Le célèbre leader du groupe U2 ne se positionne plus uniquement dans le registre musical depuis longtemps. Habitué des prises de paroles diplomatiques comme des plateaux télé, le chanteur irlandais impose une image de «rock star diplomate» paradoxale et dérangeante, qui n’est pas sans rappeler la mythologie et la figure d’Hermès.
Lors de leur récente tournée et de leur concert à Paris, les Irlandais de U2 ont multiplié les gestes politiques : message anti-SIDA, vidéo de l’archevêque africain Desmond Tutu, plaidoyer pour la dissidente Aung San Suu Kyi, pour la liberté en Iran et même pique à Nicolas Sarkozy sur les Roms… Au-delà du rock, de la distorsion des guitares et de l’entertainment efficace proposé lors du concert, le groupe injecte à son pop-rock une dose importante d’engagement (que certains appellent du «stadium activism»).
Arrivé sur le devant de la scène avec une forte connotation politique dans le contexte difficile de la crise irlandaise au début des années 80, le groupe n’avait déjà rien du combo insouciant et dandy comme en témoigne le tube «Sunday Bloody Sunday». Mais à la différence d’autres groupes rock aux leaders connus pour leur engagement polémique et contestataire (The Clash ou Noir Désir en sont des exemples), le chanteur Bono – de son vrai nom Paul David Hewson – s’est petit à petit affirmé comme un leader engagé dans la plupart des grands débats mondiaux. Au-delà de l’incantation, il a même créé des initiatives très concrètes comme le label RED, proposé en licence aux plus grandes marques et visant à récolter des fonds pour la lutte contre le SIDA. Une posture pas vraiment rock en ce qu’elle est à l’inverse d’une contestation et d’une rébellion consubstantielle au rock n’roll, mais au contraire dans une démarche construite et concrète. Une posture réellement politique, au sens de la prise en compte et de l’entrée dans un débat sur la res publica, la chose commune.
Pas encore Prix Nobel mais certainement candidat, le chanteur dialogue avec les chefs d’Etat et est régulièrement reçu par les présidents ou les Papes lors de ses déplacements à l’étranger, posant avec le patron du FMI, Nelson Mandela, le président brésilien Lula….
En ce sens, Bono incarne d’une certaine façon le mythe d’Hermès dans la mythologie grecque (Mercure dans la mythologie romaine). Hermès est un personnage ambigu et central. Dieu artiste (il est l’inventeur de la lyre), découvreur (il est le premier à utiliser les arts du feu), il est surtout le dieu de route, des carrefours, de la mobilité et du voyage (son symbole est les sandales ailées). La symbolique développée par U2 dans sa tournée «360°», avec cette scène circulaire et symbolisant le monde est assez frappante à cet égard. En cela Bono symbolise une nouvelle forme de porte-parole: toujours en voyage, en tournée autour du globe, irlandais mais citoyen du monde, à la fois artiste et «diplomate», il distrait et instruit en même temps. Mais Hermès est aussi messager des Dieux, dieu de l’échange par excellence en ce qu’il est le dieu le plus proche des hommes : il crée du dialogue, ouvre les portes, et transmet les messages entre les divinités et les mortels. Comme Hermès, Bono est un intermédiaire. Il est dans l’entre-deux, à la fois rock star intouchable mais humain, discutant avec les très grands de ce monde, posant les problèmes mais sans chercher à les résoudre. Il n’est pas du niveau des dieux (des chefs d’Etat) mais bien un inter-médiateur entre les décideurs et les hommes.
Mais la belle image de Bono peut commencer à lasser et certains dénoncent depuis plusieurs années les limites de son système. Le débat sur la campagne Louis Vuitton pour lequel Bono et son épouse posent en voyageurs faisant atterrir leur avion en pleine savane africaine est révélateur. Même si la démarche est empreinte de développement durable, il s’agit tout de même de publicité. Mais la polémique avait été encore plus violente lors de l’évasion fiscale du groupe U2, transférant ses comptes bancaires de l’Irlande aux Pays-Bas en pleine crise financière. Cette image paradoxale peut déranger et la «bien-pensance» du chanteur est ainsi souvent brocardée. Le quotidien britannique The Daily Mail, l’avait même surnommé «Saint Bono The Hypocrite».
Un rapprochement là également avec la figure d’Hermès. Avec lui le commerce n’est jamais loin. Dieu de l’échange, Hermès est aussi et surtout celui des marchands, du commerce, de la prospérité, du profit… et celui des voleurs. En incarnant une nouvelle figure d’intermédiaire entre les décideurs et le commun des mortels tout en privilégiant son intérêt et en assurant sa propre promotion en tant que redoutable homme d’affaires, Bono incarne la dualité de la figure d’Hermès.
Thomas Jamet – NEWCAST – Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
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