Une moitié de siècle, ça se fête sans fausse modestie. Quand depuis cinquante ans, vous avez construit votre succès sur la somptueuse plastique de plagistes fantasmatiques, rendre hommage à votre produit d’appel en exhibant la (pseudo) femme parfaite la plus célèbre du monde relève d’une logique à la Machiavel. Dans son antithèse marketing de la campagne « Real Beauty » de Dove, Sports Illustrated s’unit avec Barbie pour célébrer la féminité en maillot de bain. Les pamphlétaires de la femme objet accusent.
Pour justifier la présence de Barbie en couverture du numéro anniversaire de l’édition annuelle du Sports Illustrated spéciale maillot de bain, Lisa McKnight, vice-présidente marketing de Mattel Amérique du Nord prête à l’ambivalence : « Nous mettons l’attention sur des femmes légendaires, qui comme Barbie, ont lancé leur carrière en maillot de bain ». La célèbre poupée vêtue de son seul apparat originel de 1959 pour remplacer un top-modèle ? Dans sa logique marketing, l’initiative se défend. Mais le message et l’image véhiculés par cette une polémique déroulent le tapis rouge aux critiques. Les deux marques les ont anticipées.
L’explication servie au New York Times par Lisa McKnight sert d’abord à justifier l’appellation donnée à la campagne parallèle lancée par le fabricant de jouets et le magazine sportif : « Sans remord ». Tout est dit. Ni Mattel ni son partenaire de print ne veulent s’excuser de mettre en scène une féminité purement photogénique ! Conçue comme une réponse aux détracteurs de la couverture du Sports Illustrated de cette semaine, « Sans remords » prend le contre-pied de Dove et de ses femmes natures, sans photoshop ni corps de rêve en trompe l’œil.
Une poupée féminine sur un média masculin
Le magazine nord-américain, qui aux Etats-Unis et au Canada est une institution, plaide l’exaltation du corps sexy dans un esprit sain, du succès féminin dans son ensemble. Après tout, beaucoup des nymphes exhibées dans ses cinquante numéros de l’édition spéciale ont profité de ce tremplin médiatique pour construire une carrière artistique, journalistique ou sportive. C’est notamment le cas de Tyra Banks et Heidi Klum, qui aujourd’hui constituent des modèles de réussite professionnelle pour celles qui veulent leur succéder. L’argument tient la route comme dirait l’autre. Là où le bât blesse, c’est dans le choix des armes et le timing.
Primo, les jeunes filles constituent très largement la cible première des jeunes filles alors que les corps de rêve sur papier glacé de Sports Illustrated parlent majoritairement aux hommes. La stratégie de partenariat laisse dubitative. Secundo, la poupée de Mattel traverse une crise identitaire, commerciale et marketing. A 55 ans, Barbie s’est récemment séparée de Ken, a quitté son domicile de Malibu et se retrouve clouée au pilori par Greenpeace dans son juste combat pour la déforestation.
Le contre-message de la beauté réelle de Dove
Avec des ventes mondiales en baisse de 13% sur le dernier trimestre 2013 et de 6% sur l’ensemble de l’année dernière, l’ennemie honnie des féministes paye les doutes des parents de la génération Y à son égard, sans parler de la concurrence des Monster High, que son propre créateur lui a mis dans les pattes. Modernisée et transformée en avocate de l’éducation pour mieux séduire le marché asiatique, la blonde quinquagénaire est-elle passée de mode ? L’air du temps, comme le prouve l’appréciation populaire du message de Dove et l’aura grandissante des campagnes anti-Photoshop, n’est-elle pas à la beauté naturelle, réelle et imparfaite ? « Sous le feu constant des critiques, poser en maillot de bain pour Sports Illustrated donne à Barbie et ses camarades l’opportunité de célébrer qui elles sont et ce qu’elles ont fait, en étant sans remords », persiste et signe Mattel dans un communiqué de presse. Son union ponctuelle avec le média sportif comprend également quatre pages de pub dans le numéro papier, un panneau d’affichage sur Time Square à New York, et des éditions limitées de la poupée vendue chez Target.
Benjamin Adler
La fameuse Une
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