante Nike (-3%), Toyota (+12%) et BMW (-2%) ou Amazon (+34%) et Walmart (+5%). Ces bagarres entre titans et ces marques qui réussissent sont sources d’inspiration et montrent qu’on n’est jamais condamné à l’échec, même en période récession.
Benoît Tranzer : il ne s’agit pas pour Amazon d’une performance purement financière, qui accuse une perte nette de 39 m$ pour 2012, même si le cours de l’action ne cesse de s’envoler. Mais le distributeur a su diversifier et inventer des services et une logistique pour s’adapter aux usages d’achats en ligne des consommateurs. Morgan Stanley prédit que la marque contrôlera ¼ du commerce mondial en 2016 contre 14% en 2012.
Quant à Apple, toujours N°1, elle doit se renouveler via des innovations de rupture, pour résister à Google qui affiche un retour à la croissance, aux offreurs de contenus (Deezer, Spotify, Amazon) qui menacent iTunes, et Samsung, qui menace son leadership sur les devices.
INFluencia : avec +6%, pourquoi les marques des BRICs marquent-elles néanmoins le pas ?
Benoît Tranzer : ce palier, qui intervient après 6 années de forte progression, est le fruit de difficultés au Brésil et l’absence de nouvelles marques russes. Quant à la Chine, après avoir installé des enseignes dans l’énergie, la finance et les télécoms, elle peine à se déployer dans la grande consommation, car ce n’est pas la même logique d’infrastructures industrielles et de logistiques.
INfluencia : le bilan est-il plus encourageant pour notre bonne vieille Europe?
Benoît Tranzer : la valeur du Top 10 des marques européennes -nourrie principalement par l’Allemagne, la Grande Bretagne et la France- a grimpé de 4,9%. C’est moins que l’Asie (+13,1%), mais plus que les USA (+1,8%) et que l’Amérique Latine (-12,6%). C’est d’autant plus encourageant, que ce résultat est issu de secteurs divers comme les technologies (Vodafone, Deutsch Telekom), la voiture (SAP, BMW, Mercedes), la banque (HSBC), le textile (Zara), le luxe/beauté (Louis Vuitton, Hermès) et les compagnies pétrolières (Shell). Leur résistance et leur capacité à progresser face à une concurrence internationale ardue, démontrent qu’elles savent rassurer et se renouveler pour stimuler leur relation client. Enfin, si Carrefour sort du classement, celui-ci accueille 3 nouvelles marques européennes : BT, Prada et DHL.
INfluencia : le classement permet-il à la France de pousser un cocorico?
Pierre Gomy : évidemment, grâce au luxe! La France truste ce secteur avec 4 marques dans le top 10 Luxe. Vuitton et Hermès restent en tête mais les marques d’origine italienne notamment Gucci connaissent une forte croissance. La griffe du groupe Kering a retrouvé son identité en renouant avec ses racines équestres et en alliant, en termes de communication, tradition (musée) et modernité (forte présence digitale).
De plus, Garnier (+22%) et Lancôme (+20%) enregistrent les plus fortes croissances depuis 6 ans dans le top catégorie Personal Care de notre classement. Selon Jim Stengel, consultant chez Millward Brown , ces deux dernières pourraient intégrer son étude Grow sur les 50 marques mondiales aux plus fortes progressions. Et figurer ainsi aux côtés des 5 autres marques françaises Moët, L’Occitane, Louis Vuitton, Vente Privée, Hermès.
Dyssia Hayat
(*)commandée par WPP et effectuée par Millward Brown Optimor, elle permet d’identifier et de classer par ordre d’importance la valorisation des marques qui sont les plus puissantes au monde en y intégrant des données financières mais aussi des données de capital de marque issues d’études consommateurs.
(**) à périmètre constant
(***)ancien Global Marketing Officer of Procter & Gamble